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Dessiner peut faire naître des questionnements autour des usages et des représentations. En effet, cette méthode a été utilisée en SIC pour approcher les représentations de l’espace documentaire (Fabre, 2006721 ; Fabre, Veyrac, 2008722), de l’ordinateur et de ses périphériques (Holo, 2010)723, les usages d’Internet (Jankeviciute,

2013)724. Concernant les pratiques de lecture, seuls les travaux d’Edith Mercier font état de cette méthode mais ne laissent voir que les dessins de l’observateur. Peut-on donc faire dessiner les lecteurs eux-mêmes ? Que peut nous apporter cette méthode du dessin sur les pratiques ?

À l’origine du dessin on trouve : le dessein, le projet, l’idée. Le dessin est une projection matérielle qui donne forme à une idée. C’est une activité manuelle et intellectuelle qui ouvre une voie vers la lecture puisque qu’il renferme un langage graphique. Il est une vision du monde, l’expression d’une expérience vécue (Caune, 2017)725. Le dessin est

signifiant, porteur d’un message visuel, non verbal.

721 FABRE Isabelle, 2006. L’espace documentaire comme espace de savoir : itinéraires singuliers et

imaginaires littéraires. Thèse de doctorat en sciences de l’information et de la communication, Université de

Toulouse II-Le Mirail, 356 p.

722 FABRE Isabelle, VEYRAC Hélène, 2008. Des représentations croisées pour l’émergence d’une médiation de

l’espace documentaire, Communication & langages, Nec Plus, n° 156, p. 103-115.

723 HOLO Amon, 2010. Les Technologies de l’Information et de la Communication dans l’enseignement du

premier degré en France. Contribution à l’étude des compétences des élèves de l’école élémentaire en TIC, les origines et modes d’acquisition de celles-ci. Thèse de doctorat en sciences de l’information et de la

communication, Université Paris Descartes, 235 p.

724 JANKEVICIUTE Laura, 2013. Internet et les préadolescents : quels usages ? Approche visuelle et

participative. Thèse de doctorat en sciences de l’information et de la communication, Université Michel de

Montaigne Bordeaux 3, 621 p.

725 CAUNE Jean, 2017. La médiation culturelle : expérience esthétique et construction du vivre-ensemble.

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En SIC, on retrouve la question du dessin notamment à travers des titres de revues comme par exemple : Les cahiers d’esquisse ou Schéma et schématisation. Chaque type de dessin possède ses propres caractéristiques. Ainsi, par exemple, le dessin technique propose des vues en coupe et plusieurs points de vue ; l’esquisse est un premier jet, un dessin préparatoire ; le schéma, lui, est une figure géométrique qui donne une représentation simplifiée d’un objet.

Le dessin est utilisé depuis de nombreuses années par des savants et chercheurs de toute discipline. Les images produites éclairent le fonctionnement de la science et la construction des connaissances (Sicard, 1997)726. Les dessins apportent des détails et permettent de clarifier la pensée (Escallier, 2016)727. Marcel Mauss (1872-1950), André Leroi-Gourhan (1911-1986), Théodore Monod (1902-2000), Claude Lévi-Strauss (1908- 2009), Michael Taussig (1940- ) ont tous utilisé le dessin dans leurs recherches. Analysant ses propres croquis, Taussig explique qu’ils ont une valeur esthétique et descriptive (Taussig, 2011)728. Dans le domaine de l’archéologie par exemple, le dessin vient en complément de la photographie.

Par l’observation, celui qui dessine entre dans des « intimités qui ne se donnent pas à être facilement exposées » (Pinson, 2016)729. Dessiner revient à comprendre, interroger,

décrire, donner un point de vue singulier de ce qu’on observe (Bosqué, 2015)730.

Faire dessiner les élèves permettrait-il d’obtenir des regards et des représentations de la lecture ? En s’entraînant, l’enfant parvient à ralentir son geste et à produire un dessin porteur de sens et fidèle à son intention. Le dessin produit est une « production artisanale » (Caune, 2017)731, un support expressif, une « représentation explicative du réel » (Davallon,

2004)732. Il laisse une trace graphique, une empreinte personnelle.

Pour que le dessin soit considéré comme objet de médiation il implique un investissement de la part de celui qui dessine. Le dessin de soi lecteur explore des comportements, des postures, des manières d’être, une identité du lecteur, un rapport au corps et au livre. Parce que la situation est différente selon qu’elle est perçue par l’individu lui- même ou par les autres (Coulon, 1996)733 la scène de lecture gagne à être observée depuis différents points de vue. Le dessin situe son objet dans un temps laissant le dessinateur porter un regard sur son époque (Agamben, 2008)734.

La pratique de la lecture comme celle du dessin peut être considérée comme une expérience qui peut laisser des traces psychiques chez l’individu. L’expérience esthétique

726 SICARD Monique, 1997. Les paradoxes de l’image. Op. cit.

727 ESCALLIER Christine, 2016. De l’objet intrinsèque à la pensée technique : le rôle médiateur du dessin en

ethnographie maritime, Cadernos de Arte e Antropologia, Vol. 5, n° 2, p. 49-73.

