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appréhender le contexte de la recherche

5.2. Le terrain d’investigation : le CDI d’un collège rural des Pyrénées-Orientales

5.2.3. Le Centre de Documentation et d’Information

Au 1er septembre 2011, date de notre nomination, le CDI du collège est un espace d’environ deux cents mètres carrés, situé au premier étage de l’établissement, éloigné de la cour de récréation, isolé du bruit. Spacieux et lumineux, il propose une grande salle principale de consultation et de travail, dispose d’une petite salle pour l’accueil d’ateliers en petits groupes, d’une réserve pour les ouvrages en cours de traitement, d’une salle réservée aux séries de livres dédiées aux enseignants de lettres. Le CDI communique avec une salle informatique équipée de trente postes informatiques et d’un vidéoprojecteur : c’est un espace ouvert à tous les élèves et personnels de l’établissement, un cadre propice à la recherche documentaire et aux apprentissages.

Le professeur-documentaliste, en partenariat avec les autres enseignants ou en autonomie, met en place des séances pédagogiques pour l’apprentissage des savoirs info- documentaires. Ces séances permettent aux élèves d’utiliser les ressources du CDI et influent fortement les pratiques informatives. Les élèves sont le principal public du CDI, ils viennent librement lorsqu’ils n’ont pas de cours inscrits dans leur emploi du temps et y restent généralement une heure ou deux, durant lesquelles ils lisent ou travaillent de manière autonome.

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Figure n° 2. Schéma de l’espace documentaire : CDI du collège Pierre Mendès France, 66690 Saint-André

L’immersion prolongée nous place en position d’acteur et d’observateur, dans la situation d’appréhender des scènes de lecture, de cerner des pratiques de lecture et d’observer les élèves dans leurs relations aux livres et aux espaces du livre.

Salle de travail Salle de travail et de lecture Accueil Entrée Documentaires Fictions Périodiques Accès salle informatique Espace nu m ériq u e

127 5.3. Observation participante

La notion d’observation participante serait apparue dans les années 1930 en tant que technique de recherche (Platt, 1983)593. Elle implique une immersion totale du chercheur sur son terrain. La place centrale qu’il occupe et la durée pendant laquelle il observe lui permettent de saisir les subtilités du terrain. Il questionne, photographie, prend des notes, tient un journal (Arborio, Fournier, 2010)594. Cet espace lui fournit les matériaux de base de ses analyses (Malinowski, 1989)595. Si Pierre Bourdieu reproche à cette méthode de se centrer sur

une contradiction : être à la fois partie prenante et à distance du jeu social (Bourdieu, 1978)596, que le sociologue Bastien Soulé y voit un risque de manquer de recul et de perdre en objectivité (Soulé, 2007 : 128)597, l’observation participante permet néanmoins de vivre la réalité des sujets observés, être au plus près, être en empathie avec eux. La démarche d’observant participant induit des relations de proximité, voire une intimité avec les sujets observés (Soulé, 2007 : 131)598. Le chercheur est investi d’une place dans laquelle il doit trouver une bonne distance afin d’étudier son sujet. Capable de neutraliser ses sentiments, de se créer des priorités afin de délimiter son champ d’investigation et de rendre compte de la manière la plus objective possible de ses résultats, il est conscient des limites et des inconvénients de la relation intime qu’il peut entretenir avec son objet d’étude (Paugam, 2010)599. De cette façon, il décrit le réel, le quotidien, les comportements et les relations entre les individus. Il se positionne afin de noter les détails signifiants.

La participation ou l’implication dans l’observation est plus ou moins prononcée. Le chercheur peut se sentir aspiré dans l’action au risque de bloquer toute possibilité d’analyse (Adler et Adler, 1987)600. Le sociologue Frédéric Diaz explique qu’il lui appartient de trouver

un équilibre entre le détachement et la participation (Diaz, 2005)601.

Bastien Soulé parle d’observation participante par opportunité lorsqu’il s’agit d’une conversion à la recherche : « l’immersion est dès lors poussée, du fait du rôle joué au sein du groupe et du temps plein de la présence en son sein » (Soulé, 2007 : 130)602. La difficulté consiste alors pour le chercheur à s’extraire de ses habitudes de faire et de penser, afin de développer une capacité d’analyse. Il participe davantage qu’il n’observe. Il doit interroger cette part de participation.

593 PLATT Jennifer, 1983. The Development of the « Participant Observation » Method in Sociology : Origin

Myth and History, Journal of the History of the Behavioral Sciences, n° 19, p. 379-393.

