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Chapitre 2. Assises théoriques pour l’analyse didactique en littératie avancée

2.5. La notion de littératie

2.5.1. De la littératie scolaire…

La transposition de la littératie au domaine de l’éducation est assurée par les québécois avant d’être généralisée par les enquêtes menées par les organisations internationales (les enquêtes de l’OCDE, dans les années 90 et celles de PISA dans les années 2000). On définissait alors la littératie comme l’« aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses connaissances et ses capacités » (OCDE, 2000).

47 Les définitions de la littératie varient entre des conceptions minimalistes et des conceptions étendues (Jaffré J-P., 2004), lesquelles variations sont considérées en termes d’évolution diachronique par C. Barré-De Miniac (2003). Littératie peut alors renvoyer aussi simplement à la capacité de lire et d’écrire, tout comme elle peut désigner « l’ensemble des activités humaines qui impliquent l’usage de l’écriture, en réception et en production » (Jaffré J-P, 2004 : 30).

Dans ce sens, M. Hébert et M. Lépine (2012) ont tâché de retracer l’évolution de l’usage de la notion dans le monde francophone en montrant la valeur ajoutée par chaque auteur qui a essayé de la définir. Nous retenons de cette étude, qui a touché 38 définitions (établies entre 1986 et 2011), deux valeurs qui intéressent de très près les objectifs de notre recherche :

- le caractère multidimensionnel de la notion (c’est-à-dire qu’elle recouvre « les sphères personnelles, professionnelles et socioculturelles liées à l’apprentissage de l’écrit » (Ibid, :94) ;

- et le fait qu’elle appréhende les problématiques de l’écrit d’un point de vue culturel, permettant ainsi d’interroger non seulement les pratiques scripturales des apprenants mais aussi leurs représentations.

Ainsi, si la littératie, en didactique, parait-elle, à première vue, ne faire que remplacer les termes lecture/écriture, son intégration à cette discipline a des retombés conséquentes sur le plan méthodologique, que ce soit au niveau des modes d’investigation ou des logiques d’interprétation des données. Plus encore : elle impose un nouveau regard sur l’élève et sur l’école et ses finalités (Rispail M., 2011).

Il faudra préciser tout d’abord, comme R. Bouchard et L. Kadi (2012) le notent, que cette notion dépasse de loin le seul processus de rédaction et de lecture, ce qui est classiquement désigné par lecture-écriture. En incluant, non seulement, les pratiques de l’écrit, mais aussi, les représentations de ces pratiques, la littératie

48 recouvre tout l’univers de l’écrit, à savoir : les situations de l’écrit et l’ensemble des représentations qu’ont les individus de l’écrit et de son importance dans la

société (Barton D. et Hamilton M., 2010 : 46). Ce qui nous amènera dans cette

recherche à nous interroger sur les pratiques de lecture-écriture des étudiants dans un cadre extra-universitaire (cf. 5.2), qui pourraient à notre sens, aussi invraisemblablement que cela puisse paraitre, expliquer certaines représentations et pratiques scripturales universitaires.

C’est ainsi que réfléchir l’écrit, sous le prisme de la littératie, obligerait le didacticien à élargir son étude, en prenant en considération l’ensemble des paramètres (économique, anthropologique, social, psychologique, historique, etc.) qu’implique l’acte de lire et d’écrire. D’après M. Molinié et D. Moore (2012 :06), dans une telle perspective, ces paramètres ne peuvent être ignorés. Autrement dit, si depuis longtemps, les études didactiques, qui ont porté sur l’écrit, se résument à l’analyse des pratiques des élèves en classe, la notion de littératie invite le chercheur à inscrire socialement les écritures (Marquilló-Larruy M., 1997 :11). Aujourd’hui, il convient même de s’intéresser à toutes les situations d’écrit, formelles ou informelles, scolaires ou extrascolaires, qu’il faut décrire et étudier dans le seul but d’améliorer l’action didactique (Moliéné M. et Moore D., 2012 :06).

Il est également vrai que le terme de littératie, du moins dans le monde anglo-saxon, s’est tout d’abord imprégné du champ de l’éducation pour adultes, souvent des immigrés des pays sous-développés, des illettrés à qui l’on a organisé des formations d’alphabétisation à des fins d’intégration sociale. Littératie renvoyait

alors à un nouveau champ en didactique des langues, qui étudie les besoins et

conçoit des programmes pour ce public spécifique (Pierre R., 2003).

Ce qui est notamment intéressant avec cette notion, c’est qu’elle supprime la connotation négative que véhicule le terme d’alphabétisation : elle a l’avantage «de faire référence de façon positive à un processus continu de développement

49 des compétences en lecture et en écriture, ce que le terme d’alphabétisation permet beaucoup moins » (Lafontaine D., 2001 : 77).

Cette continuité qui caractérise la littératie fait que la question de l’apprentissage de l’écrit ne se réduise pas à l’école, notamment primaire, où les élèves sont censés s’approprier la compétence d’écrire (au sens le plus restreint du terme, c’est-à-dire la capacité d’encoder et de décoder). Comme M. Molinié et D. Moore (2012), nous voyons la littératie comme un continuum « depuis les premiers apprentissages jusqu’aux pratiques les plus élaborées ».

La notion de littératie est dénuée de toute connotation négative. D’un point de vue littéracique, il n’existe point d’illettré : existe « plutôt un processus infini vers une adaptation plus pointue et efficace à une situation donnée, elle-même en évolution constante » (Rispail M., 2011 :02).

