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CINQUANTE ANS APRES LA MIGRATION

B. L E MIGRANT ET SES RESEAUX

2. Les zones rurales sont-elles encore attractives ?

Tout en ayant conscience de l’attrait exercé par la ville, il serait néanmoins erroné de ne raisonner qu’en termes d’exode rural : des flux, moins denses mais réels, existent en direction de la campagne, comme l’attestent les exemples, jeunes et vieux confondus, de Velho João, Distéia, Gago ou Parazinho, arrivés récemment dans la région (cartes n° 20 et n° 21).

Après une vie entre la pêche et le commerce, passée principalement sur les villes du littoral cearense,

piauiense et maranhense, en 1997, alors qu’il a 64 ans, avec sa troisième épouse, le vieux João décide de

migrer « une dernière fois », pour offrir une vie plus sûre à sa nouvelle famille, composée alors uniquement de jeunes enfants. Il décide de changer de stratégie et de descendre vers le sud où, suppose-t-il, les terres sont plus abondantes. Après un passage dans une fazenda de Cidelândia, en 2006, il est invité à Ciriaco par un neveu qui lui aurait assuré (de façon tout à fait inexacte) qu’il pourrait y obtenir un lot. Ce qui n’a pas marché pour lui a fonctionné pour Zé Martins, autre cearense, lui aussi âgé

Chapitre II – Migrations et peuplement – Enquêtes biographiques à Ciriaco

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aujourd’hui de plus de 70 ans mais n’ayant pas de jeunes enfants à charge. Après une tentative avortée sur la Transamazonienne (Anapu), la famille est venue s’installer en 1999 à Ciriaco. Dans ces deux cas, des chefs de famille âgés au parcours migratoire tourmenté et au passé rural, on comprend aisément l’envie de se tranquiliser et d’assurer les arrières d’une famille plus jeune, en les établissant sur une terre accueillante.

Pour des jeunes également, les zones rurales peuvent constituer une solution attractive. Parazinho (carte n° 21) est le seul paraense de souche de notre échantillon. Dans les garimpos du Mato Grosso, il tombe amoureux d’une très jeune femme, avec laquelle il se marie. Ensemble, ils retournent dans le Bico do Papagiao travailler sur les terres d’un parent de la jeune épouse, avant de se rendre au Centro do Olimpio, puis à Ciriaco, dont est originaire Madame. Ils y obtiennent un lot, qu’ils cultivent avec ténacité. De la même manière, Gago (carte n° 20), un jeune vacher, est arrivé à Ciriaco à l’appel d’un parent. Originaire de Tuntum (Maranhão), il a été envoyé très jeune dans une fazenda de Presidente Dutra pour y apprendre le métier, puis est parti exercer à Mirador. Mais c’est un homme qui aime les femmes presque autant que la bagarre, ce qui l’amène à deux reprises à quitter son emploi et à rentrer chez ses parents. A Ciriaco, où il est appelé par un oncle lointain en mal de main-d’œuvre, il s’assagit et promet de prendre un nouveau départ : il arrête de boire et même de fumer ; il est toujours prompt à prêter main-forte. Sa bonne humeur, son ardeur au travail et la confiance qu’il inspirent payent : son « tuteur » lui cède une part de son lopin, un ami lui obtient une place de chauffeur de tracteur (enregistré sur son livret de travail !)57.

Distéia (carte n° 21), quand à elle, était revenue à Ciriaco rendre visite à sa mère. Elle y a rencontré un jeune homme, prêt à la prendre en charge avec ses enfants, ce qui l’a décidée à rester.

Point commun de ces trois histoires : les parcours ont convergé vers Ciriaco grâce à la présence d’un membre du réseau familial (très élargi). De la même manière qu’on ne migre jamais en ville sans y avoir au préalable un point de chute (Morice, 1993), on n’atterrit pas dans les campagnes sans y avoir été amené par un tiers.

La formation de ces réseaux, qui ancrent les échanges migratoire sur des trajets bien définis, s’appuie naturellement sur la famille et la communauté d’origine, les deux institutions qui sont partie prenante du projet migratoire (Guilmoto, 1998 : 503).

