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D’une manière générale, ces tendances se répercutent sur la dynamique agricole, basée sur l’agriculture de subsistance. Ce système, extrêment prédateur sur les ressources naturelles, repose sur des cultures [roças] itinérantes, entretenant une forme d’avancée permanente, qui a du mal à fixer le producteur sur la terre. Bitoun nous explique le mécanisme de cette avancée par vagues :

Les migrations internes tiennent au propre système de mise en valeur des terres dans le cadre de l’agriculture sur brûlis. Après deux ou trois ans de mise en culture, riz et maïs associés, il faut laisser à la fertilité du sol le temps de se reconstituer, cinq ans environ, pendant lesquels pousse, vigoureuse, la « capoeira » [végétation secondaire]. Ceci implique un essaimage à partir des hameaux (« centros ») auprès desquels les terres forestières disponibles se font rares. Si la distance devient trop grande entre entre la nouvelle roça et le hameau, l’essarteur bâtit une cabane de paille pour s’abriter et, si le site est favorable, avec l’épuisement des terres autour du premier centre, des chefs de famille peuvent venir se grouper. Naît alors un nouvel hameau qui condamne le premier au déclin (Bitoun, 1980 : 113).

Néanmoins, la combinaison de ces facteurs a conduit à l’expansion de l’agriculture de subsistance dans la vallée du Pindaré et dans l’ouest du Maranhão, accompagnant l’avancée du front de peuplement (carte n° 4). La production de riz de la pré-Amazonie surpasse celle provenant du Centre, dont la progression et les volumes produits stagnent. Dans le sud également la progression de riz progresse, non pas dans le cadre des cultures de susistance, mais comme culture commerciale. L’élevage bovin y est également en progression, selun un modèle d’élevage ultra extensif, mais c’est surtout dans le municipe d’Imperatriz que cette activié se développe de la façon la plus significative : entre 1970 et 1991, le cheptel bovin passe 69 000 à 650 000 têtes (tableau n° 2).

En parallèle, entre 1950 et 1965, la production de babaçu double, passant de 56 000 t à 130 000 t, et continue de s’accroître jusqu’en 1979, où elle atteint la production record 192 000 tonnes d’amandes (graphique n° 2). A nouveau, on notera particulièrement le saut de production effectué dans la

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région Ouest : alors que la production y est insignifiante en 1940 (348t), elle est multipliée par 52 en 1985 ! Ce saut de production ne parvient pas à concurrencer les régions (Cocais, Baixada) fournissant traditionnellement le babaçu (carte n° 4), de peuplement ancien et où se trouvent les forêts de babaçus les plus denses et les plus étendues ; les quantités d’amandes produites en pré-Amazonie demeurent extrêmement modestes mais ce bond atteste du peuplement de la région par les agriculteurs familiaux, et du fait que la « culture du babaçu » se déplace vers l’ouest, amenée par les migrants. Rappelons que le groupe humain poussé hors de son territoire par le besoin ou par la force *…+ emporte avec lui son genre de vie (Sorre, 1948a : 106).

Graphique 2 : Production d’amandes de babaçu au Brésil et au Maranh~o. 1920-2007

De fait, depuis les années cinquante, la production agricole augmente dans les zones rurales : le babaçu dispute alors avec le riz, culture essentielle des roças, la place de principal créateur de richesse de l’Etat (Amaral Filho, 1993). Ces deux produits sont caractéristiques de l’association de l’agriculture à l’extractivisme, typique de la production familiale du Maranhão et des systèmes agricoles reposant sur l’agriculture de subsistance. En ce sens, cette augmentation de la production agricole reflète à la fois l’extension des surfaces cultivées et l’augmentation de la population

maranhense, plus que d’éventuels gains de productivité.

L’

AGE D

OR DU BABAÇU

?

