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L’industrialisation de la voie de chemin de fer Carajás

En pré-Amazonie, au début des années quatre-vingts, il existait sans aucun doute une réserve de main-d’œuvre liée à la concentration démographique, aux difficultés agricoles et à la précarité des conditions d’existence dans les quartiers périphériques de Marabá et d’Imperatriz (Valverde, 1989 ; Ab’Saber, 2004).

En effet, seuls les hameaux les plus distants des centres urbains, susceptibles d’offrir des terres forestières, retiennent quelques temps les agriculteurs. Lorsque ce n’est plus le cas, les hommes se

montrent extrêmement mobiles et réactifs aux diverses opportunités (et rumeurs) qui surgissent et les emmènent aussi bien vers la ville que vers à la campagne.

Cette disponibilité pour l’aventure est le signe d’un équilibre économique qui ne s’est pas établi [...] quand la frontière se ferme, on assiste à une multiplication de petits flux migratoires et un grand contingent de population se met à errer de façon désordonnée à travers le pays (Bitoun, 1980 : 127).

Ainsi, tandis que l’accès à la terre se raréfie et que les conditions d’existence dans les zones rurales deviennent de plus en plus précaires pour les petits agriculteurs, une forte « mobilité désordonnée » se met en place oscillant entre la campagne, les nouvelles zones pionnières, les chantiers, les mines d’or, les centres urbains et les opportunités diverses apportées par les grands travaux d’aménagement régional. Dans ce contexte, où ces déséquilibres se traduisent par de fortes tensions sociales, les pouvoirs publics envisagent également l’installation de grands groupes comme solution pour stabiliser l’occupation et la région. Les avantages fiscaux ont alors constitué un moyen pour attirer ces groupes sur la frontière, tandis que pour les investisseurs, l’élevage est devenu un moyen de financer la terre et de l’immobiliser. En parallèle des « entreprises rurales », un grand programme d’industrialisation régionale, le Programme Grand Carajás (PGC), a été lancé, présenté comme une promesse d’intégrer la force de travail masculine dans les emplois industriels. Les travaux de construction ont draîné un important flux de travailleurs, car en effet, et pour la première fois dans l’histoire nationale, l’Amazonie devient un pôle d’attraction pour l’emploi salarié car un marché du travail se construit (Ab’Saber, 2004). Mais les opportunités d’emplois sont aussi importantes qu’elles sont éphémères. Par exemple, en 1982, le chantier de construction de l’UHE de Tucuruí employait 30 000 hommes, mais parmi lesquels seulement 2000 emplois qualifiés et permanents (Kohlhepp, 1991). Une fois les gros travaux terminés, la main-d’œuvre non qualifiée s’entasse dans les périphéries urbaines : Tucuruí, qui comptait 4 000 habitants en 1975 dépasse les 110 000 âmes en 1986.

Ainsi, les diverses dynamiques démographiques ont facilité la mise en place d’un parc industriel, qui s’est nourri de la poussée pionnière et à son tour l’a alimentée (Bret et Théry, 1985). Quelles conséquences cette opération a-t-elle eu sur l’organisation régionale ?

a. Le Programme Grande Carajás, charnière de l’aménagement régional

En 1979, le Programme Grande Carajás (PGC) est lancé, un programme d’aménagement régional très ambitieux, fondé sur l’exploitation du minerai de la Serra de Carajás, le plus grand gisement de fer de la planète, situé à proximité de la ville de Marabá (Théry, 2000). Le PGC, qui a recouvert une zone de près de 900 000 km² à l’est de l’Amazonie, à cheval sur les Etats du Pará, du Maranhão et du Tocantins, a été sans aucun doute le dernier élément charnière de l’organisation de l’espace économique régional (Coelho, 1997).

