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Le libre-marché, les services publics et la concurrence concurrence

2. Une littérature abondante mais peu géographique géographique

2.4. Le libre-marché, les services publics et la concurrence concurrence

Pourquoi la libéralisation ?

Les auteurs actuels sont globalement en phase avec l’idéologie prônant la libéralisation, au point que celle-ci semble aller de soi. On ne s’interroge guère sur le pourquoi de son avè-nement. Même les politologues étudient souvent les évolutions du cadre régulateur sans se demander pourquoi tant de mutations (voir par exemple Dumez et Jeunemaître, 2004). Une exception cependant : O’Reilly et Stone Sweet (1998) qui tentent une approche des rap-ports de force ayant conduit, ou du moins facilité, la libéralisation et dont nous avons déjà discuté.

Le libre-marché et la concurrence :

Dans un système de transport libéralisé où le libre-marché est la règle et le contrôle étati-que (via les obligations de service public [OSP]) l’exception, on s’attendrait d’abord à avoir une idée de ce que représente quantitativement le libre-marché par rapport aux OSP. Tel n’est pas le cas.

Malgré toute la littérature portant sur la libéralisation, les auteurs ne semblent guère s’intéresser à la géographie de la concurrence. Celle-ci apparaît dans les recherches globa-les mais aux résultats agrégés (et qui mériteraient une mise à jour) de Burghouwt et Hak-foort citées plus haut. Une des rares recherches menée à l’échelle des routes est celle de P. Zembri (à paraître) sur le cas français avec « The spatial consequences of Air transport

de-regulation: an overview of the French case since 1995 ». L’auteur y étudie la dynamique de

la concurrence sur le marché intra-français compte tenu de la stratégie des compagnies (Air France en tête) et des nombreux échecs subis par les différents concurrents, à l’exception des compagnies low-cost Easyjet et Ryanair, qui ne sont cependant que marginalement pré-sentes sur le marché français. Air France demeure clairement en position de force et l’auteur explique l’échec de la concurrence notamment par le fait qu’à l’exception des com-pagnies low-cost, les concurrents n’ont pu, vu leur situation financière tangente, attaquer Air France par les prix. En situation de concurrence, Air France offrait des produits souvent relativement plus chers, mais tout en ayant fortement augmenté ses fréquences, ce qui constitue un argument marketing important face aux hommes d’affaires.

A défaut de géographie de la concurrence à l’échelle des routes aériennes, il faut se conten-ter d’analyses à l’échelle des aéroports, par le biais d’indicateurs de concentration de l’offre (nombre de transporteurs présents). Ainsi, K. Frenken et al. (2004), avec « Airline

competi-tion at European airports », évaluent pour tous les aéroports d’Europe occidentale

l’évolution de la compétition inter-compagnies entre 1990 et 1999, année par année, sur base d’un indicateur « d’entropie » fondé sur la part de l’offre opérée par chaque compa-gnie. Selon une hiérarchie des aéroports en cinq types déjà présentés plus haut (de hub principal à très petit aéroport), la compétition convergerait : diminution de la compétition au niveau des aéroports principaux, à cause des hubs limitant l’accès aux nouveaux venus potentiels et augmentation de la compétition au niveau des aéroports secondaires. Ces ré-sultats nous semblent discutables dans la mesure où la présence simultanée de deux com-pagnies en un même aéroport n’implique absolument pas qu’elles soient en concurrence au niveau des routes. Tout au plus peut-on accepter qu’elles soient en concurrence dans la mesure où il y a concurrence entre routes pour des touristes très portés sur le prix et qui choisiront leur destination pour partie en fonction du prix. Il aurait fallu calculer l’entropie par route puis en déduire une moyenne par aéroport.

Mais en fait, la concurrence est surtout abordée d’un point de vue économique (impact sur les prix, le volume de l’offre et les performances des compagnies), méthodologique (com-ment la mesurer ?) et institutionnel (quels en sont les facteurs limitants ?).

