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Les limites du travail d’équipe

Chapitre I Le développement professionnel de l’enseignant du premier degré

D. Les limites du travail d’équipe

Il semble que le collectif de travail soit une ressource mobilisatrice pour favoriser le développement professionnel.

On identifie trois limites :

Ø Les connaissances échangées ne sont pas forcément des pratiques efficientes ni institutionnelles car leur seul critère de choix est celui de la validation par les enseignants les utilisant.

Ø Certaines équipes très soudées font bloc envers les autres ressources de développement et en particulier celles de l’inspecteur.

Ø Ce travail collectif serait prégnant sur les besoins des élèves.

Les connaissances véhiculées sont peu ancrées dans un cadre didactique et institutionnel ; par exemple l’enseignante de l’entretien E3, souhaitant mettre en place une différenciation pédagogique, propose un travail individuel sur fiche basé sur une différence de quantité de travail.

« Je leur donne des fiches comportant entre 8 et 12 exercices sur la notion qu’on travaille, du plus facile au plus compliqué. Chaque enfant travaille à son rythme. Quand je dis grammaire, ils sortent leurs fiches et il y en a qui font un exercice, il y en a qui en font deux, et voilà. A la fin de la fiche, je regarde la progression de l’enfant. »

On peut s’interroger sur l’appui didactique de cette proposition de différenciation.

Une autre limite au travail d’équipe réside dans la dynamique de l’école. Il semblerait que lorsque le collectif est très fort, il empêche d’autres ressources extérieures de contribuer au développement professionnel des enseignants. Cela résulte soit du fait que les enseignants n’en ressentent pas le besoin (pour les recherches personnelles) soit d’un positionnement de groupe (en direction des prescriptions primaires secondes surtout) qui consiste à rester fermé sur lui-même.

Par exemple dans l’école de T., les enseignants et le directeur considèrent comme de l’ingérence dans leur école les prescriptions de l’inspecteur :

Même pour moi, l’équipe de circonscription c’est uniquement administratif. Les CPC, je les connais, on les tutoie. Ça ne change pas le travail de notre école et j’aimerais pas que ça le change.

Q/ Cela pourrait être un appui pour faire changer les pratiques, les fonctionnements ? Directeur : oui mais d’une façon négative. Donc j’ai résisté, j’ai trouvé les parades pour… (directeur, école Z, T.)

Or dans cette même école, la description du collectif de l’école est très forte et dépasse le professionnel :

Mais c’est aussi parce qu’on mange ensemble, c’est lié à ça. On se croise forcément le midi, on le sait, on mange ensemble, le soir des conseils d’école, on mange

ensemble,

Directeur : le vendredi, on finit à 15h on part pas directement, on a notre petite réunion pédagogique, qui n’a rien de pédagogique, … sur le ton convivial, on lâche, on évacue la semaine, on passe beaucoup de temps ensemble, c’est notre deuxième maison, globalement, on passe plus de temps ici que chez nous. L’école n’est pas un lieu de travail mais de vie. C’est pourquoi en bas de l’escalier il y a une photo de l’ensemble des acteurs de l’école : les animateurs, les enseignants les personnels de service.

Pour les élèves mais pour nous aussi, on s’est approprié l’école. »

Dans cette école, la force du collectif est très importante ; elle ne se situe pas uniquement au niveau des enseignants de mêmes niveaux de classe, ou entre quelques enseignants de l’école. Les huit enseignants de l’école sont dans cette dynamique collective

Dans le discours des enseignants, une autre limite au fonctionnement d’une co-élaboration entre les enseignants apparaît. En effet la force de ce collectif peut rendre les enseignants moins attentifs aux besoins des élèves de la classe. Les élèves sont pris en compte de façon différenciée lors de la conception des séances : le collectif enseignant permet une organisation de l’apprentissage plus adaptée à chacun des élèves (E13, E14).

Par contre, pour réajuster le déroulement des séquences d’apprentissage, les enseignants travaillant en co-élaboration réajustent moins en fonction des élèves de leur classe. Ils attendent de faire un constat partagé sur chacune de leur classe pour réajuster le déroulement des séances.

Parfois le désir des enseignants de maintenir un rythme identique entre leurs différentes classes semble les conduire à moins prendre en compte l’intérêt des enfants dans leur classe.

Lorsque moi, l’année dernière travaillant seule, parfois je prends des libertés avec ma progression, je vais mettre ça de côté, je vais m’assurer qu’une notion est bien comprise par ce groupe d’élèves, Ce qui n’empêche pas de prendre des libertés avec la progression mais en en discutant collectivement. Là ils n’ont pas du tout compris ça, on stop. Par exemple là on a fait le choix, ce n’était pas prévu, mais là les 15 derniers jours on stoppe, on ne fait rien de nouveau, on fait que des révisions car ils sont fatigués, et cela c’était pas prévu en septembre. Mais c’est un constat que l’on a fait dans les trois classes, on était d’accord. (E13)

Car moi au début, j’avais 2 groupes de lecture, on en a parlé et on a fait trois groupes après on a commencé en faisant des groupes hétérogènes puis des groupes homogènes, 2 groupes, puis 3. Voilà on affine au fur et à mesure. (E14).

Nos deux collègues de CE1 préparent leurs semaines ensemble. Elles font les mêmes séances aux mêmes moments. Ça je ne peux pas le faire.

Q/ vous pensez que vous perdriez la latitude de changement ?

Oui et surtout je ne serais pas moi, je me sentirais contrainte et j’ai pas envie de me sentir contrainte. J’ai besoin de liberté et puis de sentir que, chaque classe est différente, sentir comment les élèves peuvent ressentir. (E22)

Nous avons vu dans cette partie de notre thèse que les relations interpersonnelles mises en place au niveau de l’école entre les enseignants sont un facteur important d’enclenchement de modifications de leurs pratiques professionnelles. Cette modalité de travail appartient au quotidien de l’enseignant, ce qui contribue également à la rendre importante, car elle apparaît récurrente.

Nous allons maintenant analyser un autre type de relations interpersonnelles permettant à l’enseignant de modifier ses pratiques mais qui ne s’inscrit pas dans le quotidien de l’enseignant : le travail de l’inspecteur. Cette modalité de relations interpersonnelles est opposée à celle du collectif enseignant en termes de fréquence. En

effet, si le collectif enseignant est présent tous les jours dans l’environnement professionnel de l’enseignant, les interventions de l’inspecteur, extérieur à l’école – via l’inspection ou la formation – restent rares, d’une fois tous les trois à cinq ans pour les inspections et d’une à trois fois par an pour les formations, selon les modalités de mise en œuvre. Pourtant, dans l’analyse du processus des changements de pratique, nous avons fait le constat que l’inspecteur pouvait avoir un véritable impact sur le processus de construction de connaissances professionnelles.

II. Les inspections