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En contrepoint au tableau chrono-thématique présenté en introduction, en cartographiant quelques éléments statistisques et organisationnels localisés, nous avons contruit une carte des territoires du babaçu, qui est une interprétation spatialisée du « système du babaçu » et de ses contradictions. En effet, en l’absence de données fiables sur la localisation des casseuses, nous avons retenu les statistiques de l’IBGE concernant la production des amandes par microrégion, en essayant de faire apparaître un effet de diffusion à partir de la zone de production la plus dense, appelée « zone centrale », d’où partent les innovations (par exemple les lois municipales du « babaçu libre », défendant l’accès aux forêts de babaçu, dont la première a été adoptée en 1997 dans le municipe de Lago do Junco). Sur ce fond, nous avons fait figurer par des symboles les éléments d’organisation du système du babaçu, qui se déclinent à la fois en termes de protection des babaçuais et en termes de conflits autour des usages contestés de la ressource.

Les territoires du babaçu, qui ont longtemps été seulement représentés comme la simple aire d’extension des forêts de babaçu, ou de façon plus complexe dans le cas des « cartes situationnelles » (Almeida et al., 2005). De telles cartes, dressées par les anthropologues, font partie d’un programme de « cartographie sociale » faite à dires d’acteurs, dont les informations ne visent pas l’exhaustivité (en dépit de la prolifération d’informations) ou l’exactitude géographique, mais cherchent davantage à faire figurer l’empreinte des communautés sur l’espace.

La carte que nous proposons tient compte de ces différentes approches et croise des données de production ainsi que l’impact ponctuel des systèmes d’organisation, permettant de distinguer deux grands types de territoires : l’un au centre du Maranhão, nettement caractérisé, comme son nom l’indique dans la « région des Cocais », qui s’étend jusqu’aux limites du Piauí ; l’autre correspond à la zone d’occupation récente qui s’est structurée au sud-ouest de l’Etat, à la triple frontière Maranhão/Tocantins/Pará (carte n° 7).

C’est cette direction qui a pu être qualifiée d’« axe de la babaçualisation » tant à cause de la progression des paysages dominés par le babaçu que par la densité des interventions publiques et privées.

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ONE CENTRALE DU BABAÇU

La région des Cocais, où le babaçu est le plus fortement ancré dans la culture et dans les paysages, constitue le cœur du système du babaçu. Tout d’abord d’un point de vue statistique, c’est aujourd’hui encore la région de plus grande concentration des palmiers et des casseuses. Principale zone de production des amandes, encore pour l’essentiel écoulées vers les usines selon le système classique casse/revente aux intermédiaires, petit à petit des expériences alternatives de production émergent dans cette région, telles que l’Assema et la Coopalj dans le Médio Mearim ou comme l’association des femmes d’Itapecuru-Mirim.

Ensuite, d’un point de vue historique. D’occupation plus ancienne, lorsque les conflits fonciers ont éclaté, le peuplement y était déjà stabilisé, expliquant une mobilisation et un structuration associative précoces, qui dénote également une grande capacité d’articulation. De fait, c’est dans le centre du Maranhão, berceau de la contestation sociale associant lutte foncière et lutte pour l’accès au babaçu, que s’est formalisée l’identité politique de la « quebradeira ». Ainsi, dans la continuité d’une mobilisation forgée par la lutte syndicale, les femmes, gagnent à se présenter isolément de leurs époux sur la scène politique, tout d’abord pour se recentrer sur des causes féminines, mais aussi pour mettre en valeur la pratique de l’« extractivisme » et profiter des avancées politiques que cela augure.

Pedreiras et Lago do Junco forment le centre stratégique, où les initiatives sont portées par des femmes jeunes qui cherchent à moderniser la filière du babaçu, thème qui sera développé au chapitre IV.

Carte 7 : Les territoires du babaçu

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ONE PERIPHERIQUE DU BABAÇU

La culture du babaçu et de la casse s’affaiblit d’autant plus qu’on avance vers l’ouest ; l’empreinte historique y est beaucoup moins forte, les multiples usages quotidiens du palmier (engrais, paniers, éventoir, huile, charbon, etc.) plus méconnus. Malgré la honte et les préjugés qui, eux, ont

Chapitre I – Le Maranhão dans le temps et dans l’espace

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accompagné l’avancée du babaçu, un certain nombre de femmes s’investissent dans cette activité, encouragées par la dynamique associative qui s’est créée autour du babaçu, comme en témoignent la présence de trois bureaux régionaux du Miqcb ainsi que quelques municipes ayant adopté la loi du babaçu libre.

En effet, de la région centrale du babaçu, un processus de diffusion géographique de mobilisation des casseuses s’est opéré vers la région périphérique, très active politiquement, conférant à cette région d’assez faible production une position stratégique dans le système du babaçu. En réalité, l’importance de cette région tient à une relation ambivalente entre des éléments forts de l’aménagement régional (chemin de fer, pôles sidérurgiques, etc.) et les luttes sociales, en particulier celles des casseuses.

L’implantation dès 1992 de trois aires protégées de type « réserve extractiviste », érigées comme témoins de la « région écologique du palmier babaçu » légitime la valeur écologique de la palmeraie de babaçu au titre de la protection des écosystèmes amazoniens et de leurs « populations traditionnelles ». L’instauration de ces unités de conservation a assis le droit des casseuses de babaçu à revendiquer une terre au nom de leur « identité productive ».

La réserve extractiviste de Ciriaco (8 084 ha), dans le municipe de Cidelândia, servira de point de référence à notre analyse dans les prochains chapitres. Ciriaco est devenu un toponyme d’origine locale, désignant une localité fondée en 1963 par José Ferreira da Silva, mieux connu comme Zé Ciriaco. Le centro est devenu un point de référence du peuplement local : il rassemble une centaine de familles, dispersées entre trois dépendances (Vila Bigode, Centro do Emídio, Vila Nova), ainsi qu’une école, un poste de santé, trois églises, un cimetière.

L’argument faisant des babaçuais un « système durable » se trouve-t-il, de façon paradoxale, renforcé par la proximité avec les pôles sidérurgiques de Marabá et Açailândia ? En effet, la commercialisation du charbon de babaçu s’est fortement accrue au cours des dix dernières années contribuant ainsi à créer un nouveau type de territoire du babaçu. Vantée comme une alternative écologique au charbon de bois par les chefs d’entreprise, cette pratique est, selon l’optique des casseuses, considérée comme un crime environnemental qui soustrait la ressource à l’usage des

quebradeiras et restreint leur accès aux palmeraies.

De fait, le système traditionnel du babaçu évolue, se transforme, cherchant à adapter les solutions à des territoires construits autrement par les usages modifiés des noix du palmier. Ou à l’inverse, ces nouvelles pratiques contribuent-elles à une reterritorialisation du système du babaçu ? Le mouvement de babaçualisation va à la rencontre du processus d’industrialisation minière et charbonnière et accentue la contradiction avec des usages moins durables ( ?) de la noix du palmier babaçu.

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HAPITRE

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