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Chapitre 1 Le livre et ses espaces

1.2. Les espaces des livres

1.3.1. Un lieu de pratiques et de culture

1.3.1.1. Lieu de pratiques

Marie Després-Lonnet (2014)130, chercheur en SIC, travaille sur la médiation des savoirs et sur l’analyse des usages dans les environnements numériques. Elle propose d’ajouter à la notion de lieu, celle de pratique. Pour elle, le « lieu de pratique » serait associé à un comportement donné, convenu socialement, qui serait collectif et partagé. Cette définition du « lieu de pratique », que nous entendons comme un singulier générique, prend tout son sens lorsque les individus choisissent de donner la même signification à un lieu à travers la pratique qu’ils en font. L’auteur s’est intéressé à des « lieux de savoirs » au sens que lui donne Christian Jacob (Jacob, 2014)131 et explique comment l’affectation de certaines

pratiques à certains lieux permet d’organiser la vie sociale. Les individus entrant dans un lieu ont des attentes par rapport à ce lieu et aux documents qu’ils contiennent (Després-Lonnet, 2014)132. Le lieu de pratiques est ainsi un lieu anthropologique dans ce qu’il constitue une construction sociale qui englobe des acteurs, des activités, des comportements, des compétences professionnelles, des normes et des rites (Augé, 1992133 ; Goffman, 1973134).

La plupart des études ethnographiques en bibliothèque centrent leur réflexion sur les comportements des personnes qui utilisent les équipements documentaires. Stéphane Wahnich, explique que chaque lieu peut « développer ses propres comportements, donc ses propres lois. Il est vrai que le spatial, par ce qu’il offre à voir et par ce qu’il rend possible de faire, permet à chaque équipement d’être l’objet d’une loi ethnographique particulière »

130 DESPRÉS-LONNET Marie, 2014. Temps et lieux de la documentation. Transformation des contextes

interprétatifs à l’ère d’internet. Mémoire pour l’habilitation à diriger des recherches. Université Lille Nord de

France. 215 p.

131 JACOB Christian, 2014. Qu’est-ce qu’un lieu de savoir ? Marseille : OpenEdition press. 120 p.

(Encyclopédie numérique).

132 DESPRÉS-LONNET Marie, 2014. Temps et lieux de la documentation. Transformation des contextes

interprétatifs à l’ère d’internet. Op. cit.

133 AUGÉ Marc, 1992. Non-lieux : introduction à une anthropologie de la surmodernité. Op. cit.

134 GOFFMAN Erving, [1959] 1973. La mise en scène de la vie quotidienne, tome 1, La présentation de soi.

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(Wahnich, 2006)135. Pour Marie Després-Lonnet, le concept de lieu permet d’exprimer « le

caractère topique et référentiel des pratiques humaines » (Després-Lonnet, 2014)136.

Pour les individus, pratiquer un lieu ce n’est pas simplement le fréquenter, mais c’est en faire l’expérience. Cela peut passer, par exemple, par l’approche des ressources. Pour mieux comprendre comment les individus font l’expérience d’un lieu, nous allons voir comment ils se comportent dans un lieu de culture.

1.3.1.2. Lieu de culture

Le sociologue Julien Joanny s’est intéressé aux lieux culturels intermédiaires. Pour lui, le lieu de culture est avant tout un lieu de vie sociale. Nous retrouvons dans cette idée les dimensions de partage, d’échanges, de rapports entre les individus et d’enrichissements grâce aux interrelations. L’auteur parle « d’expériences où s’entremêlent l’individuel et le collectif ». Pour lui, le lieu n’est pas seulement le cadre de pratiques culturelles, le lieu existe bien du point de vue physique avec ses murs, son toit, ses portes, mais il comprend aussi une dimension symbolique. Il ne devient culturel qu’à partir du moment où ses occupants interagissent pour en faire un lieu culturel. « Le lieu est mouvement » (Joanny, 2012 : 19- 23)137 et l’habiter c’est le mettre en mouvement, être en mouvement avec lui et en lui. L’individu et le groupe laissent des empreintes de leurs passages dans les lieux qu’ils ont fréquentés. Ces traces de leurs passages construisent l’histoire du lieu, sa mémoire. Et Marc Augé remarque que « si un lieu peut se définir comme identitaire, relationnel et historique, un espace qui ne peut se définir ni comme identitaire, ni comme relationnel, ni comme historique définira un non-lieu » (Augé, 1992 : 100)138.