728 TAUSSIG Michael, 2011. I swear I saw this : drawings in fieldwork notebooks, namely my own. Chicago ;

London : The University of Chicago Press. 173 p.

729 PINSON Daniel, 2016. L’habitat, relevé et révélé par le dessin : observer l’espace construit et son

appropriation, Espaces et sociétés, Vol. 1, n° 164-165, p. 49-66.

730 BOSQUÉ Camille, 2015. Ibid.

731 CAUNE Jean, 2017. La médiation culturelle : expérience esthétique et construction du vivre-ensemble. Op.

cit.

732 DAVALLON Jean, 2004. Objet concret, objet scientifique, objet de recherche, Hermès, La Revue, Vol. 1, n°

38, p. 30-37.

733 COULON Alain, 1996. L’ethnométhodologie. Paris : Presses Universitaires de France. 128 p. (Que sais-je ?). 734 AGAMBEN Giorgio, 2008. Qu’est-ce que le contemporain ? Paris : Édition Payot & Rivages. 43 p. (Rivages

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implique totalement le sujet qui se façonne par une éducation sensible (Caune, 2017)735, il

prend le temps dans l’action et y revient de manière procédurale (Schaeffer, 2015)736. En SIC,

l’expérience esthétique peut être utilisée pour approcher les pratiques (Fabre, 2017)737.

La recherche présentée ici se situe dans le cadre d’un CDI de collège des Pyrénées Orientales accueillant des élèves entre dix et seize ans. D’une manière plus large, l’école est un lieu contraignant car elle est régie par des normes, des règles, des contraintes qui s’appliquent à tous. De même, elle impose aux élèves ses contenus d’apprentissages (Lobrot, 1982738 ; Fumat, 1997739), et ceux qui s’opposent au fonctionnement du système scolaire sont envoyés dans des classes adaptées. L’État propose des enseignements et les élèves doivent s’adapter, trouver leur place, construire leur projet personnel. À ce sujet, le sociologue Robert Ballion dénonce une école au modèle unique pour des élèves pluriels (Ballion, 1982)740 qui s’efforce d’offrir à chaque élève un capital scolaire englobant des compétences en matière d’écriture et de lecture. À l’intérieur des établissements, les BCD pour le primaire et les CDI pour le secondaire sont des lieux réservés à la lecture. Au collège de Saint-André, le CDI accueille des élèves pour des séances de culture de l’information avec le professeur- documentaliste. L’analyse des cahiers de bord du premier principal nommé aide à appréhender le contexte et à comprendre comment les différents acteurs perçoivent le CDI.

L’immersion au sein de cet espace documentaire nous place en position d’observateur. L’espace lui-même fournit le matériau de base de la recherche et permet d’être au plus près des sujets observés. L’observateur trouve un équilibre entre le détachement et la participation (Diaz, 2005)741, il cherche à s’extraire de ses habitudes professionnelles pour développer une

capacité d’analyse.

Bien qu’ils ne soient pas tous des usagers réguliers du CDI, tous les élèves sont amenés à fréquenter le CDI d’une manière ou d’une autre durant leur scolarité au collège. Il est donc possible d’interroger leurs habitudes de lecture. La population observée étant mineure, nous demandons leurs autorisations ainsi que celles de leurs représentants légaux pour réaliser notre enquête. L’observation des pratiques peut se dérouler durant une expérience de lecture menée au collège. La mise en place d’un temps de lecture d’une demi- heure par semaine inscrit dans l’emploi du temps des élèves a permis de relever des comportements. Cette expérience est couplée à des entretiens individuels ainsi qu’à des entretiens collectifs en séances durant lesquels nous avons pu relever des verbatim et collecter des dessins d’élèves. Mais la question reste posée quant à l’analyse de ces scènes de lecture.

Ce sont les langages documentaires qui nous apportent des réponses. En effet, ils permettent de « représenter de manière univoque les notions identifiées dans les documents et

735 CAUNE Jean, 2017. La médiation culturelle : expérience esthétique et construction du vivre-ensemble. Op.

cit.

736 SCHAEFFER Jean-Marie, 2015. L’expérience esthétique. Paris : Gallimard. 366 p.

737 FABRE Isabelle, 2017. Médiation du contemporain : expérience esthétique de dispositifs documentaires.

Retour réflexif sur les pratiques professionnelles. HDR en Sciences de l’information et de la communication. 1er

décembre 2017. Vol 1. 401 p. Vol. 2. 147 p.

738 LOBROT Michel, 1982. Une pédagogie pour les masses. Op. cit. 739 FUMAT Yveline, 1997. Contraintes, conflits, violences à l’école. Op. cit.

740 BALLION Robert, 1982. Les consommateurs d’école, Esprit, novembre-décembre, p. 92-99.

741 DIAZ Frédéric, 2005. L’observation participante comme outil de compréhension du champ de la sécurité,

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dans les demandes des utilisateurs, en prescrivant une liste de termes ou d’indices, et leurs règles d’utilisation » (Boulogne, 2004 : 144)742. Ils sont utilisés en documentation dans

l’approche des contenus. L’enjeu de la documentation est de produire une représentation descriptive d’un objet.

