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Du statut d’enseignant à l’instauration d’une discipline ?

Synthèse chapitre

Chapitre 3 Médiateurs et médiations

3.2. Médiations du professeur-documentaliste

3.2.2. Du statut d’enseignant à l’instauration d’une discipline ?

Pour aborder la question de la création d’une discipline, nous interrogerons dans un premier temps les contenus de la discipline (3.2.2.1.) avant d’aborder dans un second temps l’enseignement d’une culture de l’information (3.2.2.2.).

3.2.2.1. Questionner les contenus d’une discipline

Dès le milieu des années 1990, Hubert Fondin s’interroge sur cet enseignement dans le système éducatif français. Il se demande s’il touche véritablement tous les élèves ou bien seulement quelques-uns qui viendraient spontanément au CDI. Il interroge les contenus de cette formation (Fondin, 1996)339. Pour Jean Meyriat, pionnier des SIC, le professeur- documentaliste est un médiateur de l’information (Meyriat, 1983)340. Il est parmi l’ensemble

des enseignants du second degré, l’enseignant en charge de l’éducation à la culture de l’information. Éric de Grolier voit en lui un intermédiaire « dont la fonction essentielle est de mettre en contact ceux qui ont besoin de savoir et ceux qui savent » (Grolier, 1996)341. Dans

leur sillage, Yves-François Le Coadic milite en faveur d’une discipline scolaire : les sciences de l’information, avec un contenu précis et des savoirs organisés (Le Coadic, 2000)342. C’est

ce que pense aussi Sylvie Chevillotte, pour qui, la personne compétente dans l’usage de l’information est « celle qui sait reconnaître quand émerge un besoin d’information et qui est capable de trouver l’information adéquate ainsi que de l’évaluer et de l’exploiter » (Chevillotte, 2005)343.

La discipline information-documentation telle qu’enseignée dans le secondaire en France est-elle une simple compétence transversale ? Ou constitue-t-elle une discipline ? Si tel est le cas, quels en sont alors les contenus ?

Plusieurs travaux s’accordent à dire que les savoirs construits par les SIC restent peu connus et peu mobilisés par les professeurs-documentalistes (Fondin, 2001344 ; Liquète, 2005345 ; Liquète, 2007346 ; Couzinet, Gardiès, 2009347). Pour enseigner une culture de

339 FONDIN Hubert, 1996. La recherche documentaire dans les établissements scolaires français : pour un

référentiel de compétences sur le document. Séminaire du Centre Européen de Documentation sur les Politiques

en Education et Formation de l’Université Libre de Bruxelles - CEDEF / ULB. Bruxelles.

340 MEYRIAT Jean, 1983. De la science de l’information aux métiers de l’information. Schéma et

Schématisation, n° 19, p. 65-74. Dans : COUZINET Viviane (dir.), 2001. Jean Meyriat, théoricien et praticien de l’information-documentation. ADBS Éditions. p. 183-200.

341 GROLIER Éric de, 1996. La passion de l’organisation des connaissances, Documentaliste-Sciences de

l’information, Vol. 33, n° 6, p. 286-293.

342 LE COADIC Yves-François, 2000. Vers une intégration de savoirs en Science de l’information dans le

CAPES de documentation. Documentaliste-Sciences de l’information, mars, Vol. 37, n° 1, p. 28-35.

343 CHEVILLOTTE Sylvie, 2005. Bibliothèque et Information Literacy : un état de l’art, Bulletin des

bibliothèques de France (BBF), n° 2, p. 42-48.

344 FONDIN Hubert, 2001. La science de l’information : posture épistémologique et spécificité disciplinaire.

Documentaliste-Science de l’information, Vol. 38, n° 2, p. 112-122.

345 LIQUÈTE Vincent, 2005. Contribution à la réflexion sur les formations initiale et continue de la

documentation scolaire. Dans : Savoirs CDI. Disponible sur : https://.reseau-canope.fr Consulté le 26 octobre 2017.

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l’information au sens que lui donne Viviane Couzinet, l’enseignant-documentaliste devrait pouvoir se référer « à des théories insérées dans une discipline scientifique reconnue » (Couzinet, 2008348 ; Escande, 2013349).