594 ARBORIO Anne-Marie, FOURNIER Pierre, SINGLY François de (dir.), 2015. L’observation directe. Paris :

Armand Colin. 125 p. (128).

595 MALINOWSKI Bronislaw, [1922] 1989. Les Argonautes du Pacifique occidental. Paris : Gallimard. 606 p.

(Tel ; 145).

596 BOURDIEU Pierre, 1978. Sur l’objectivation participante. Réponse à quelques objections, Actes de la

recherche en sciences sociales, n° 23, p. 67-69.

597 SOULÉ Bastien, 2007. Observation participante ou participation observante ? Usages et justifications de la

notion de participation observante en sciences sociales, Recherches qualitatives, Vol. 27, n° 1, p. 127-140.

598 SOULÉ Bastien, 2007. Ibid.

599 PAUGAM Serge, 2014. Objet d’études, Dans : PAUGAM Serge (dir.), Les 100 mots de la sociologie. Paris :

Presses universitaires de France. p. 16-17. (Que Sais-Je ?).

600 ADLER Patricia, ADLER Peter, 1987. Membership roles in field research. Newbury Park : Sage. 95 p.

(Qualitative research methods series ; 6).

601 DIAZ Frédéric, 2005. L’observation participante comme outil de compréhension du champ de la sécurité,

Champ pénal / Penal field, Vol. II.

602 SOULÉ Bastien, 2007. Observation participante ou participation observante ? Usages et justifications de la

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Christian Verrier, trouve à travers l’écriture d’un journal de grève, une forme de distanciation sur ce qu’il vit alors même qu’il se trouve entraîné et impliqué dans le mouvement de novembre 1995. Il écrit : « je me retrouvais tiraillé entre un besoin d’action sur le terrain et une posture de réflexion et de travail intellectuel sur la grève. Il me semble cependant que cela débouchait sur un enrichissement réciproque entre d’une part l’observation et l’action et d’autre part la symbolisation de cette action » (Verrier, 2006)603.

Pour nous, une telle méthode est possible du fait de notre emploi au CDI comme professeur- documentaliste. Comme Christian Verrier, nous sommes à la fois dans l’action de la médiation documentaire, en participation active et entière sur le terrain. Avec nos caractéristiques individuelles et émotionnelles, nous tenterons par l’écriture une mise en retrait par rapport à l’action et à l’implication, afin de bénéficier des observations que seule l’immersion peut permettre.

L’observation participante peut se faire de manière ouverte, transparente et déclarée ou à couvert, de manière souterraine (Soulé, 2007 : 128)604. La population que nous observons étant d’âge mineur, nous demandons leur accord ainsi que celui de leurs responsables légaux605. Nous réalisons notre enquête en dévoilant nos intentions réelles, au risque de

générer des changements de comportement ou de pratique par les individus qui pourraient se sentir observés. En effet, comme l’affirme Robert Emerson, la présence même de l’enquêteur peut avoir des conséquences sur les actions des enquêtés. Pour lui, « le chercheur est une source de résultats, non pas de contamination de ceux-ci » (Emerson, 2003 : 410)606.

L’observation directe est possible car l’espace documentaire est défini, clos et permet d’observer facilement la population étudiée. Tous les collégiens ne fréquentent pas le CDI, la population présente n’est donc pas représentative, et des pratiques resteront invisibles. Cependant, chaque élève est amené à se rendre au CDI d’une manière ou d’une autre durant sa scolarité au collège, car toutes les classes y suivent des enseignements pendant l’année scolaire. Elles apprennent à utiliser différents supports d’information, à connaître les sous- espaces documentaires ; ils apprennent à s’informer, à exploiter l’information trouvée et à la communiquer. Il nous paraît ainsi possible de décrire un dispositif de médiation et d’interroger les élèves sur leurs pratiques, leurs comportements et leurs habitudes de lecture.

Par ailleurs, l’immersion dans le terrain a permis d’étudier et de comprendre les pratiques de lecture des adolescents par une expérience autour de la lecture que nous avons proposée.

603 VERRIER Christian, 2006. Journal de grève à la Gare du Nord. Disponible sur : http://www.barbier-

rd.nom.fr/journal.greve.html Consulté le : 07 mars 2018.

604 SOULÉ Bastien, 2007. Observation participante ou participation observante ? Usages et justifications de la

notion de participation observante en sciences sociales. Op. cit.

605 Cf. annexe B : Autorisation et exploitation des données à des fins scientifiques.

606 EMERSON Robert, 2003. Le travail de terrain comme activité d’observation. Perspectives

ethnométhodologistes et interactionnistes. Dans : CÉFAI Daniel, L’enquête de terrain. Paris : Éditions La Découverte : MAUSS. 615 p.