Traduire le contenu informationnel d’un document demande une intervention humaine (Meyriat, 1993). C’est une opération d’analyse qui met en jeu les facultés de compréhension et d’interprétation de l’indexeur. Il s’agit d’une « science de l’imprécis » qui fait appel au jugement de l’homme (Vieira, 1997)743. L’analyse documentaire est une opération

intellectuelle qui consiste « à identifier les informations contenues dans un document ou un ensemble de documents et à les exprimer sans interprétation ni critique » (Boulogne, 2004)744. L’analyste cherche à constituer verbalement la structure informative de l’image : l’objet du dessin, le point de vue, l’angle du dessin, la condition contextuelle (Vieira, 1997)745.

Nous choisissons d’approcher cinq outils documentaires pour comprendre comment ils ont intégré les concepts de livre et de lecture. Le premier, le thésaurus Iconclass (1950), est un outil utilisé par les musées au niveau international pour décrire les œuvres d’art. La lecture apparaît dans une partie appelée : « société civilisation culture » et dans une sous-partie : « éducation science et savoir ». Cette manière de présenter la lecture apporte des éléments sur ses accessoires : « pupitre », « signet de livre » par exemple ou sur le contexte de lecture : « Marie apprend à lire à l’enfant Jésus ». Cet outil révèle des éléments concernant des scènes de lecture bibliques, religieuses ou de la vie quotidienne. Le deuxième outil est le thésaurus de l’Unesco (1974). Il sert à l’analyse de documents textuels dans plusieurs domaines dont : l’éducation, la culture et les sciences. Il y est donc question par exemple d’ « habitude de lecture », de « lecture orale », de « lecture rapide », de « matériel de lecture » ou de « programme de lecture ». Le troisième outil est le thésaurus iconographique de Garnier (1984). Il se compose d’un vocabulaire utilisé par les musées de France. Utilisé dans une volonté de traduire les contenus iconographiques des représentations en langage documentaire. Par ce thésaurus, François Garnier souhaite déterminer la signification essentielle de l’image décrite. Le quatrième outil, Getty Images (1995), est une banque d’images consultable en ligne. Ce site Internet utilise pour la description de ces images des vocabulaires non contrôlés. La description des images est réalisée par les internautes eux- mêmes d’une façon spontanée. Chaque lecteur d’image peut ainsi tagger des contenus sans se référer aux langages documentaires. Il s’agit d’une « écriture profane » (Régimbeau, 2008)746.

Ce type d’indexation est appelée folksonomie. Le dernier outil retenu est le schéma de classification de la bibliologie (XVe siècle). Il a été réalisé par l’un des précurseurs de la bibliologie : Al KalKashandi.

742 BOULOGNE Arlette, 2004. Vocabulaire de la documentation. Paris : ADBS. 334 p.

743 VIEIRA Louis, 1997. Méthode d’analyse de l’image d’information : analyse de contenu iconique par les

formes du contenu, Communication et organisation, Disponible sur :

http://journals.openedition.org/communicationorganisation/1934#quotation Consulté le 26 avril 2017.

744 BOULOGNE Arlette, 2004. Vocabulaire de la documentation. Paris : ADBS. 334 p. 745 VIEIRA Louis, 1997. Op. cit.

746 RÉGIMBEAU Gérard, 2008. Des savoirs en histoire de l’art sur internet : écritures profanes, spécialisées et

documentaires. Rio de Janeiro : 1er colloque du réseau MUSSI. Médiation et usages des savoirs et de

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Des éléments peuvent être extraits de ces outils en vue d’approcher le livre et la lecture. On y relève par exemple des contenus très diversifiés : psaumes, lois, écritures saintes ; des domaines dans lesquels s’exerce cette lecture : éducation, culture, enseignement ; des verbes d’action associés à la lecture comme enseigner, réciter, apprendre, écrire, inscrire, tenir le calame. La notion de temps est présente : temps libre, faire une pause, s’évader du réel ; celle de posture aussi : couché, alité, assis, en appui, sur le côté ; des gestes : se tenir la tête entre les mains ; des comportements : se concentrer, être curieux ; des lieux : temple, tente, la tombe d’Achille ; la fonction du lecteur : théologien, ermite, homme ou femme de lettres.

De notre côté, afin d’approcher les lecteurs, nous avons collecté des dessins de scènes de lectures auxquels nous avons associé des bribes de récits de soi, des témoignages par d’autres jeunes, d’expériences intimes de lecture. Ces données offrent des regards intimes et pluriels. Les dessins apparaissent comme une approche sensible de l’acte de lire, sensorielle et esthétique à la fois. Ils sont signifiants. Les indices dont ils sont porteurs nous permettent de construire une grille d’interprétation qui nous permet de questionner le dessin.

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TROISIÈME PARTIE

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