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La distinction des enquêtés par cohorte d’âge prend tout son sens avec l’observation des lieux de naissance des répondants. Pour leurs parents, les essais de répartition par cohorte n’avaient pas été significatifs, les régions de naissance ne se distinguaient pas de manière expressive. En revanche, chez les répondants, les effets de génération sont clairement visibles. La carte n° 10-C, qui situe le lieu de naissance des répondants, nous permet de constater deux foyers propres à chaque cohorte.

La génération la plus ancienne (+45 ans) est originaire essentiellement de l’est maranhense ainsi que des Etats du Ceará et du Piauí, zone qui correspondait basiquement à la région de naissance des parents. Plus précisément, on identifie plusieurs points d’origine : à l’est, les municipes de Caxias et d’une manière générale, les municipes situés en bordure de la frontière Maranhão-Piauí entre les villes de Teresina et Urucui, dont le peuplement remonte au début du siècle. Dans les années vingt, les agriculteurs progressent dans la région centrale, aujourd’hui connue comme région des cocais. C’est là que se trouvent les villes de Vitorino Freire et Pedreiras, deux foyers d’origine importants de notre échantillon, qui rassemblent l’ancienne et la jeune génération. De là, les agriculteurs ont pénétré le sertão maranhense en suivant les pistes de bouviers, au centre-sud de l’Etat, et ont fondé les villes de Barra do Corda puis de Grajaú.

La jeune génération (-45ans) provient en grande partie de la pré-Amazonie. Ainsi, des répondants nés dans le Maranhão, 95% des +45 ans sont nés dans les régions est (45,8%) et centre (50%), tandis que chez les -45ans, 62,5% sont nés dans la région ouest, et 31,25% dans la région centre (tableau n° 8). Environ 20% de notre corpus total, tous issus de la jeune génération, sont même nés dans le municipe d’enquête (Cidelândia) ou le municipe voisin (Imperatriz), ce qui représente un rayon de 50 kms à vol d’oiseau de leur actuel lieu de résidence.

Notons que 8,6% d’entre eux sont des vrais « ciriaco-enses », puisqu’ils sont nés dans leur localité de résidence et ne l’ont jamais quittée. Encore un point sur lequel nos deux cohortes se distinguent, puisque la génération des +45ans est exclusivement composée de migrants, tandis qu’une partie de la jeune génération n’a jamais fait cette expérience, ou sur de courtes distances.

Tableau 8 : région d’origine des répondants maranhenses par cohorte région d'origine (%)

est centre ouest

-45 ans 6,25 31,25 62,50

+45 ans 45,83 50,00 4,17

Par cette distinction entre cohortes, les effets de l’avancée du peuplement régional sont nettement visibles : les anciennes générations sont nées dans les régions de peuplement plus ancien (ouest et centre), tandis que les plus jeunes proviennent des régions de peuplement consolidé et récent (centre et est). Entre les parents et les actuels habitants de Ciriaco, un mouvement progressif a effectivement mené les parents et leurs enfants vers l’ouest du Maranhão en moins d’une génération.

L’autre information importante est qu’une partie des plus jeunes de nos enquêtés, nés dans la région d’enquête, n’a pas connu ce mouvement d’avancée, puisqu’ils y étaient toujours présents lors de notre passage.

b. A l’échelle d’Ebimaz

Ce phénomène d’avancée du peuplement s’observe de la même façon sur les sites Duramaz situés en Amazonie pionnière (carte n° 12) tandis que les sites d’Amazonie forestière présentent des lieux d’origine plus ramassés (carte n° 11).

Par exemple, à Iratapuru, Chico Mendes ou Tupé, la comparaison des lieux de naissances des répondants et de leurs parents ne permet pas de tracer les lignes de l’occupation.

A Iratapuru, les habitants actuels sont les descendants de deux grandes familles originaires de l’estuaire de l’Amazone (Breves) où elles vivaient de l’agriculture de subsistance. Leur chef de famille

Chapitre II – Migrations et peuplement – Enquêtes biographiques à Ciriaco

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ont migré dans la région du Jari au cours des années 1950, attirés par les perspectives d’emploi dans la collecte du caoutchouc et de la noix du Brésil pour le compte de commerçants portugais. Après d’autres tentatives, ils fondent la commuanuté de São Francisco do Iratapuru à la fin des années 1970 sur des terres vierges. Les autres familles sont arrivées dans la région également pour travailler chez les Portugais ou dans les années quatre-vingts pour s’employer dans le projet industriel de la Jarí. La génération des répondants est dans sa grande majorité née sur place, surtout les plus jeunes, ou pour les plus âgés, à Breves ou Almeirim, comme leurs parents. En conséquence, près de la moitié des répondants (48%) n’a jamais connu de migration définitive hors du municipe, tandis que 30% d’entre eux, qui sont nés hors du municipe actuel de résidence, sont nés dans le même municipe que leurs parents.

Carte 11 : Municipes de naissance des pères, des mères et des répondants – Sites extractivistes (2007/2009)43

L’histoire de la communauté du PAE Chico Mendes est encore plus ancrée dans le local : 75% des enquêtés sont nés dans le municipe même – Xapuri –, et 90% du total est né dans un rayon 40 kms de son lieu de résidence actuel. De même, la génération des pères et mères des répondants nés au Brésil sont nés à 77% et 66% dans ce même rayon. Ainsi, avant de se stabiliser dans la zone du PAE Chico Mendes au milieu des années quatre-vingts, leur trajectoires migratoires ont été de faible envergure, et ont connu un nombre d’étapes restreint : côté Brésil, l’origine des familles se raconte en trois municipes : Epitaciolândia, Brasiléia et Xapuri. Car en effet, le PAE fait frontière avec la Bolivie, ce qui d’une part explique l’importante proportion de « mères nées à l’étranger », et d’autre

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Lors de la lecture de la carte, prêter attention au fait que les cercles proportionnels des deux sites ne sont pas à la même échelle.

part ne contredit pas cet ancrage local, car nombre de familles du PAE ont des parents installés de l’autre côté et/ou traversent régulièrement la frontière par exemple pour la saison de la noix du brésil et la réalisation de travaux agricoles ponctuels (déboisements) (Le Tourneau, Théry et Tritsch, 2008).

