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Il est nécessaire de définir dans un premier temps l’espace potentiel d'adoption du mouvement scientifique, qui décrit l’ensemble de tous les lieux susceptibles de recevoir l’innovation à partir des lieux de son émergence. Un premier problème est de comprendre comment sont sélectionnés les lieux de l’apparition de l’innovation, parmi tous ces possibles. Au moment de son émergence, un mouvement scientifique possède des formes d'implantation particulières qui représentent un point d'ancrage pour le développement et la diffusion ultérieure du mouvement. On peut faire l’hypothèse que les grands centres universitaires sont les plus à même d’inclure les précurseurs, d'accueillir les invités étrangers, d’abriter les méthodologues susceptibles d'intervenir en soutien des porteurs du mouvement naissant. Les formes d'implantation de départ peuvent aussi être produites par l’irruption d'événements extérieurs dans l'espace d'adoption, événements qui viennent y inscrire des facteurs favorisant le développement du mouvement scientifique. Le nouveau mouvement scientifique a-t-il émergé grâce à d'autres disciplines situées dans la même université ou dans le même espace d'adoption potentiel ? A-t-il émergé grâce à des recherches entreprises dans la même discipline mais venant de l'étranger ? Cela pose la question des passeurs et des types de contacts. En général, l'émergence d'un mouvement scientifique est largement favorisée par des contacts avec l'étranger et les autres disciplines, dans un contexte de bouleversement disciplinaire. Dans sa thèse de doctorat, Gaëlle Hallair (2010) a travaillé sur les relations entre géographes allemands et français aux premiers temps de l’institutionnalisation de la géographie et durant les décennies de l’entre-deux-guerres. Elle a notamment montré qu’il existait des passeurs entre les deux cadres nationaux, ou bien des « tiers », issus d’autres origines nationales, qui ont permis des processus de diffusion. Des éléments extérieurs peuvent intervenir ensuite à n'importe quel moment de l'histoire du mouvement, dynamisant ou non son développement. Il s'agit pour nous d'identifier un espace potentiel de déploiement du mouvement,

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en fonction de ses différenciations (tel le poids des centres universitaires) et de ses discontinuités éventuelles en présentant les formes de relations possibles (les types de contacts entre géographes), nouées lors d'événements scientifiques ou lors d'échanges prolongés en face à face.

Différents lieux favorisent la circulation de la connaissance et constituent l'espace d'adoption principal d'un mouvement scientifique. Il s'agit des centres de recherche ou des universités, assortis de leurs bibliothèques et centres de documentation. La plupart du temps, il s'agit de lieux physiques, ce qui implique une certaine viscosité pour la circulation des théories et des méthodes nouvelles vers l’extérieur. Les relations de proximité sont essentielles car pour connaître et adopter l’innovation, il est primordial de se trouver dans ou près des lieux qui centralisent ces ressources. Plus largement, les villes et les agglomérations constituent des lieux privilégiés de circulation des connaissances. Des économistes de la connaissance ont montré que ces lieux de rencontre particuliers favorisent les avancées et la construction des connaissances puisque, « le contact direct (face à face) reste en effet difficilement remplaçable malgré les avancées des télécommunications, car il facilite à la fois la découverte, l’acquisition et la reformulation des connaissances, notamment dans le cas de problèmes ouverts » (Memml, 2003, p. 239). La diffusion des connaissances n'est pas fluide mais obéit dans le meilleur des cas à « un maillage entre grands centres nationaux et régionaux (capitales et grandes villes) » (ibid., pp. 240- 241). Cela entraine donc une diffusion du mouvement scientifique d’une part à l'intérieur des centres et d’autre part par des réseaux, entre les centres, en évitant les territoires intermédiaires selon ce processus qui a été nommé « effet tunnel ». Ce sont par ailleurs dans la majorité des cas (à condition d’être implantés dans des villes de taille suffisante) les mêmes lieux qui associent réseaux sociaux, centres de documentation, et institutions de formation et qui ont toutes les chances de devenir un des pôles, des lieux moteurs du mouvement scientifique.

Par ailleurs, les mouvements scientifiques émergent dans des lieux différents. La nature de ces lieux influence leur évolution. Des auteurs tels que C. Vandermotten et al. (1999) affirment que la capacité d'insertion des innovations dans les réseaux urbains, et notamment dans les réseaux d'innovation, est très inégale entre les villes. Les différents participants à un mouvement qui cherchent à le développer ont plus de facilités à le faire lorsqu’ils vivent dans de plus grandes villes tout en misant sur les avantages d'agglomération car la mise en réseau des grandes villes est de plus en plus efficace à grande et très grande distance (Saint-Julien, 1999) : « la diffusion spatiale [...] est particulièrement sensible à la structure hiérarchique des systèmes de peuplement, le phénomène nouveau a tendance à apparaître en suivant le sens descendant de la hiérarchie urbaine ». Les mouvements scientifiques devraient donc émerger dans les pôles universitaires et de recherche et ce serait grâce à eux qu'ils pourraient se développer sur un plan international. Leur progression est donc de type hiérarchique, plus que par contagion locale.

L'apparition et les premiers développements du mouvement scientifique devraient donc se situer dans les lieux à haut potentiel d'adoption (universités et/ou laboratoires de recherche des villes les plus importantes) qui constituent les centres de la discipline (Paris et sa région étant pour la France, mais de manière inégale selon les disciplines, le centre principal, et une agglomération par ailleurs fortement connectée avec l'extérieur), pour se diffuser par la suite dans des lieux plus périphériques et moins connectés. Cependant le renouvellement du champ

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disciplinaire peut également venir de la périphérie de la discipline, loin du cœur contrôlé par les garants de la tradition, remettant en partie en question ce modèle hiérarchique de diffusion, et confirmant alors les objections formulées par J.-M. Besse (2010) à la considération des seules centralités aux dépens des marges.

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