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développementale transversale

Chapitre 4. Une analyse synchronique descriptive

4.6. Constitution d’une grille d’analyse

Quand les méthodologues des sciences humaines et sociales parlent de corpus constitué de documents écrits, ils évoquent une « analyse de traces » qui « tisse indirectement des liens entre un phénomène et ses déterminants par l’examen des traces laissées par les activités des êtres humains » (Giroux S. et Tremblay G., 2009 :74). Deux techniques se distinguent alors: l’analyse historique et l’analyse de contenus (Ibid.). Et cette dernière se scinde en deux types d’analyse, l’une dite analyse manifeste et l’autre analyse latente (Anger M., 1997 : 158).

Pour ce qui est de l’analyse que nous allons mener, étant donné la problématique que nous tentons de traiter, c’est l’analyse linguistique, dans un sens large, qui sera appliquée sur notre corpus. Mais la conception évoquée par les méthodologues n’est pas complètement inadéquate ; l’analyse linguistique procède également du repérage et de l’analyse de traces qui tisseraient des liens avec certains procédés cognitifs.

Notre corpus constitué de 31 mémoires de master, notre recours limité (et orienté) aux outils de l’analyse du discours et l’analyse ciblée des phénomènes susceptibles de nous renseigner sur l’ethos auto-attribué (Fløttum K. et Vold E.T., 2010) des étudiants-mémorants nous amènent à construire une grille d’étude constituée de trois niveaux d’analyse complémentaires dont nous avons expliqué les fondements dans la partie théorique (cf. 2.7).

4.6.1. Niveau 1.

Le premier axe consiste à étudier la présence manifeste de l’étudiant dans son mémoire et tente de savoir de quelle manière il se montre et vérifie si sa présence est conforme aux normes des genres de recherche. Nous avons expliqué dans le chapitre 2 que les normes de l’écriture de recherche ne permettent pas n’importe quelle présence, mais exigent une présence épistémique, relative notamment aux différents rôles que peut endosser l’auteur scientifique, pour reprendre la terminologie de K. Fløttum (2009).

144 Nous avons alors procédé, dans un premier temps, au repérage des pronoms personnels qui sont susceptibles de renvoyer à l’auteur (Je/Nous/On). Nous pouvons de cette manière savoir à quelles fréquences ils se présentent. La tâche étant manuellement très couteuse en temps et en énergie, nous avons alors recouru au logiciel Tropes que nous avons présenté plus haut.

Ces pronoms combinés à d’autres marques linguistiques qui s’y rattachent, essentiellement leurs verbes et quelques modalisateurs (adverbes et adjectifs notamment), se distinguent par leurs renvois différents. Nous avons constitué une liste de pronoms contextualisés renvoyant au scripteur.

Une fois les pronoms qui renvoient à l’auteur dégagés, nous avons vérifié alors à quel point leurs présences se rapprochent de la présence épistémique exigée ou au contraire s’en éloignent. Pour ce faire, nous avons analysé le contexte lexical du pronom en question.

A ce point de la recherche, nous avons pu déterminer les formes de présence et distinguer les différents rôles que les étudiants s’assignent et à quels endroits du mémoire. Procédant ainsi, nous avons dressé la liste des difficultés rencontrées par les étudiants quant à la gestion de leurs subjectivités dans les mémoires de master.

4.6.2. Niveau 2

Le deuxième axe de l’analyse, qui porte sur les difficultés de problématisation, procède en deux temps liés principalement à deux endroits précis des mémoires : les introductions et les conclusions générales.

Pour ce qui est de l’introduction, où est logée la problématique, les normes de l’écriture de recherche qui la régissent sont claires. Elles stipulent que l’objet d’étude soit argumenté, et ce en lui accordant une valeur intrinsèque, et que la recherche (le mémoire dans notre cas) soit présentée en termes d’avancée dans le

145 domaine dans lequel elle opère et non en termes de découverte personnelle ou d’apprentissage.

Pour ce faire, nous avons de prime abord analyser les toutes premières lignes du mémoire qui servent à introduire, à inscrire et à légitimer l’objet de recherche. Nous avons ainsi vérifié si les stratégies mises en œuvre par les étudiants s’accordent avec la dimension euristique du mémoire et à quel point elles correspondent à celles des modèles remarqués dans les écrits des chercheurs experts (cf. 2.7.4).

Ensuite, l’intérêt s’est porté sur la partie de l’introduction qui s’intitule les motivations, où les étudiants argumentent le choix du sujet. L’analyse s’est intéressé ici aux types d’arguments avancés et ce en procédant à une description des modalisateurs employés.

Puis, nous nous sommes focalisé sur les hypothèses. Nous avons tenté de déterminer, à partir d’une analyse des modalisateurs, à quel point les connaissances avancées par les étudiants sous formes d’hypothèses à vérifier sont mises en doute.

Pour ce qui des modes de présentation des résultats de la recherche, qui déterminent une partie du rapport des étudiants au savoir, l’analyse se donne pour objectif de déterminer dans quelle mesure les connaissances avancées sont mises sous l’égide de l’épistémique, de la distanciation et de l’interrogation.

4.6.3. Niveau 3

Le dernier niveau d’analyse envisagé s’intéresse à une dimension caractéristique des écrits de recherche. Ces genres de discours se définissent comme polyphoniques. La polyphonie ne va pas sans causer des difficultés aux étudiants tant sur le plan technique (problème d’intégration et d’annotation), sur le plan énonciatif (problème de positionnement) que sur le plan textuel (tendance à juxtaposer les citations).