Au début des années soixante-dix, l’économie maranhense repose sur le secteur primaire (52,8% de la valeur brute de la production), de technologie rudimentaire, dont 18,6% de la valeur provient de l’extractivisme végétal, composé à 90% du travail du babaçu (Cunha, 1979). 78,39% de la population active subsiste grâce à l’extraction végétale, l’agriculture, l’élevage ou la chasse. L’industrie, soit les usines d’extraction d’huile de babaçu ou de pilage du riz, emploie 5% de la population active et le commerce 4% (Meireles, 1980).

Cette période de l’économie du Maranhão est souvent désignée comme le « cycle du riz », car cet Etat en devient alors le deuxième producteur national, tandis qu’ Imperatriz en devient le principal centre distributeur (Franklin, 2005). Pourtant, c’est en raison de sa piètre qualité – et en conséquence de son moindre coût – que le riz du Maranhão semble avoir gagné sa place sur les marchés du sud. Meireles (1980) rapporte même que la dénomination « riz du Maranhão » s’est

imposée sur les marchés pour y désigner le riz de la moins bonne qualité, quel que soit son Etat d’origine.

Ce même paradoxe – une production massive révélant une généralisation de l’agriculture de subsistance et une technologie rudimentaire – s’observe pour l’économie du babaçu. Jusqu’en 1980, la production d’amandes de babaçu connaît une progression continue. Néanmoins, alors que le Maranhão renforce sa position de leader, fournissant 77% de la production totale d’huile, cette activité y est encore caractérisée comme issue d’un « extractivisme primaire », alimentant un secteur industriel fragile, dépendant des forêts naturelles et de l’effort de collecte des familles agroextractivistes. En conséquence, un rapport du Gouvernement du Maranhão (1978) reconnaît que

si ce statu quo devait perdurer, la tendance à prévoir est celle de la marginalisation du babaçu en tant que matière première alternative du marché des huiles, avec des conséquences évidentes pour l’ensemble du secteur industriel maranhense. *…+ Ainsi, la transformation de l’extractivisme tel qu’il vit aujourd’hui vers une culture agricole à la rentabilité assurée est la condition sine qua non de la survie de cette activité ( : 14).

En effet, déjà à l’époque, l’irrégularité de l’approvisionnement ne permet en moyenne d’utilser les équipements industriels installés qu’à 35% de leurs capacités (Cunha, 1979).

Nous sommes demeurés, à un stade primaire d’économie agraire, vivant presque exclusivement de la noix de babaçu, que seulement récemment nous avons commencé à exporter sous forme d’huile plutôt que sous forme d’amandes, mais toujours en gaspillant ainsi environ 94% de la valeur de cette ressource. Pour compenser cela, nous ne disposons que d’un riz de médiocre qualité (Meireles, 1980 : 411).

En somme, l’industrie de l’huile du babaçu n’a pas réussi à reproduire la dynamique d’accumulation qu’avait généré le cycle du coton, voire de la canne à sucre. Par exemple, les industriels du babaçu n’ont jamais constitué une oligarchie puissante pesant dans les affaires de l’Etat du Maranhão, comme l’avaient été les planteurs de coton au XIXè siècle14.

En somme, le recensement agricole de 1975, place le Maranhão en dernière position des Etats de la Fédération en termes de création de richesse, juste avant les territoires de l’Amapá et de l’Acre. Comme le rappelle Bunker

La prédominance de l’extractivisme dans l’économie est un indicateur de subordination d’une région ou d’un pays à d’autres qui ont réussi leur diversification dans les secteurs industriels, commerciaux et de services (Bunker apud Drummond [2002]).

De fait, plutôt que comme un emblème du renouveau industriel ou de la redynamisation régionale, le babaçu s’affirme comme le symbole du caractère primaire de l’économie du Maranhão : la dynamique de l’industrialisation n’a pas réellement pris, puisqu’elle n’a jamais surmonté le défi de l’approvisionnement en matière première et repose toujours sur l’effort de collecte des agriculteurs. Cette type d’industrie, typique d’une économie sous-développée (Meireles, 1980), avait été critiquée dès 1951, par Azevedo et Mattos dans l’article “Viagem ao Maranhão”15, qui envisagaient l’idée de l’industrialisation du babaçu comme un « développement à l’envers », promouvant un retour à l’économie de cueillette (Droulers et Nasuti, 2009).

