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Chapitre 1 Le livre et ses espaces

1.2. Les espaces des livres

1.2.3. L’appréhension des espaces par les individus

L’espace est perçu très différemment selon les individus. Plusieurs auteurs ont étudié ce rapport qu’ils entretiennent à l’espace. L’anthropologue américain Edward Twitchell Hall explique comment les personnes sont sensibles aux espaces et comment leurs expériences kinesthésique et visuelle diffèrent selon qu’ils sont Japonais, Européens ou Américains (Hall, 1971 : 73)122. L’adjectif kinesthésique renvoie à « la sensation de mouvement des parties du corps »123. Il s’agit donc de la perception, de la sensibilité, des sensations, des impressions ressenties. L’individu peut faire appel à sa mémoire kinesthésique, au plaisir pris dans une situation ou dans un lieu donné. Selon Edward Hall, la culture des individus influerait sur leur perception des espaces. Les personnes vivent des expériences très variées de l’espace car, même s’ils ne sont pas visibles, l’espace transmet des messages. Hall distingue l’espace visuel, le plus couramment utilisé par l’homme ; l’espace kinesthésique, l’espace thermique capté par la peau et l’espace tactile, qui permet au sujet par le toucher, de capter des informations sur son environnement direct. Par ses sensations, il entre en relation avec l’espace environnant et développe ainsi un sentiment inhibant ou stimulant (Hall, 1971 : 86)124.

120 FABRE Isabelle, 2011. La contribution de l'espace documentaire à la définition d'un tiers métier : professeur-

documentaliste. Dans : Professeur-documentaliste : un tiers métier ? France : Educagri Éditions, p. 191-208.

121 MAURY Yolande, 2011. Espaces documentaires, espaces de savoir, espaces d’expérience : vers une

redéfinition du modèle des CDI ? Dans : Actes du 39ème congrès annuel CAIS-ACSI - Les intersections : gens, lieux, information, Université du Nouveau-Brunswick et Université Saint-Thomas, Fredericton, Nouveau-

Brunswick (Canada), 2-4 juin 2011, Disponible sur : http://www.cais-acsi.ca/proceedings/2011/13_Maury.pdf Consulté le 16 avril 2018.

122 HALL Edward Twitchell, 1971. La dimension cachée. Paris : Seuil, 254 p. (Essais).

123 CNTRL: Trésor de la langue française. Outils et Ressources pour un Traitement Optimisé de la Langue.

Disponible sur: http://www.cnrtl.fr. Consulté le 16 avril 2017.

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Quant à Georges Perec, dans son œuvre Espèce d’espace, il s’intéresse aux lieux de la vie quotidienne. Il approche l’espace à travers une tentative d’épuisement. Il cherche à voir autrement les espaces ordinaires : l’espace de la page investie par l’auteur, la chambre, l’appartement, l’immeuble ou le quartier. Il cherche à se les approprier en les regardant pour mieux les comprendre (Pérec, 1974)125.

De son côté, Mathis Stock, professeur de géographie du tourisme, s’est intéressé à la manière dont les sociétés humaines appréhendent les dimensions spatiales. Il propose de réfléchir à la manière dont les individus pratiquent les lieux ce qu’il nomme « l’habiter ». Nous pourrions dire qu’un lieu porte en lui une identité propre, ressentie différemment selon les individus qui le créent, puis l’habitent. Le lieu peut alors sembler étranger ou familier. Mathis Stock s’interroge, dans un contexte géographique, sur les manières dont les individus pratiquent les lieux. Il explique que le rapport au lieu n’existe pas en soi, de façon indépendante ; pour lui, il est étroitement lié à la question des pratiques et des représentations (Stock, 2004)126. Étudier les pratiques des lieux, au sens de Stock, c’est se situer du côté de la spatialité et non de l’espace (Lussault, 2003)127 c’est-à-dire de ce « qui relève des actions

spatiales des individus à travers différentes technologies et instruments ainsi que leurs langages et imaginaires ». Autrement dit, porter l’attention aux pratiques humaines dans un espace donné et à leurs interactions.

« Faire l’expérience d’un lieu » est pour le sociologue Julien Joanny un engagement de la part de l’individu, un engagement dans une pratique, la pratique du lieu. Et nous pouvons, dans la lignée de ses travaux, poser la question de la motivation des individus à vouloir vivre l’expérience d’un lieu. En s’appuyant sur plusieurs exemples, cet auteur montre que ce sont les sentiments de manque et de besoin qui font entrer les personnes dans un lieu. La rencontre avec un individu pratiquant le lieu peut faire entrer un autre individu auparavant exclu. Le sujet apprend à s’approprier l’espace. Une interaction se construit entre le lieu et les pratiques des usagers. Le lieu ne fixe pas le collectif, il opère sur les individus un mouvement de chacun dans leur adaptation, leur apprivoisement aux contraintes exigées par le lieu (Joanny, 2012 : 195-287)128.

Chaque peuple fonctionne avec des cadres et des références politiques, sociales, culturelles différentes. Les bibliothèques et les centres documentaires existent dans cette diversité : ils sont à l’image des communautés de lecteurs qui les fréquentent (Calenge, 2015)129. Ces lieux sont des espaces sociaux et culturels. Qu’en est-il des CDI en France ?

125 PEREC Georges, 1974. Espèces d’espaces. Paris : Galilée. 200 p.

126 STOCK Mathis, 2004. L’habiter comme pratique des lieux géographiques, EspacesTemps.net, Travaux.

Disponible sur : http://www.espacestemps.net/articles/habiter-comme-pratique-des-lieux-geographiques/ Consulté le : 21 mai 2017.

127 LUSSAULT Michel, 2003. Spatialité. Dans : LUSSAULT Michel et LEVY Jacques (dir.). Dictionnaire de la

géographie et de l’espace des sociétés. Paris : Belin. 1034 p.

128 JOANNY Julien, 2012. Entre inscription et subversion, les lieux culturels intermédiaires. Des expériences

aux creux des villes. Thèse de doctorat en Sociologie, Université de Grenoble, 583 p.

129 CALENGE Bertrand, 2015. Les bibliothèques et la médiation des connaissances. Paris : Éd. Du Cercle de la

33 1.3. Le CDI, un lieu alternatif

Si nous questionnons l’espace CDI du point de vue des usagers élèves, nous pouvons dire qu’ils en ont leurs propres représentations et en ont aussi des attentes variées. Ils s’emparent de cet espace et y mènent différentes activités en fonction de ce que leur propose l’institution. Pour comprendre en quoi le CDI est un lieu alternatif, il nous paraît possible de le circonscrire comme un lieu de pratiques et de culture (1.3.1.). Puis nous chercherons comment ses différentes appropriations ont été analysées (1.3.2.).

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