129 5.4. Expérience de lecture menée au collège

Une enquête de Catherine Frier et Marie-Cécile Guernier révélait que beaucoup d’élèves n’ont pas pris l’habitude de lire en dehors de ce qui est prescrit par l’institution scolaire (Frier, Guernier, 2007 : 121)607. Aussi l’expérience présentée permet-elle de répondre à ce qui nous paraissait être une nécessité : offrir du temps pour lire et analyser dans ce contexte les pratiques à l’œuvre. L’idée consistait à voir, si pour les élèves, toujours avoir de la lecture dans leur cartable, anticiper la lecture, prévoir, se sentir lecteur, interviendrait sur leurs habitudes et les aiderait à se sentir lecteurs. Alors comment s’est déroulée la mise en place de cette expérience ?

Afin de donner à chacun une occasion de lire, l’équipe éducative, en s’inspirant d’une expérience menée au lycée français d’Ankara608, a mis en place un projet lecture au sein de

l’établissement609.

Au collège de Saint-André, la première année (année scolaire 2016-2017), le temps de lecture est inscrit en dehors du temps institutionnel. Il est organisé deux fois par semaine, les mardis et jeudis, entre 13h30 et 13h45. Les élèves ainsi que toute la communauté éducative : enseignants, personnels administratifs, surveillants, ou auxiliaire de vie scolaire sont invités à lire en même temps pendant quinze minutes. Des espaces réservés sont ouverts : salles de classes, couloirs, escaliers, permettant à chacun de trouver un espace pour lire. Chacun s’installe avec un livre ou un magazine et prend le temps de lire.

Environ six cents élèves aux pratiques différentes et relevant parfois d’un conflit profond avec l’écrit sont concernés. Le fait d’imposer la lecture dans un temps déterminé a posé problème aussi bien à certains élèves qu’à certains adultes. La contrainte, pour eux, ne peut pas s’appliquer à la lecture. Plusieurs adultes ont refusé de participer pour des raisons diverses : ce projet les renvoyait à leur propre expérience de lecture, une expérience mal vécue ; ou bien à l’idée d’associer lecture et contrainte, ils ne se voyaient pas « faire la police » pour ce qui devait être initialement une expérience de lecture plaisir. D’autres encore, ne voulaient pas prendre de leur temps personnel pour cette activité. Si pour la plupart des adultes ce projet partait d’une bonne intention, les moyens pour le réaliser ne leur semblaient pas réunis.

Pour nous, néanmoins, il permet d’observer des pratiques sur un nombre important d’élèves. Nous avons pu observer des corps de lecteurs qui d’ordinaire ne viennent pas forcément au CDI. Il s’agissait de réinterroger la lecture et ses pratiques.

Des questions variées ont été posées, chacun s’est interrogé sur son propre rapport à la lecture. Certains élaboraient des stratégies d’évitement pour ne pas lire, déambulaient dans les couloirs du collège pour éviter le temps de lecture ou tout simplement ils n’apportaient jamais de quoi lire, ne prévoyaient pas de lecture. Parallèlement, pour inciter à la lecture, nous avons

607 FRIER Catherine, GUERNIER Marie-Cécile, 2007. Paroles de lecteurs : et si les usages scolaires

empêchaient de pratiquer la lecture ? Op. cit.

608 CHEVIRON Nicolas, 2016. Et si on obligeait les élèves et les profs à lire quinze minutes par jour ?

Disponible sur : http://www.slate.fr/story/118577/silence-lit-eleves-profs-lecture-quinze-minutes-par-jour Consulté le : 05 novembre 2017.

609 À notre connaissance, un autre collège a aussi tenté l’expérience : le collège de Banon a défini un projet

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mis en des étagères et des tables proposant des lectures variées. Dans le même sens, nous avons distribué des premières pages de livres appréciés par les lecteurs qui fréquentent le CDI de manière assidue : ces romans jeunesse qui ne restent jamais sur la banque de prêt plus de dix minutes avant d’être de nouveau empruntés610.

Forts de cette première expérience, nous avons, l’année suivante (2017-2018), inscrit ce temps de lecture à l’emploi du temps des élèves de sixième, tous les lundis de onze heures trente à midi. Cette nouvelle proposition, moins ambitieuse par sa fréquence et par le nombre d’élèves concernés, se situe toujours en dehors du temps institutionnel mais fait à présent partie intégrante du projet d’établissement. Ils lisent à présent uniquement dans des salles, en classe entière, encadré par un adulte qui lit aussi.

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