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La problématisation entre argumentation et légitimation

Chapitre 2. Assises théoriques pour l’analyse didactique en littératie avancée

2.7. L’apport de l’approche énonciative à l’étude littératique

2.7.4. La problématisation entre argumentation et légitimation

On considérait autrefois la science et le discours qui la porte comme nécessairement objectif et transparent. Les discours scientifiques étaient alors présentés comme expositif d’un savoir concret. Mais nous savons aujourd’hui, grâce aux avancées dans le domaine de l’analyse du discours, qu’aucune production langagière ne peut se prétendre transparente.

En effet, contrairement à ce qu’on enseigne dans les écoles, la science n’est pas une entreprise neutre d’exposition de vérités générales et absolues, mais bien une construction argumentée d’une démarche et d’un raisonnement bâti sur des bases faites de choix et de prises de position. Si cette construction est moins visible dans les sciences dites dures, qui se dissimulent derrière les chiffres et les symboles, laissant croire à certains qu’elles se réduisent à de la pure information (P. Breton, 2005 : 51), elle est bien plus apparente dans les sciences humaines. Il n’y a qu’à lire les introductions des articles scientifiques pour s’en rendre compte. Le savoir présenté y est sujet non pas à une explication mais à une interprétation, donc à une inévitable argumentation.

Dans ce sens, il faudrait présenter les écrits de recherche comme réflexifs (Rinck, F., 2012) et comme des discours de « problématisation » (Nonnon, I., 2002). Contrairement aux écrits de restitution de savoirs, les écrits de recherche sont régis

70 par une logique heuristique, où l’écriture et la pensée vont de pair. Mais il se trouve que la question de la réflexivité, malgré son importance, n’a fait que très rarement objet de description linguistique.

Pour appréhender la problématique de l’initiation aux écrits de recherche dans le cadre du mémoire de master, il est important, nous semble-t-il, de distinguer d’emblée la problématique de la problématisation.

La problématique est comprise comme ce lieu localisé, souvent dans l’introduction, où sont exposés les grands traits de la recherche. C. Puren (2013 :6) la présente comme

un ensemble organisé des postulats, prémisses, concepts, modèles, questions, hypothèses et autres éléments éventuellement considérés comme indispensables à la présentation d’un projet de recherche entre l’exposé de son origine, de son objet, de son domaine et de son objectif, en amont, et l’annonce de ses moyens et modes de réalisation (ressources, méthodes, parcours), en aval.

La problématisation désigne plutôt « un processus diffus, non localisable, qui sous-tend toutes les autres opérations mises en jeu dans l’élaboration d’un écrit réflexif » (Nonnon I., 2002 :30).

Pour ce qui est de la problématique, les normes rhétoriques qui la régissent sont très nombreuses. Nous nous focaliserons sur deux points essentiels : l’inscription du sujet de recherche et l’argumentation de l’objet d’étude.

Les premières lignes d’un écrit de recherche sont très importantes. Elles jouent plusieurs fonctions. T. Herman (2009) s’attarde sur trois en particulier : une fonction codifiante, une fonction informative et une fonction séductrice. Les enjeux de ces premières lignes sont de taille, car il est demandé au chercheur d’inscrire son objet d’étude dans une multitude d’autres recherches et de le légitimer.

71 Les analyses, dont F. Boch (2013) rend compte, montrent deux logiques de légitimation de l’objet d’étude : le prolongement théorique ou la démarcation. L’auteure souligne des difficultés importantes rencontrées par les étudiants au niveau de la deuxième logique qui se caractérise par trois « routines argumentatives » :

1) « évidente remise en cause », qui consiste à rejeter les approches traditionnelles, trop limitées ;

2) « la niche ignorée », où l’auteur fait remarquer une question fondamentale négligée dans une littérature abondante ;

3) et « la troisième voie », qui consiste à inscrire sa recherche comme la voie fructueuse entre deux (ou plusieurs) sans issues.

Dans la problématique également, le chercheur se doit d’argumenter un ensemble de choix qu’il a effectué, des choix relatifs notamment à son objet d’étude et à sa méthodologie. Les écrits de recherche exigent naturellement que les choix effectués soient présentés comme ayant une valeur intrinsèque et comme participant au développement de la discipline dans laquelle s’inscrit la recherche. Autant d’enjeux qui échappent aux nouveaux entrants dans le champ de la recherche.

Selon l’étude menée par F. Rinck et L. Pouvreau (2009), les étudiants laissent, en effet, transparaitre un ethos dévalorisant (celui d’un évalué) en recourant abusivement aux récits d’expérience. A l’aide de verbes pronominaux d’intellection, ils présentent en narrant les étapes de leurs recherches en termes de difficultés et de choix personnels et affectifs. Ce qui peut être interprété comme une maladresse face à l’effacement énonciatif des experts, qui eux, donnent à l’objet un intérêt intrinsèque (intellectuel) et universalisant.

M-C. Pollet, C. Glorieux et K. Toungouz (2010), quant à elles, soulignent que les introductions des étudiants néophytes sont souvent dominées par le descriptif. Au

72 lieu de favoriser un travail d’élaboration, les étudiants recourent aux modes de « stockage », en étalant un ensemble de données indépendantes les unes des autres, et de « reconstruction » qui consiste à reproduire fidèlement un discours sur lequel ils construisent un questionnement.

Quant à la question de la problématisation, elle a trait au mode de présentation des connaissances de manière épistémique. Cela voudrait dire que les assertions avancées dans un écrit de recherche doivent être mises à distance, interrogées et problématisées. Grâce aux modalisateurs, il s’agira pour nous d’étudier les difficultés des étudiants ayant trait aux valeurs accordées à trois formes de savoirs présentes dans le mémoire : les hypothèses, les résultats de la recherche et les savoirs théoriques.

Sur ce point, Y. Reuter (1998) met l’accent sur un nombre de dysfonctionnements remarqués dans les écrits des jeunes chercheurs qui ont du mal à se décentrer et qui ont souvent tendance à juxtaposer des informations sans véritable lien, ni logique constructive. Il met alors en cause les représentations qu’ont ces jeunes chercheurs du mémoire comme simple exercice scolaire.

Dans une optique praxéologique, E. Nonnon (2002 :30) affirme que la capacité de problématiser reste tributaire des connaissances personnelles des apprenants, ce qui rend sa didactisation problématique. Elle propose néanmoins quelques pistes didactiques qui consistent, à titre d’exemple, à « faire acquérir des routines d’expression de la remise en cause » (Ibid.).

Cette question des valeurs accordées aux connaissances est liée à celle de la polyphonie, étant donné que les discours d’autrui y occupent une place primordiale dans la construction des connaissances dans les écrits de recherche.