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Synthèse chapitre 1 Le livre et ses espaces

Chapitre 2 La formation des lecteurs

2.3. Comprendre les pratiques de lecture

2.3.4. Influence du support sur la pratique

Quelle que soit la discipline : SIC, histoire du livre, sociologie ou littérature, toutes notent des changements tant dans la matérialité du support que dans la forme des contenus et dans la façon de lire elle-même. Lors d’une conférence à l’École nationale des chartes, Frédéric Barbier289 présentait son ouvrage Histoire des bibliothèques : d’Alexandrie aux bibliothèques virtuelles. Il explique comment la communication d’un contenu s’appuie sur un dispositif matériel. Le livre, selon la manière dont il se présente, ne propose pas le même texte, n’est pas le même livre, n’offre pas les mêmes possibilités de lecture et d’appropriation. Dès lors qu’on change de dispositif matériel, on change la nature de son contenu. Frédéric Barbier voit dans ce changement de support matériel et dans les modifications des pratiques induites par ces supports : le prolongement d’une histoire matérielle de la pensée.

L’historienne du livre Leslie Howsam montre que les différentes formes matérielles du livre à travers son histoire peuvent nous éclairer sur les pratiques de lecture contemporaines : « l’histoire du livre est une manière de réfléchir à la façon dont les gens confèrent une forme matérielle au savoir et aux histoires. Ceux-ci sont intangibles ; ce sont leurs formes matérielles qui les rendent accessibles par-delà les barrières du temps et de l’espace. […] La réflexion autour des livres anciens nous donne accès à des vestiges du passé et nous rappelle que les nouveaux livres incarnent, à leur tour, les pratiques de notre époque » (Howsam,

288 ARZUMANYAN Lusine, MAYRHOFER Ulrike, 2016. L’adoption des outils numériques dans les

communautés de pratique. Le cas du Groupe SEB, Op. cit.

289Histoire des bibliothèques : d’Alexandrie aux bibliothèques virtuelles. (Durée : 1heure 11minutes).

Disponible sur : https ://www.franceculture.fr/conferences/ecole-nationale-des-chartes/histoire-des- bibliotheques-dalexandrie-aux-bibliotheques Consulté le 19 avril 2017.

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2015)290. Cette définition met en lumière plusieurs aspects du livre à travers ses différentes

époques. Elle met l’accent sur ses supports, ses formes matérielles qui permettent l’accessibilité et la transmission de son contenu. Elle explique que l’histoire du livre imprimé n’est qu’une partie de l’histoire du livre (Howsam, 2016)291. « Le livre se caractérise par sa

mutabilité » écrit-elle (Howsam, 2016)292.

Le changement de support conduit inévitablement à de nouvelles pratiques de lecture. En choisissant de lire sur écran, le lecteur induit une nouvelle relation, il peut choisir de lire de manière non linéaire. Il peut butiner, vagabonder, partager ses lectures, choisir de grossir la taille des caractères (Benhamou, 2012)293.

Le sociologue Olivier Donnat (2009)294 voit dans la dématérialisation des contenus une consécration des écrans ; pour lui, c’est par ce support que passe à présent le rapport des individus à la culture : les images, la musique, les textes. Il interroge l’équivalence des supports de lecture et le temps passé par les adolescents devant les écrans, mais on peut se demander avec Maryanne Wolf : quel est leur taux de compréhension des informations ? (Wolf, 2015 : 115)295. C’est ce que se demande aussi Marie Després-Lonnet, dans son travail sur « les temps et lieux de la documentation : transformation des contextes interprétatifs à l’ère d’internet » (Després-Lonnet, 2014 : 9)296. Elle remarque que l’appropriation des savoirs

passe par le recours, de plus en plus systématique, aux dispositifs numériques.