De fait, les réseaux orientent géographiquement les flux, aussi bien en leurs points d’origine que de destination (Araujo et Schiavoni, 2002) ; leur compréhension permet notamment d’expliquer la configuration des parcours migratoires : à Ciriaco, 31 % des répondants ont affirmé être arrivés dans la région sous l’influence d’un parent ou d’un conjoint. En ce sens, si la famille constitue l’unité d’analyse pertinente pour l’étude des migrations (Dupont et Guilmoto, 1993), celle-ci doit être appréhendée au niveau local (Arnauld de Sartre, 2003) mais aussi au niveau étendu.

L’arrivée dans une zone rurale, grâce à une information distribuée par un membre du réseau, peut s’avérer, même chez des personnes jeunes, une opportunité de stabilisation qui permet de fixer des parcours cahotiques. Parazinho, père de famille nombreuse a trouvé à Ciriaco un cadre pour élever et d’éduquer ses enfants, de même que Distéia leur a trouvé un foyer. En ce sens, plus que la perspective

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Lorsque nous somme retournés à Ciriaco en 2009, Gago avait quitté le village. Les mauvaises langues racontent volontiers qu’il s’est laissé séduire par une femme d’ailleurs, « une prétentieuse », qui lui aurait fait des dettes au point que, honteux, il abandonne ses amis et reparte en cachette à Tuntum avec sa compagne.

agricole, ce sont les conditions générales du lieu qui assurent la permanence de ces familles : la sécurité foncière, les services d’éducation et de santé.

C. ET POUR LES GENERATIONS FUTURES ?

C’est au moment où les jeunes arrivent en âge de devenir agriculteurs, et donc d’avoir leur propre lot, que l’essentiel des stratégies sont mises en place (Arnauld de Sartre, 2003b). La compréhension des stratégies des jeunes adultes, en passe d’autonomie, est donc essentielle dans la perspective du développement local, ainsi que pour la mise en place d’une dynamique de développement durable susceptible d’avoir des effets d’entraînement.

Dans le cadre de la méthodologie Duramaz, nous avons cherché à appréhender de quelle manière les parents concevaient les perspectives d’avenir pour leurs enfants. Nous avons ainsi posé les questions ouvertes suivantes : « Quel serait le meilleur avenir pour vos enfants ? Pensez-vous que vos enfants vont rester dans la résex ? Pour quel motif ?» (questions n° 25, 26 et 27 du questionnaire Familia et Moradia58). Les réponses à ces trois questions sont éloquentes (graphique n° 9).

Graphique 9 : « L’avenir de vos enfants est-il à Ciriaco ? Pour quels motifs ? »

Source : Duramaz, 2009

Sans équivoque, la perspective de quitter les lieux et de poursuivre l’histoire migratoire familiale a été la réponse la plus commune auprès des parents (59,6%), principalement à partir de l’argument d’un manque d’opportunité d’emploi (27 réponses).

En deuxième lieu, les perspectives de permanence/départ sont conditionnées par la relation à la terre, argument évoqué à proportion égale pour justifier le fait de rester ou de partir (16 réponses). Notons d’ailleurs que les réponses sont également réparties : 8 expliquent que les enfants vont rester parce qu’ils disposent d’un lot, 8 estiment que leurs enfants n’ont aucun avenir sur place justement parce qu’ils n’ont pas la perspective d’en recevoir un.

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En ce sens, si le projet de la résex est supposé garantir le futur des enfants et des petits-enfants, il ne signifie pas qu’il pourra tous les y loger, et ce dispositif, de même que les projets de colonisation agraire, n’est pas prévu pour assurer la reproduction sociale de l’ensemble familial selon les modalités traditionnelles de répartition de la terre entre les enfants. De fait, la résex constitue un moyen de fixation efficace pour les membres de l’unité familiale ayant reçu le bénéfice d’une parcelle, mais pas des autres. Le départ d’une partie de la jeune génération semble alors inévitable... Départ vers quoi ? Vers d’autres terres à occuper ? Une enquête appliquée en 1986 et 1994 dans le municipe d’Uruará (Pará) a posé une question similaire : « qu’est-ce qui assurera le mieux l’avenir de vos enfants ? ». Les deux enquêtes successives ont révélé que 72 % des chefs de famille répondaient « la terre » en 1986, contre seulement 31 % en 1994 ; date à laquelle 52 % des chefs de famille estimaient que les études sont le meilleur garant de l’avenir de leurs enfants (Hamelin, 2002, §12).