14

Selon Amaral Filho (1993), cela est dû essentiellement à la structure de distribution du babaçu, qui se caractérise par un important nombre de commerçants intermédiaires non-spécialisés, qui captent l’essentiel de la plus-value du commerce du babaçu. Nous détaillerons la chaîne de commercialisation du babaçu dans le chapitre V.

15

Aroldo de Azevedo e Dirceu Lino de Mattos, « Viagem ao Maranhão » in Ciências e Letras n° 120, São Paulo: USP-FFLCH, 1951. Un résumé en français a été publié par H. Enjalbert : « Retour à une économie de cueillette dans un pays tropical », in Cahiers d’Outre-Mer, 1952, juillet-septembre.

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En conséquence, à partir de 1980 et malgré un sursaut en 1995, la production d’amandes de babaçu décline de façon radicale et apparemment irrémédiable (graphique n° 2). Cette baisse est-elle imputable à une concurrence du produit sur le marché des huiles ou à une destruction des forêts de babaçu, comme le suggèrent les militants (Almeida et al., 2005, Almeida, 2001)?

En fait, ces deux explications correspondent au même processus. Tandis que l’huile de babaçu est progressivement détrônée par le soja sur le marché des huiles comestible, dans l’esprit des aménageurs, le babaçu descend progressivement de son piédestal, délogé par l’élevage bovin, devenu l’activité autour de laquelle se polarisent les projets de modernisation de l’agriculture et les attributions de subventions (Porro, Mesquita et Santos, 2004). Dans les rapports publics, le palmier babaçu est décrit de manière secondaire et traité à travers ses caractéristiques de plante adventice, c’est-à-dire comme un obstacle aux bénéfices de l’élevage... L’exubérance du babaçual n’est plus un motif d’admiration, on ne cherche plus à éclaircir la forêt de babaçu pour améliorer la productivité des palmiers, mais plutôt à faire respecter l’intégrité des pâturages.

Ainsi, à partir des années quatre-vingts, la modernisation de l’agriculture maranhense se construit sur l’expansion de l’élevage extensif et la culture mécanisée du riz, qui avancent sur les terres précédemment occupées par les activités agricoles et extractives des petits producteurs (Amaral Filho, 1993). De fait, la privatisation de la propriété de la terre associée à la pratique de l’élevage bovin complique fortement les conditions d’accès aux forêts de babaçu pour les paysans et systématise l’abattage des palmeraies (Porro et al, 2004).

B. LA FRONTIERE AGRICOLE SE FERME...

ET LA FRONTIERE INDUSTRIELLE SOUVRE

A partir des années cinquante, le panorama agraire traditionnel du Maranhão connait un changement profond. Le Maranhão se caractérise alors par une forte proportion d’agriculteurs vivant sous différentes conditions de fermage (environ 30% en 1960) mais surtout par une forte proportion de posseiros (54% en 1960).

L’ouverture d’un réseau de communication a engendré une organisation spatiale plus complexe marquée par la structuration d’un système urbain intérieur et l’incorporation continue de nouveaux espaces agricoles, gagnés sur les terres de la pré-Amazonie, à l’ouest de la vallée du Mearim. Le système productif repose alors sur la transformation du riz et du babaçu dont la production explose, mais l’économie de l’Etat stagne parmi les derniers rangs de la Fédération.

Dans un premier temps, cette avancée est le fait de petits agriculteurs, elle combine alors la migration spontanée à l’agriculture sur brûlis, entraînant une forme d’occupation relativement peu stable. Ainsi, alors que les déplacements vers les terres libres prennent de l’ampleur, le nombre des

posseiros se multiplie fortement, devenant le profil le plus répandu dans les nouvelles régions

agricoles. Le cas de la région d’Imperatriz (pré-Amazonie maranhense) est caractéristique du front pionnier. Ce phénomène d’occupation spontanée y est à son comble entre 1960 et 1975, alors que les terres libres sont encore abondantes. Cette région part avec un total de 2 000 exploitations agricoles en 1960 (couvrant 24 000 ha) et atteint 25 ans plus tard 33 300 exploitations agricoles (sur 1,9 millions d’ha de terres agricoles), ce qui témoigne de l’occupation rapide d’un territoire et de l’influence du rôle des petits producteurs dans l’ouverture d’un front pionnier (22 500 en 1985). En