En France, la culture de l’information se construit dans les CDI (Fabre, Couzinet, 2008)350. L’enseignant apprend aux élèves à connaître leurs besoins en information, à être capables de déterminer, trouver, évaluer, organiser l’information pour répondre à des questions. C’est ce que dit aussi un rapport de l’Unesco publié en 2008 en insistant sur le fait que les enseignants ne devraient pas centrer leur formation uniquement sur les compétences méthodologiques de la recherche d’information : apprendre à apprendre, mais sur le développement d’un regard critique et sur la compréhension du rôle des différents acteurs de l’information (Woody Horton, 2008)351. Alors qu’est-ce que donner une culture de

l’information ?

3.2.2.2. Donner une culture de l’information

On assiste à un glissement progressif des apprentissages. Médiatiser l’information revient à interroger les espaces physiques et virtuels, les outils techniques et documentaires, les ressources médias et documents, et les personnes apparaissant dans le circuit du livre (Alava, Etévé, 1999352 ; Maury, Etévé, 2010353). Pour Marie-France Blanquet, les apprentissages documentaires « poursuivent cet objectif : apprendre à gérer la complexité d’un système d’information, la complexité de l’organisation du savoir, évaluer l’information et prendre une distance critique pour être prêt à affronter une société marquée par la complexité, une société qui change ses modèles de pensées et d’organisation » (Blanquet, 2002)354.

346 LIQUÈTE Vincent, 2007. Enseigner l’information-documentation ? Repérage d’éléments épistémologiques et

organisationnels. Dans : Actes de colloque Savoirs de l’éducation et pratiques de la formation, Rouen 2006. (Penser l’éducation, hors-série).

347 COUZINET Viviane, GARDIÈS Cécile, 2009. L’ancrage des savoirs des professeurs documentalistes en

sciences de l’information et de la communication : question de professionnalisation et d’identité,

Documentaliste-Sciences de l’information, Vol. 46, n° 2, p. 4-12.

348 COUZINET Viviane, 2008. De l'usager à l'initié : vers une culture informationnelle partagée. Dans :

GARDIÈS Cécile, FABRE Isabelle, DUCAMP Christine et ALBE Virginie (dir.), Rencontres Toulouse

EducAgro : Education à l'information et éducation aux sciences : quelles formes scolaires ? p. 169-189. ENFA,

Toulouse, 26-27 mai 2008. Toulouse : Cépaduès.

349 ESCANDE Laurent, 2013. Enseigner la notion d’information. Entre savoirs savants et savoirs enseignés.

Mémoire de Master 2 Enseignement et formation pour l’enseignement agricole et le développement rural.

350 FABRE Isabelle, COUZINET Viviane, 2008. Op. cit.

351 WOODY HORTON Forest, 2008. Introduction à la maîtrise de l’information. Paris : Unesco. 112 p.

352 ALAVA Séraphin, ETÉVÉ Christiane, 1999. Médiation documentaire et éducation, Revue française de

pédagogie, avril-juin, n° 127, p. 119-164. Disponible sur : https://www.persee.fr/doc/rfp_0556-

7807_1999_num_127_1_1090 Consulté le 04 octobre 2017.

353 MAURY Yolande, ETÉVÉ Christiane, 2010. L’information-documentation et sa mise en scène au quotidien :

la culture informationnelle en questions. Rapport de recherche. Université Lille 3. 16 p. Disponible sur : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00986154/document Consulté le 04 octobre 2017.

354 BLANQUET Marie-France, 2002. Les apprentissages documentaires à l’heure du numérique. Disponible

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L’une des clés de la médiation est l’utilisation des langages documentaires. Gérard Régimbeau montre qu’en les utilisant, le professeur-documentaliste permet à l’usager de trouver l’information dont il a besoin (Régimbeau, 2011 : 108)355. Caroline Courbières,

explique combien les langages documentaires constituent « l’une des clés du principe de médiation » (Courbières, 2011 : 148)356. En tant que gestionnaire d’un centre de documentation, le professeur-documentaliste a le souci de l’accès à l’information. Il organise l’espace documentaire en fonction de normes codifiées. Pour cela, il utilise différents langages documentaires : classification, thésaurus, qui visent à représenter le contenu informationnel des documents, à faciliter leur accès et guider les usagers dans leur cheminement de recherche. Les langages documentaires sont présentés par Caroline Courbières comme des « codes communs » entre le professionnel et l’usager. Ils ne sont pas entendus comme une langue mais comme un code construit par l’homme permettant d’établir une correspondance entre les termes du professionnel et ceux de l’utilisateur (Courbières, 2011 : 132)357.