Le travail des chercheurs en géographie Antoine Fleury et Laurène Goutailler nous permet de comprendre ce qu’est un lieu de culture. Ils s’intéressent à un lieu de culture en particulier : la Maison des métallos située Paris 11e. Ils le définissent comme un lieu de création, répondant à une politique culturelle définie, un lieu proposant une programmation d’évènements culturels comme l’accueil de spectacles de théâtre et de danse, l’organisation d’expositions et de conférences. Le lieu de culture offre au public la possibilité de rencontrer des artistes, de participer à des activités favorisant des « enrichissements mutuels ». Il ne se définit pas par sa seule programmation mais aussi par son objectif : « en faire un lieu de mixité des cultures et des publics » (Fleury, Goutailler, 2014)139. Les habitants de ce quartier

« ont des pratiques et des représentations de la culture différenciées ». Pour certains, ce lieu renvoie « à des goûts et des pratiques à la fois élitistes et déconnectés du quartier » ; il apparait comme un lieu de l’entre-soi, « essentiellement fréquenté par des personnes au capital social élevé, extérieures au quartier ou peu intégrées à la vie locale » (Fleury,

135 WAHNICH Stéphane, 2006. Enquêtes quantitatives et qualitatives, observation ethnographique, Bulletin des

bibliothèques de France (BBF), n° 6, p. 8-12.

136 DESPRÉS-LONNET Marie, 2014. Temps et lieux de la documentation. Transformation des contextes

interprétatifs à l’ère d’internet. Op. cit.

137 JOANNY Julien, 2012. Entre inscription et subversion, les lieux culturels intermédiaires. Des expériences

aux creux des villes. Op. cit.

138 AUGÉ Marc, 1992. Non-lieux : introduction à une anthropologie de la surmodernité. Op. cit.

139 FLEURY Antoine, GOUTAILLER Laurène, 2014. Lieux de culture et gentrification. Le cas de la Maison des

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Goutailler, 2014)140. Cette approche du lieu de culture montre combien sa fréquentation et les

pratiques qui y sont développées jouent sur l’approche du lieu par d’autres individus. En fait, si le responsable d’un lieu de culture propose des actions, des activités culturelles, c’est le public qui s’emparera ensuite dudit lieu et le transformera à travers ses propres pratiques, ses comportements, ses façons d’agir. Et ces agissements pourront rejeter d’autres individus qui ne se sentiront plus concernés par le lieu car trop éloignés dans leurs propres pratiques de celles prédominantes du premier groupe. Le CDI apparaît donc comme un lieu de pratiques et de culture, mais peut-on aussi le qualifier de troisième lieu ?