Les études économiques et a-géographiques sur l’impact de la concurrence sont légions. Citons par exemple S. Borenstein (1992) avec « The evolution of US airline competition », S. Barrett (1997) avec « The implications of the Ireland-UK airline deregulation for an EU

internal market », ou T. Randøy et S. Strandenes (1997) avec « The effet of the public

ownership and deregulation in the Scandinavian airline industry ».

Les obstacles politiques à la concurrence sont par exemple présentés, en 1994, dans le ca-dre français d’alors, par J. Balfour (1994) avec « The Battle of Orly: the legal dimension », qui montre avec quelle difficulté l’État français a ouvert son marché international à des compagnies qui n’étaient pas préalablement désignées par les accords bilatéraux, en parti-culier au niveau de la « forteresse » d’Air France à Orly. Inutile de dire que la France avait au préalable accepté, en Conseil de l’Europe, la libéralisation du transport aérien.

La mesure de la concurrence est quant à elle discutée en détail dans un précieux article de méthodologie de Lijesen et al. (2002), « Measuring competition in civil aviation ». Les au-teurs proposent différents indices dont l’indice de Herfindahl-Hirschman. Ceux-ci sont discu-tés pour leurs avantages et inconvénients et confrondiscu-tés à différentes modifications de l’offre dans le chef des compagnies aériennes. Frenken et al. (2004) proposent l’intéressant indi-cateur de concurrence (entropie) cité il y a quelques lignes, ouvrant la voie à des utilisations variées (par exemple au niveau des routes aériennes).

Stratégie des compagnies :

Il y a peu d’articles relatifs aux stratégies menées par les compagnies aériennes sous le poids de la libéralisation du secteur. Ceux-ci sont utiles et intéressants, mais sont généra-lement a-géographiques et peu ou pas portés sur les conséquences en termes de réseaux (tout au plus dispose-t-on généralement de quelques tableaux de synthèse portant sur le volume de l’offre).

Y.-C. Chang et G. Williams (2002), dans « European major airlines' strategic reactions to

the Third Package », analysent les stratégies menées par BA, KLM, Lufthansa, SAS et

Swis-sair en termes de pénétration de marchés-tiers par le jeu des participations et des alliances. Si les participations et motivations sont détaillées, l’impact en termes de réseaux et l’analyse géographique des complémentarités / doubles emplois / concurrence est absente. M. Weber et J. Dinwoodie (2000), dans « Fifth freedoms and airline alliances. The role of

fifth freedom traffic in an understanding of airline alliances », s’intéressent à l’évolution de

l’usage qui est fait, sur la période 1992 – 1998, de la 5e liberté de l’air par les compagnies, selon qu’elles émanent de l’UE ou pas. Il apparaît que les compagnies non-UE, ont généra-lement réduit l’usage qu’elles faisaient de cette liberté en Europe, notamment du fait qu’une telle pratique découlait du besoin de remplir les avions long-courriers de type B747, de grande capacité. L’apparition d’avions de longue portée mais de moindre capacité a permis d’envisager de nouvelles routes point-to-point sans correspondance (A330, A340, B777). Concernant les compagnies européennes, les auteurs ne trouvent guère de logique dans l’usage ou non de la 5e liberté, sauf concernant des compagnies de petits marchés périphé-riques (Irlande, Finlande, Portugal) qui sont poussées dans cette voie afin de remplir leurs vols long-courriers.

Cet article souffre malheureusement de deux problèmes. Premièrement, l’usage de la 5e liberté n’est envisagé qu’en termes de fréquences ; or, une information en terme de nombre de routes ainsi exploitées eût été également intéressante. Deuxièmement, les auteurs ne disent pas s’ils ont tenu compte des restrictions pouvant s’appliquer aux segments intra-européens de vols intercontinentaux exploités par des compagnies non-UE. Ce n’est pas parce qu’une compagnie exploite un vol E1 – E2 – A qu’elle a le droit de transporter des voyageurs entre E1 et E2. A titre d’exemple, en 2005, Ethiopian Airlines opère des vols Ad-dis-Abeba – Rome – Londres, mais avec interdiction de transporter des voyageurs entre ces deux dernières villes, d’où impossibilité de pratiquer la 5e liberté. Enfin, il aurait été égale-ment utile de s’intéresser aux autres libertés de l’air « étendues » (6e – 9e).