1970, les posseiros tiennent 85% des exploitations agricoles mais n’occupent que 27% des terres (soit 188 544 ha), soit trois fois moins que ceux possédant fermement le statut de propriétaires, qui sont pourtant bien moins nombreux (2 283 exploitations sur 500 000 ha). Entre 1985 et 1995, 17 000 de ces exploitations sans titre de propriété, c’est-à-dire de ces formes de producteurs précaires, vont être “éliminés”, et encore 4 200 entre 1995 et 2006. Une érosion qui modifie en profondeur le profil des producteurs ruraux de la région.

A partir de la seconde moitié des années soixante-dix, un processus actif de pastoralisation s’amorce, appuyé sur les financements de la Sudam et de la Sudene. Dans le sillage de l’avancée pionnière, les terres consacrées aux pâturages viennent substituer les cultures de riz, particulièrement dans les régions du Medio Mearim et d’Imperatriz.

En conséquence de l’absence de légalisation des titres de propriété, l’arrivée des nouveaux venus engendre de nombreux affrontements liés à l’appropriation de la terre, notamment en raison de la prolifération de titres de propriétés frauduleux forgés dans les cabinets notariaux et de l’incapacité des institutions à régulariser la situation. Petit à petit, les agriculteurs, menacés sur les terres qu’ils occupent, prennent conscience de leurs droits et se mobilisent pour tenter de contrer ces nouvelles menaces d’expulsion.

Au début des années quatre-vingts, l’instauration du Programme Grande Carajás (PGC) a été l’élément charnière de l’organisation de l’espace économique du sud-est du Pará et de l’ouest du Maranhão (Coelho, 1997). Articulé autour de la valorisation de la gigantesque province minérale de la Serra dos Carajás (Pará) 16, découverte en 1967, le PGC proposait, en plus de l’industrialisation de l’axe Marabá-São Luis, une nouvelle organisation agraire sur 15,5 millions d’hectares. Mais ce programme se superpose aux structures en place, sur une zone déjà occupée et fortement perturbée par les conflits fonciers (Pinto, 1982).

Au fur et à mesure, ces projets, mis en place au mépris de la réalité de l’occupation, suscitent différents fronts de contestation sociale. Depuis les années soixante-dix et la lutte contre les fazendeiros, la mobilisation se poursuit, mais ses formes ont évolué et mûri, aussi bien dans leur argumentaire que dans leurs méthodes d’action.

Il existe en somme une relation dialectique entre fazendeiros et posseiros : par leurs déboisements préalables, ces derniers facilitent l’installation des premiers sur leurs terres. Mais ils constituent une force sociale presque unique, qui bien qu’elle soit mal organisée, s’oppose à une expansion silencieuse des vastes pâturages (Valverde, 1989: 105).

C’est là que se situe un des paradoxes de l’occcupation en zone pionnière amazonienne : les agriculteurs pionniers sont les artisans de leur propre expulsion. En s’installant dans les zones forestières, ils en améliorent progressivement les conditions d’accès et les rendent attractives. Or, lorsqu’une concurrence sur l’espace s’instaure, face à des acteurs plus riches ou plus influents, les agriculteurs sont rapidement marginalisés. L’action collective, parfois violente et armée, devient alors une des formes privilégiées de la résistance.

16

. Les gisements minéraux de Carajás se composent de minerai de fer (18 milliards de tonnes, teneur à 66%,), de manganèse (60 milliards de tonnes), de cuivre (1,2 milliards de tonnes), de bauxite (40 milliards de tonnes), de cassitérite (37 milliards de tonnes), et d’or (CVRD, 2004).

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1. La promotion des entreprises rurales