146 Dans l’analyse des phénomènes polyphoniques, nous nous sommes attardé sur la description des postures énonciatives adoptées par les étudiants par rapport aux autres chercheurs cités. Les postures oscillent en effet entre une sur-énonciation caractéristique des genres d’écrits de recherche et une sous-énonciation souvent remarquée dans les écrits des néophytes. La détermination de l’une ou l’autre posture résulte d’une étude morphosyntaxique des séquences où sont citées des noms d’auteurs.

Dans un premier moment, l’attention est portée sur les modes de référencement. Il s’agit en termes plus pratiques de déterminer, en procédant à une étude quantitative, les modes dominants. Ceci nous amène à nous interroger sur les difficultés tributaires à chaque mode de référencement.

Dans un second temps, nous nous sommes intéressé aux fonctions des citations, que nous avons déduites à partir de deux paramètres. Le premier est la place qu’occupe le discours d’autrui par rapport aux assertions des étudiants. Le deuxième s’attarde bien évidement sur les éventuelles introductions et commentaires des discours d’autrui.

Dans un dernier temps, l’analyse s’est focalisée sur le degré de la prise en charge des discours d’autrui par les scripteurs. Cette prise en charge, pouvant osciller entre la remise des propos des auteurs cités et l’acceptation sans concessions, sera évaluée à partir des modalisateurs utilisés par les scripteurs pour désigner ou reprendre des éléments du discours d’autrui.

In fine, ces trois niveaux envisagés déterminent une grille d’analyse que nous avons synthétisés dans ce tableau :

147 Phénomènes scripturaux

observés

Les procédés d’analyse des pratiques

Evaluation des pratiques

Axe

1.

Pronoms personnels : je/nous/on

Etudes des pronoms Personnels

Etude des modalisateurs

(+) Présence épistémique (-) Présence déictique Effacement énonciatif : Voix passive/ l’impersonnel/ etc. Axe 2. Les stratégies argumentatives Argumentation de l’objet d’étude

Etude des routines argumentatives

Description des types d’arguments

Etude des modalisateurs

(+) Argumentation intrinsèque (-) Argumentation personnelle Présentations des hypothèses Présentation des résultats de la recherche

Etude des modalisateurs

(+) Présentation épistémique (-) Présentation non-épistémique Axe 3. Modes de référencement

Fonctions des discours d’autrui

Positionnement par rapport aux discours

d’autrui

Etude des marques typographiques Etude de l’emplacement Etude des modalisateurs

(+) Posture co- et sur-énonciative

(-) Posture sous-énonciative

148 Sommairement, nous avons réparti le tableau à la verticale en trois grandes lignes qui correspondent aux trois niveaux de l’analyse.

A l’horizontale, nous avons établi trois colonnes. La première précise les phénomènes discursifs ciblés par l’analyse. La deuxième reprend brièvement les procédés de l’analyse des phénomènes observés. Et enfin, dans la dernière colonne, nous avons prédéterminé deux ethos, un ethos inadéquat au genre de mémoire (celui de l’étudiant, qu’il y a lieu de délaisser et que nous avons supposé dominant) et un ethos adéquat, demandé par le genre d’écrits de recherche (celui de chercheur, qu’il faudrait adopter). L’évaluation des pratiques scripturales observées sera comprise comme sur une échelle continue entre un ethos adéquat et un ethos inadéquat.

Le tableau 5 traduit en grosso modo une méthode dite « top-down », qui consiste à prédéterminer grâce aux théories existantes ou aux études antérieures (donc avant de se confronter au corpus d’étude), des catégories sémantiques (des familles de termes) qui permettent de traduire et d’évaluer les ethos auto-attribués. Mais une telle méthode n’est pas aussi simple qu’elle en a l’air car la classification des mots dans l’une ou l’autre catégorie ne va pas toujours de soi et nécessite des interprétations que seule une analyse approfondie pourra en rendre compte.

4.7. Points de synthèse

Nous avons décrit dans ce chapitre la richesse de notre corpus qui se constitue de 31 mémoires. Ces discours produits par les étudiants se caractérisent néanmoins par une homogénéité quant à leurs conditions de productions qui, selon les spécialistes, représentent le fondement de la constitution d’un corpus discursif. L’analyse envisagée des mémoires produits par les étudiants est influencée par les outils de l’analyse du discours dont nous puisons sans pour autant trahir l’objectif didactique que nous nous sommes fixé. Cette analyse, qui s’attache à décrire l’ethos auto-attribué des étudiants mémorants en vue de construire un dispositif

149 didactique d’initiation à la rhétorique des discours de recherche, s’organise sur trois niveaux complémentaires. Les notions théoriques que nous mobilisons (chapitre 2) sont à la base de la construction d’une méthode d’analyse, sanctionnée par une grille servant à mesurer le degré d’adéquation des productions des étudiants avec les normes rhétoriques de l’écriture de recherche.

La méthode que nous avons présentée exige que notre analyse qualitative soit ciblée. Elle justifie également le recours à un logiciel de traitement automatique des discours, un logiciel que nous avons pris le temps de présenter ; ce chapitre en montre les intérêts, en discute les difficultés et en signale les limites.

Partie 3. L’analyse des