S. Barrett (2006), avec « Commercialising a national airline - the Aer Lingus case study », décrit l’adaptation de la compagnie nationale historique irlandaise à la dérégulation (enta-mée dès 1986 sur le marché britanno-irlandais) et à la montée en puissance de la concur-rence, principalement du fait de la compagnie low-cost Ryanair, irlandaise également. Si l’auteur met en exergue les compagnies qui ont quitté ou pénétré le marché irlandais, rien ne nous est dit quant à l’évolution de dessertes à l’échelle des routes aériennes.

2.5. L’offre low-cost

Les low-cost carriers (LCC) ont connu un spectaculaire développement depuis le milieu des

années 1990. Elles sont un facteur important d’évolution de la desserte du territoire dans la mesure où leurs réseaux se superposent aux réseaux existants, soit en les concurrençant directement soit en créant des relations nouvelles. En outre, utilisant pour partie des aéro-ports secondaires ou régionaux, elles ont créé un nouveau rapport entre compagnies et gestionnaires d’aéroports. Il n’est donc guère étonnant qu’une littérature abondante ait été publiée ces dernières années sur les LCC.

Comme d’habitude, on trouve avant tout de la littérature économique. Il est d’ailleurs signi-ficatif que la plupart des articles sur les LCC aient été publiés dans le Journal of Air

M. Franke (2004), avec « Competition between network carriers and low-cost carriers —

retreat battle or breakthrough to a new level of efficiency? », M. Tretheway (2004), avec

« Distortions of airline revenues: why the network airline business model is broken », et P.

Morrell (2005), avec « Airlines within airlines: An analysis of US network airline responses

to Low Cost Carriers », discutent de la concurrence entre compagnies classiques (FSNC :

full service network carriers) et les LCC. Franke pense que les FSNC peuvent survivre à condition de repenser leur fonctionnement notamment en allégeant leurs hubs en faisant glisser une partie de leurs vols vers des plages horaires moins utilisées (« depeaking »). Tretheway voit également un avenir pour les FSNC, mais avec de moindres parts de marché (que l’auteur situe à 40-50%) et au prix de la faillite pour certaines. Dans de nombreux pays, les FSNC seront obligées de se rapprocher avec d’autres FSNC au-delà des frontières de leur pays d’origine. Morell quant à lui s’intéresse à l’évolution des coûts par siège-km et à la productivité pour différentes compagnies états-uniennes.

W. Morrisson (2004), dans « Dimensions of predatory pricing in air travel markets », dis-cute des enquêtes qui ont été menées concernant les compagnies qualifiées de prédatrices compte tenu de leurs prix. La position des autorités publiques régulant la concurrence dans différents pays ou groupes de pays est dans ce cadre examinée.

D. Gillen et A. Lall (2004), avec « Competitive advantage of low-cost carriers: some

impli-cations for airports », Francis et al. (2003) avec « Airport - airline interaction: the impact of

low-cost carriers on two European airports » et S. Barrett (2004a) avec « How do the

de-mands for airport services differ between full-service carriers and low-cost carriers? » s’intéressent aux relations entre les LCC et leurs aéroports hôtes. Il est surtout fait cas du rapport de forces compagnies / aéroports qui se crée au profit des LCC lorsque celles-ci sont en position dominante ce qui est en particulier le cas dans les aéroports urbains « bis » et divers aéroports régionaux.