« Les adolescents n’ont jamais autant lu… sur écran » écrit Silvère Mercier, chargé de médiation numérique à la bibliothèque publique d’information (BPI) - Centre Pompidou. Il remarque le passage d’une lecture intériorisée à une lecture partagée. Il convoque Christian Vanderlope pour évoquer cette forme de lecture active qui s’accompagne de recommandations, de partages, d’annotations. Il parle de « lecture sociale », orientée vers les autres et vers d’autres pratiques. Il cite en exemple l’utilisation des popular highlihts « que propose Amazon, rendant lisible les passages surlignés par d’autres lecteurs dans un même ouvrage sur support numérique » (Mercier, 2011)297. Mais alors cette façon de lire de manière ciblée n’oriente-t-elle pas la lecture ?

Antoine Compagnon décrit sa propre expérience de lecteur. Il évoque une lecture numérique plus active que la lecture sur papier. N’est-ce pas une pratique courante de s’arrêter pour éclairer un détail, dériver sur Wikipédia et finir par oublier le texte initial ? L’auteur explique : « quand il m’arrive de rechercher une page par où je suis passé, à l’onglet « historique » de Firefox, je suis sidéré par le parcours que j’ai suivi » (Compagnon, 2012)298.

Cette forme de lecture est vécue comme une aventure, un parcours sur un chemin balisé, c’est

290 HOWSAM Leslie (dir.), 2015. The Cambridge Companion to the History of the Book. Cambridge :

Cambridge University Press, p. 1.

291 HOWSAM Leslie, 2016. Réfléchir par l’histoire du livre, Mémoires du livre, Vol. 7, n° 2. 292 HOWSAM Leslie, 2016. Ibid.

293 BENHAMOU Françoise, 2012. Le livre et son double. Réflexions sur le livre numérique, Le Débat, 3, n°

170, p. 90-102.

294 DONNAT Olivier, 2009. Les pratiques culturelles des Français à l’ère du numérique : enquête 2008. Paris :

La découverte : Ministère de la Culture et de la Communication. 282 p.

295 WOLF Maryanne, 2015. Proust et le calamar. Op. cit.

296 DESPRÉS-LONNET Marie, 2014. Temps et lieux de la documentation. Transformation des contextes

interprétatifs à l’ère d’internet. Op. cit.

297 MERCIER Silvère, 2011. La lecture à l’ère du numérique : dissolution et réinventions. Op. cit. 298 COMPAGNON Antoine, 2012. Lire numérique, Le Débat, Vol. 3, n° 170, p. 103-106.

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un véritable itinéraire qu’a suivi le lecteur avec des étapes choisies. Pour lui, cette manière de lire est une question de génération. Antoine Compagnon explique que les personnes de son âge savent « encore lire de manière prolongée, sans trop naviguer » (Compagnon, 2012)299. Elles arrivent à dissocier les deux pratiques de lectures qui convoquent deux façons d’être différentes. L’auteur parle du plaisir « d’autant plus intense que l’expérience est devenue plus rare » qu’il prend à se replonger dans un livre qu’il nomme : « livre sans secours numérique ». Cependant il s’interroge sur les pratiques de lecture des générations suivantes.

Dans le même sens, Jean Caune remarque, lui aussi, l’importance du support de lecture et son influence dans sa prise en main par le lecteur. Il explique que « la modification du support de médiation et de réception transformerait alors l’acte de perception. Les actes de lecture, de visionnement et d’audition qui relevaient d’attitudes psychiques différentes et correspondaient à des pactes de réception distincts se superposeraient dans une perception simultanée » (Caune, 2017 : 37)300.

Ces différents travaux nous ont permis d’établir un tableau de synthèse sur l’influence des supports sur la pratique de lecture (annexe J). Nous avons relevé des évolutions dans les modalités de lecture et dans le maniement des livres. Les auteurs soulignent notamment les changements d’habitudes des lecteurs ou la perte de certains repères. À la lumière de ces recherches, il nous semble possible de faire l’hypothèse que puisque le support et la manière de lire sont impactés par des changements, le lecteur est lui aussi amené à se transformer en profondeur. A-t-il conscience de ces bouleversements ?

299 COMPAGNON Antoine, 2012. Ibid.

300 CAUNE Jean, 2017. La médiation culturelle : expérience esthétique et construction du vivre-ensemble.

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