Ainsi, la littératie est-elle un long chemin sur lequel tout le monde, du petit élève de la maternelle au grand illustre écrivain, est en marche ; « on n’est jamais ainsi définitivement « compétent en littératie» » (Ibid.).

2.5.2. … à la littératie universitaire

Cette manière particulière d’appréhender l’appropriation de l’écrit comme un cheminement croissant tendant vers l’infini que permet la littératie, invite la notion vers quelques contextes parfois inattendus. A vrai dire, la littératie, comme le souligne très clairement M. Rispail (Ibid.), « n’est pas un concept en soi, mais une notion contextualisée ». Puisqu’on ne peut en aucun cas désassocier cette notion « du contexte dans lequel on l’examine » (Ibid.), il convient de parler de littératie qui se rattache au contexte universitaire.

C’est dans cette optique que nous avons assisté au développement conceptuel de la «littératie universitaire ». Bien que récente dans la littérature francophone, la notion semble attirer l’attention de nombreux chercheurs en didactique du français à l’université. En témoigne le nombre important d’articles traitant du sujet

(Barré-50 de Miniac C., 2003 ; Chiss J-L, 2004, 2008 ; Grossman F., 1999 ; Jaffré J-P., 2004 ; Rispail M., 2011, etc.), et les numéros de revues qui lui sont consacrés (Diptyque n°18 et n°24; Lidil 27 ; Synergie Algérie, 2009, etc).

Il ne s’agit cependant pas de confondre le contexte scolaire et l’université. Bien au contraire. La différence, dans l’approche littéracique, nous semble de taille quand on s’interroge sur la finalité de l’apprentissage de l’écrit dans l’un ou l’autre contexte. En effet, à l’école primaire, l’apprentissage de la lecture-écriture est une fin en soi. A l’université, c’en est tout autre : si on continue encore à former les étudiants à la lecture-écriture, c’est pour leur permettre d’accéder aux savoirs ou de les transmettre. Le savoir est en fait l’objectif de l’enseignement de l’écriture au supérieur. Pour I. Delcambre et D. Lehanier-Reuter (2010), il serait même plus approprié de parler de littératie que de didactique de l’écrit à l’université. Ce qui ne signifie aucunement qu’il n’existe pas de lien entre la didactique de l’écrit et la littératie universitaire (comprise au sens d’un domaine de recherche en didactique).

Si la notion de littératie permet de contextualiser les pratiques scripturales, ce qui est indispensable à la compréhension des enjeux didactiques que ces pratiques peuvent engendrer, elle pousse également à redéfinir ce qu’est lire et comprendre et à poser la problématique de l’interprétation et de la réflexivité. Lire, dans la perspective littératique, va au-delà de la simple compréhension de surface, en passant « d’une interprétation automatique à une interprétation délibérée et réflexive, qui a aussi pour caractéristique d’accepter la confrontation avec les interprétations d’autrui » (Grossman F., 1999: 154).

Une telle compétence de compréhension nous semble indispensable à l’université. Il serait bien trompeur de croire que les recherches universitaires sont, conformément à la déontologie, « objectifs ». Il existe, en effet, des cas fréquents de « déformation des théories » et de « démémoire scientifique » (Paveau M-A., 2008). Il arrive même que le sophisme usurpe le raisonnement scientifique

51 (Resweber J-P., 2000 :3). De fait, si au lycée, l’élève se contente de reprendre à la lettre le discours de son enseignant ou d’un quelconque auteur, à l’université, l’esprit critique devient indispensable : les étudiants doivent être capables d’interroger les informations qu’on leur présente.

Par ailleurs, l’université constitue un champ intéressant et un terrain urgent pour la littératie. Expliquons-nous : les étudiants nouvellement inscrits à l’université subissent une rupture discursive importante, qui, selon C. Deschepper (2008), R. Boyer, C. Coridian et V. Erlich (2001), M-C. Pollet (2001), et bien d’autres, est une des causes majeures de l’échec en première année de licence. Non habitués aux systèmes discursifs universitaires, les nouveaux bacheliers entrent dans un travail d’appropriation intensif de ces discours. Ce travail, selon C. Deschepper (2008 :8-9), ne va pas sans bouleverser d’« importantes dimensions cognitives de leur rapport à l’écrit », et ce trouble, poursuit-elle, a « la particularité d’être généralement étendu (il porte sur de nombreux aspects de ce rapport) et profond (il suppose une modification de structure et pas seulement de surface) ».

Une acculturation des étudiants aux différents discours universitaires, surtout écrits (puisque dominants), s’avère nécessaire dès leur première année d’inscription. Les universités belges, à titre d’exemple, proposent des cours et séminaires pour les nouveaux bacheliers avant même de commencer leurs formations universitaires. Ailleurs, notamment en Algérie, des cours de méthodologie et/ou de langue sont dispensés, au moins durant la première année, afin de familiariser les étudiants nouvellement inscrits aux systèmes communicationnels présents au supérieur. Cette pratique ne relève plus du débat pédagogique ni du combat scientifique, elle est devenue évidente (Pollet M-C., Glorieux C. et Toungouz K., 2011 :61). Demeure cependant la question de l’accompagnement des étudiants dans l’écriture universitaire qui se complexifie au fur et à mesure qu’ils avancent dans leur cursus.

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