Pour assurer l’exportation du minerai extrait par la Companhia Vale do Rio Doce (CVRD), le PGC a du financer l’aménagement d’une voie de chemin de fer (Estrada de Ferro Carajás – eFC) tracée sur 890 kms pour relier le site minier au nouveau port de Ponta da Madeira près de São Luis, d’où est exporté le minerai (voir carte n° 6). Au schéma classique d’exploitation/exportation mine-fer-port (Pires do Rio, 2004) s’est ajouté un volet d’industrialisation régionale, qui prévoyait la modernisation économique de toute la zone sous l’influence du couloir de la voie de chemin de fer. Cette politique s’est concrétisée par l’installation de deux « pôles sidérurgiques » (localisés à Marabá/Pará, Açailândia/Maranhão et Santa Inês/Maranhão), mis en fonctionnement en 1986 et dont l’activité

Chapitre I – Le Maranhão dans le temps et dans l’espace

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principale est la production de gueuse29 [ferro-gusa, pig iron], qui constituent aujourd’hui les principaux centres industriels du couloir.

L’idée d’un pôle de compétitivité sidérurgique amazonien repose sur la proximité des mines de fer, la présence d’infrastructures de transport mais surtout sur la perspective d’immenses réserves de charbon végétal produit grâce à la carbonisation de la biomasse des forêts primaires (Ab’Saber, 1987). En effet, dans le processus de fabrication de la gueuse, le charbon est une matière première indispensable aux opérations de réduction et de combustion du minerai de fer, mais onéreuse, car elle seule constitue 50% du prix de revient du produit fini. Le charbon de bois issu de la forêt primaire, meilleur marché que le charbon issu de forêts plantées, permet en outre d’installer des hauts-fourneaux dont le coût d’installation est inférieur à celui des hauts-fourneaux à coke.

Le plan initial de 1981, très ambitieux, prévoyait une production de 3,5 millions de tonnes de gueuse et 10 millions de tonnes d’acier pour l’an 2000. Conçues à l’époque de la grande crise du secteur sidérurgique où l’on entrevoyait la possibilité du développement du marché international de la fonte, ces prévisions s’avérèrent mauvaises. De plus, un tel programme sidérurgique amazonien ne semblait pas être économiquement soutenable et il fut fortement critiqué pour son impact environnemental et l’accélération de la déforestation (Droulers, 2004 : 89).

En réalité, les activités sidérurgiques qui se sont implantées le long du couloir de l’EFC n’ont pas eu l’effet multiplicateur attendu : elles n’ont pas entraîné le développement de nouvelles activités économiques, ni fait évoluer la distribution régionale du revenu. La marque la plus visible est impitoyablement celle de la dégradation environnementale. En dépit des projections de la planification, qui prévoyaient la création de 44 000 emplois directs à l’horizon 2010, au lieu d’un véritable bassin d’emploi salarié, c’est le marché prédateur du charbon, produit avec une grande incidence de travail informel – voire esclave – qui se présente comme le principal chaînon de liaison entre l’industrie régionale et l’économie rurale (Monteiro, 1997 ; Carneiro, 2008).

Photo 7: Charbonnerie de fours type « rabo quente »

Ce four de type « rabo quente », qui prolifère dans le sud du Par| et l’ouest du Maranhão, a englouti une bonne partie des forêts de l’Amazonie orientale. Ce modèle « rustique » de fours à bois, sur lequel se sont construites les perspectives

d’industrialisation du couloir de l’EFC, fonctionne regroupé en “batteries” de plusieurs dizaines d’unités et alimente aujourd’hui encore partiellement les usines de gueuse installées dans la région.

En parallèle du pôle sidérurgique, les grands travaux d’aménagement régional ont fait émerger la méga-usine hydro-électrique de Tucuruí, destinée à soutenir l’implantation des industries prévues par le PGC pour le nord Brésil. Ce projet pharaonique, commencé en 1976, est mis en service en 1983, disposant alors d’une capacité de production de 8 000 MW.

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L’implantation de l’usine hydroélectrique sur le fleuve Tocantins a entraîné la formation d’un lac réservoir de 243 000 ha de surface et de 170 kms de long qui, inondant les villages et exploitations agricoles situés à proximité, a entraîné le déplacement de centaines de familles, relogées tardivement dans des zones où les conditions d’existence et de culture sont difficiles.

Le nouveau réseau des infrastructures régionales se complète d’un système des lignes de transmission distribuant l’énergie électrique, de deux fonderies d’aluminium à Barcarena (près de Belém) et à São Luis (carte n° 6). Pour encadrer les nouveaux besoins urbains, le PGC comportait également un volet agricole, s’adressant aux agriculteurs capitalisés et promouvant la culture du riz, du sucre de canne et du soja (Coelho, 1991).