Le langage utilisé dans l’espace documentaire est pensé en vue de faciliter l’accès à l’information pour les usagers. Il est compréhensible par le plus grand nombre. L’accès aisé à l’information suppose qu’il soit en amont organisé. Il s’agit d’une étape de gestion qui reste invisible pour l’usager. Le professionnel de l’information agit comme un organisateur de l’information, il construit des outils de médiation comme des catalogues, des répertoires ou des classements, c’est-à-dire des objets du deuxième degré ou des documents secondaires à travers des fiches, des notices, des résumés résultant du traitement documentaire (Meyriat, 1981358 ; Lamizet, 1995359 ; Fabre, 2014360). Le système de communication qu’il met en place

doit permettre à l’usager de répondre à son besoin d’information. Vincent Liquète, Isabelle Fabre et Cécile Gardiès considèrent le professeur-documentaliste comme un guide ou un tuteur (Liquète, Fabre, Gardiès : 2010)361. Les normes qu’il utilise font l’objet d’interprétations et de modifications, elles sont aujourd’hui souvent adaptées en fonction du contexte d’utilisation. Isabelle Fabre remarque que, dans les établissements scolaires, de nombreux classements peuvent coexister en fonction des disciplines enseignées, des supports ou bien encore des usages (Fabre, Veyrac, 2013)362.

Cécile Gardiès explique comment on est passé d’un apprentissage des lieux documentaires et de leur organisation à la formation à une culture de l’information des

355 RÉGIMBEAU Gérard, 2011. Médiation. Dans : GARDIÈS Cécile (dir.). Approche de l’information-

documentation. Concepts fondateurs. Toulouse : Cépaduès. p. 75-114.

356 COURBIÈRES Caroline, 2011. Les langages documentaires : éléments d’organisation des connaissances.

Dans : GARDIÈS Cécile (dir.) : Approche de l’information-documentation. Concepts fondateurs. Toulouse : Cépaduès. p. 131-150.

357 COURBIÈRES Caroline, 2011. Ibid.

358 MEYRIAT Jean, 1981. Document, documentation, documentologie, Schéma et Schématisation, n° 14,

p. 51-63. Dans : COUZINET Viviane (dir.), 2001. Jean Meyriat, théoricien et praticien de l’information - documentation. ADBS Éditions. p. 143-160.

359 LAMIZET Bernard, 1995. Les lieux de communication. Liège : Mardaga. 347 p. (Philosophie et langage). 360 FABRE Isabelle, 2013. L’espace documentaire comme lieu de médiations, Les Cahiers d’Esquisse, n° 4, p.

47-59.

361 LIQUÈTE Vincent, FABRE Isabelle, GARDIÈS Cécile, 2010. Faut-il reconsidérer la médiation

documentaire ?, Les Enjeux de l’information et de la communication, Vol. dossier 2010, n° 2, p. 43-57.

362 FABRE Isabelle, VEYRAC Hélène, 2013. Classement et rangement : mise au jour de genèses instrumentales,

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usagers. Au départ, la formation se centrait essentiellement autour des modes de classements et de la nécessité de permettre à chacun de récupérer les documents dans un espace donné. L’évolution de l’offre de l’information numérique a transformé progressivement la formation à l’information (Gardiès, 2011 : 190)363. L’auteur parle d’information literacy qu’elle propose

de traduire par « maîtrise de l’information » ou par « éducation à l’information » ou encore par « formation à l’information ». Alain Chante et Catherine De Lavergne préfèrent parler de « culture de l’information », une expression qui renvoie, selon eux, à une culture réservée à une élite, ou bien davantage, à une formation des personnes à la détermination de leur besoin d’information, aux choix d’une politique de recherche, à l’évaluation de la pertinence. Les auteurs pointent le terme de culture qui englobe une culture de recherche, une culture numérique, une habileté, des savoirs et des savoir-faire techniques (Chante, Lavergne, 2010 : 40)364.