G. Williams (2001), dans « Will Europe’s charter carriers be replaced by "no-frills" scheduled

airlines? », discute de la concurrence entre compagnies charters (CC) et LCC. Il montre que

les LCC ont largement remplacé les CC sur des relations intra-européennes court-courriers car elles parviennent à des coûts par siège-km plus bas que ceux des CC. Par contre, sur des distances plus importantes, supérieures à 2,5 heures de vol, les CC n’ont semble-t-il pas dit leur dernier mot et demeurent compétitives.

P. Forsyth (2003), avec « Low-cost carriers in Australia: experiences and impacts », discute à peine des réseaux, pour en fait ne s’intéresser qu’à des éléments économiques (prix et capacité de réponse des FSNC, impacts sur les performances des compagnies,…).

Certains s’interrogent sur la durabilité des LCC et de leur croissance, comme S. Barrett (2004b) avec « The sustainability of the Ryanair model » qui répond par l’affirmative à condition que la compagnie puisse contrôler ses coûts, ou N. Dennis (2004) dans « Can the

European low-cost airline boom continue? Implications for regional airports ». Quant à

Francis et al. (2007), ils analysent la transférabilité au segment long-courrier du modèle low-cost, classiquement limité aux vols court- ou éventuellement moyen-courrier. Leur ré-ponse est très mitigée : le modèle est peu transférable, ne permettrait d’abaisser le prix des billets que de 22% et ne pourrait concerner qu’un nombre limité de relations.

Les articles discutant des financements plus ou moins occultes reçus par Ryanair sont nom-breux, notamment chez les juristes. Citons C. Barbot (2006) avec « Low-cost airlines, se-condary airports, and state aid: An economic assessment of the Ryanair–Charleroi Airport

agreement », F. Marty (2004) avec « Les conventions entre gestionnaires d’infrastructures

aéroportuaires et compagnies aériennes face à la politique européenne de concurrence » ou

J. De Beys (2004) avec « La décision de la Commission européenne du 12 février 2004 sur

les aides d’État accordées à Ryanair ».

J. Mosnier (2004) a quant à lui publié « Le phénomène low-cost : contre un certain nombre

d’idées reçues », qui relativise l’aspect parfois monolithique de certaines discours sur les

LCC.

Du côté des livres et rapports, la plupart d’entre eux présentent les LCC, leur émergence et leurs stratégies et les comparent aux FSNC. Citons par exemple M. Deckers (2004), avec

Structures et stratégies des compagnies aériennes à bas coûts, ou le rapport Low Cost

On pourrait continuer longtemps cette énumération de publications peu ou pas géographi-ques. Parmi les exceptions, signalons A. Reynolds-Feighan (2001) qui dans « Traffic

distri-bution in low-cost and full-service carrier networks in the US air transportation market »,

montre, au travers d’indicateurs de concentration spatiale, que les LCC états-uniennes ont des réseaux moins concentrés que leurs concurrentes FSNC, ces dernières ayant massive-ment privilégié le modèle hub-and-spoke. En outre, lorsque les LCC ont des points nodaux sur les réseaux, il ne s’agit guère de hubs mais de simples lieux d’entrée / sortie du réseau pour les passagers.

Quant à P. Zembri (2005), avec « Les compagnies low cost, acteurs de l’interrégionalité à

l’échelle européenne ? », il indique qu’en général, les nouveaux entrants sur le marché

eu-ropéen n’ont réussi à concurrencer les compagnies en place que s’il s’agissait de LCC. Selon les LCC, diverses stratégies sont discernables en termes de réseaux dessinés et de type d’aéroports utilisés. L’offre peut être volatile (du fait de faillites ou de revirements brutaux de la compagnie, telle Ryanair qui a brusquement retiré ses avions de Clermont-Ferrand malgré les subsides reçus et un taux de remplissage estival élevé). Globalement, l’auteur estime que les LCC jouent plus un rôle création de nouvelles liaisons que de compétiteurs directs face aux FSNC.

Quoi qu’il en soit, la quantification et la géographie de l’ensemble de l’offre européenne à bas prix en Europe ne sont pas connues.