1.3.1.3. Troisième lieu

Mathilde Servet (2009)141, dans son mémoire de préparation au diplôme de conservateur des bibliothèques, parle des bibliothèques comme d’un troisième lieu. Elle appuie sa réflexion sur les travaux du sociologue américain Ray Oldenburg (2001)142 qui a imaginé le concept de third place au début des années 1980. Mathilde Servet les qualifie de véritables lieux de vie, lieux de rencontres et de centres culturels communautaires. Elle décrit ces espaces publics comme des « endroits où les gens peuvent se réunir et entrer en interaction » (Servet, 2009)143. Cette idée de troisième lieu apparaît après la définition du premier lieu qui renvoie à la vie à la maison, au foyer et au deuxième lieu, réservé au travail. Trois espaces qui se distinguent donc à la fois géographiquement et par leurs fonctions. Pour Ray Oldenburg et Mathilde Servet, le troisième lieu permet « à une vie communautaire informelle de s’épanouir », il favorise le plaisir d’être ensemble, l’entraide et le respect (Servet, 2009 : 22-25)144. Ray Oldenburg pose le café, le pub, abréviations de « public house », comme faisant partie de ces troisièmes lieux. Ils représentent, pour lui, des lieux de rendez-vous, neutres, démocratiques qui font le bien-être de la communauté qui les fréquente. Mathilde Servet reprend les caractéristiques de ces lieux citées dans l’œuvre de Ray Oldenburg : un terrain neutre dénué de toute obligation, un lieu sans contrainte, au cadre confortable, convivial et propice aux rencontres, aux échanges, aux conversations. Ces lieux placent les individus sur un même pied d’égalité, Mathilde Servet parle de « niveleur social ». Ils rassurent notamment par leur simplicité, procurent confiance, joie et plaisir, ils sont ouverts à tous, facilement accessibles, ouverts en dehors des temps de travail, ils permettent de venir s’y ressourcer. Ils ouvrent leurs portes à des habitués qui jouent un rôle important dans les interactions et dans l’atmosphère du lieu. Il donne à chacun un « sentiment d’appartenance » à un groupe formant ainsi un réseau de connaissances. Chacun s’y sent à l’aise ce qui permet de laisser s’exprimer sa personnalité. Et bien que Ray Oldenburg ne

140 FLEURY Antoine, GOUTAILLER Laurène, 2014. Lieux de culture et gentrification. Le cas de la Maison des

métallos à Paris, Op. cit.

141 SERVET Mathilde, 2009. Les bibliothèques troisième lieu. Villeurbanne : ENSSIB. Mémoire d’étude.

Diplôme de conservateur des bibliothèques. 83 p.

142 OLDENBURG Ray, 2001. Celebrating the third place ; inspiring stories about the great goog places at the

heart of our communities. New York : Marlowe & Co. 224 p.

143 SERVET Mathilde, 2009. Les bibliothèques troisième lieu. Op. cit. 144 SERVET Mathilde, 2009. Les bibliothèques troisième lieu. Op. cit.

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présente pas les bibliothèques comme étant des troisièmes lieux, Mathilde Servet, elle, cherche à opérer des rapprochements.

1.3.1.4. Le CDI, un lieu polymorphe

Le CDI, plus encore que la bibliothèque, parce qu’appartenant à l’école, inclut contraintes et obligations. Pourtant dans les collèges et les lycées ils offrent quelque chose de différent des autres espaces : classes, cours de récréation, foyer, et on y trouve des marques qui définissent le troisième lieu.

La circulaire de missions des professeurs-documentalistes de 2017145 pose le CDI

comme un lieu de culture. C’est la première fois que cette dimension culturelle apparaît de manière officielle. Comment se manifeste cette dimension culturelle ? Qu’apporte le lieu CDI aux élèves en termes de culture ? Le CDI contribue-t-il à réduire les inégalités entre les élèves quant à l’accès à la culture. La diversité de ses ressources et de ses outils, son offre riche et diversifiée de ressources tant numériques que physiques en font un lieu de découvertes et d’enrichissement. Cette pluralité de documents contribue au développement de l'esprit critique face aux sources de connaissance et d'information.

Aucun CDI ne ressemble à un autre. Chacun des espaces documentaires dépend de l’histoire de l’établissement dans lequel il est implanté, de son environnement, de ses contraintes matérielles, structurales, politiques. Le contexte local, les filières et les formations dispensées par l’établissement modifient l’aménagement des espaces, les ressources. On peut dire que la culture se retrouve en partie dans l’équipement et dans les ressources mises à disposition.

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