Yolande Maury et Christiane Etévé expliquent comment les pratiques sociales des élèves, leur vécu de l’information-documentation, leur façon d’improviser dans leurs recherches, font apparaître des questionnements et un besoin de construire du sens autour de ces pratiques floues et ainsi d’acquérir une véritable culture de l’information. Les élèves sont interrogés dans leur posture et dans leur rapport au monde (Maury, Etévé, 2010)365. Au-delà

de penser avec l’information, l’élève contextualise, confronte, partage, construit sa propre vision de l’information et du monde. L’information intervient comme un moyen, un instrument pour agir. La culture de l’information est à la fois un pouvoir et un moyen d’intégration et d’émancipation (Maury, 2012)366. Son développement passe par la formation

de l’esprit critique. Pour Gérard De Vecchi, chercheur en sciences de l’éducation, faire preuve d’esprit critique à l’école, c’est permettre aux élèves de développer leur curiosité, donner une place à une culture du questionnement et au doute, c’est aussi apprendre à mesurer la qualité des informations. Cela demande du temps, souvent plusieurs années. Gérard De Vecchi constate que chez l’enfant, la curiosité existe naturellement « et pourtant, on ne la retrouve plus vraiment au collège et moins encore au lycée ! » (De Vecchi, 2016 : 99)367. L’auteur

explique que peu à peu, l’élève va acquérir une plus grande ouverture d’esprit, entrer dans une pensée plus complexe, analyser ce qui l’entoure, trouver de l’intérêt pour les problèmes de société, observer le monde.

Face aux fausses nouvelles, l’historien Patrick Boucheron explique qu’il y a une nécessité citoyenne d’aller chercher la part de vérité dans ce qu’on lit ou ce qu’on entend. Dès le XVIIe siècle, dans certaines gazettes comme Le Gazetier Cuirassé, on trouve ce qu’on appellerait aujourd’hui des fake news, des bobards, des informations fabriquées. Dans l’avant-

363 GARDIÈS Cécile, 2011. Culture de l’information, culture informationnelle. Dans : Approche de

l’information-documentation. Concepts fondateurs. Toulouse : Cépaduès. p. 187-208.

364 CHANTE Alain, LAVERGNE Catherine de, 2010. L’expression « culture de l’information » : quelle

pertinence, quels enjeux ? Dans : CHAPRON Françoise, DELAMOTTE Éric. L’éducation à la culture

informationnelle. Presses de l’ENSSIB. 308 p. (Papiers).

365 MAURY Yolande, ETÉVÉ Christiane, 2010. L’information-documentation et sa mise en scène au quotidien :

la culture informationnelle en questions. Op. cit.

366 MAURY Yolande, 2012. D’une culture de l’information à une culture informationnelle… au-delà du

« penser, classer, catégoriser ». Contribution à la construction des connaissances. Disponible sur :

http://slideplayer.fr/slide/187223/ Consulté le 04 octobre 2017.

367 DE VECCHI Gérard, 2016. Former l’esprit critique. 1, Pour une pensée libre : aussi important qu'apprendre

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propos de la publication on pouvait lire l’avertissement suivant : « je dois prévenir le public, que quelques-unes des nouvelles, que je lui donne pour vraies, sont tout au plus vraisemblables, et que dans le nombre même il s’en trouvera dont la fausseté est évidente ; je ne me chargerai pas de les débrouiller : c’est aux gens du monde, qui connaissent la vérité, et le mensonge (par l’usage fréquent qu’ils en font) qu’il appartient de juger et de faire un choix »368. Les journalistes ont des méthodes pour démêler le vrai du faux. Aujourd’hui, il y a

une défiance forte face aux médias. Certains produisent du doute, construisent des controverses, développent des techniques de désinformation. Face aux fausses informations, les enseignants, doivent permettre aux élèves d’exercer leur esprit critique, faire du doute le moteur de la connaissance (Boucheron, 2017)369.

Culture de l’information et apprentissage de la lecture sont, dans l’enseignement du second degré, portés par le professeur-documentaliste. Ainsi, ils apparaissent comme les acteurs essentiels d’une pluralité de médiations qui trouve leur espace au CDI.

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