En revanche, sur les sites pionniers, les cartes laissent clairement transparaître une avancée du peuplement, qui s’opère par vagues, à l’échelle temporelle de la génération, sur le même modèle que celui souligné par Droulers dans le Maranhão (1979), qui signalait une avancée par cercles concentriques.

A Anapu, les parents sont originaires à 80% de la région nordeste (Piauí, Ceará, Paraiba, Pernambouc, Bahia, et surtout Maranhão). Déjà, les foyers de naissance de la cohorte +45 ans se répartissaient en trois zones du Brésil : les maranhenses (59,26%) sont nombreux à être nés dans la pré-Amazonie, les autres nordestins (Ceará et Paraiba) sont minoritaires. Un nouveau foyer apparaît dans la région sudeste (Minas Gerais et Sud Bahia), dont est originaire 18,51% de cette cohorte.

La proportion de migrants de la génération -45ans nés dans le Pará est significativement plus importante que pour la génération précédente (28,57% contre 3,70%), de même que ceux originaires de l’extrême nord du Tocantins ou de la région d’Imperatriz, zone d’occupation active à partir des années soixante. Ces constatations permettent de dessiner deux courants migratoires :

(i) les avancées est-ouest, fait de nordestins s’orientant vers les terres libres maranhenses puis au fur et à mesure des générations vers les fronts pionniers proprement amazoniens ;

(ii) les nordestins ayant migré dans la région sudeste où naissent leurs enfants, qui eux-mêmes sont repartis vers le front pionnier de la Transamazonienne.

Dans le Rondônia également, le mouvement des migrations, bien plus ample et moins linéaire que celui observé chez les maranhenses ou sur le site d’Anapu, a couvert presque tout du Brésil. Entre les trois générations, la courbe tracée descend clairement le long de la côte orientale, effectue un virage dans le sud du pays avant de remonter par l’intérieur.

La génération des parents provient des régions d’agriculture traditionnelle du Nordeste et du Sudeste, essentiellement dans les Etats littoraux et le Minas Gerais, avec une forte concentration à la triple frontière Bahia, Espirito Santo, Minas Gerais. Ils migrent ensuite vers les Etats du Sud du pays qui, entre les années 1920 et 1960, offraient aux migrants les conditions favorables pour l’acquisition de terres, notamment grâce à des programmes de colonisation bien encadrés et organisés (Swain, 1986) – mais qui n’ont pas empêché le développement de pratiques frauduleuses d’appropriation foncière.

Ce sont dans ces Etats (Paraná, Mato Grosso do Sul, Santa Catarina et Rio Grande do Sul) que naissent leurs enfants : 30,44% des colons de la génération +45ans. L’observations des municipes de naissance de la génération suivante traduit une nouvelle étape de l’avancée du peuplement, remontant vers le Mato Grosso au cours des années soixante (Le Borgne-David, 1998), où sont nés 21,62% des migrants de la génération -45ans. Sur ce site, la majorité des répondants Ebimaz, toutes générations confondues, est née dans les régions de frontière au sud du pays, d’où ils ont également migré pour rallier le lieu d’enquête.

Les enquêtes menées en 1978 par G. Martine au PIC Ouro Preto mettaient déjà en lumière ce phénomène d’avancée entre les générations. L’observation du déplacement des lieux de naissance l’amenait alors à conclure que même dans les zones de colonisation réussie comme le Paraná ou le

Chapitre II – Migrations et peuplement – Enquêtes biographiques à Ciriaco

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Mato Grosso, une génération suffit pour renouveler le processus d’expulsion des petits agriculteurs ( : 80) 44.

Le profil migratoire est-il lié au genre de vie (agriculture, extractiviste...) ? Si l’on raisonne par groupe contexte, force est de constater une fois encore que Ciriaco s’éloigne du modèle extractiviste et présente un profil plus proche de celui des migrants issus de l’agriculture familiale.

Notre expérience de Ciriaco a démontré que la frontière entre extractiviste/agriculteur peut être ténue, (nous y reviendrons dans le chapitre III). Les identités liées au genre de vie sont mouvantes, certains transferts dans la définition de soi peuvent s’opérer, parfois en fonction du contexte politico-social et des opportunités qui s’y rapportent, comme cela est arrivé à Ciriaco, où les habitants ont appris à développer une identité politique extractiviste alors qu’ils se revendiquaient auparavant comme agriculteurs. D’une autre façon, les expériences de la collecte du caoutchouc et de la castanha ont montré que l’extractivisme peut être une opportunité de travail comme une autre, et en fonction des conditions locales devenir une activité stabilisatrice pour des jeunes hommes qui n’en ont pas la culture, comme dans le cas d’Iratapuru.

En fonction de ces éléments, nous n’en concluons pas que les activités extractivistes ont réellement un pouvoir de fixation supérieur, mais plutôt que les profils migratoires observés sont spécifiques de la zone d’implantation du terrain d’enquête. En raison de la dégradation des paysages, les régions pionnières, où les hommes sont très mobiles, sont peu propices à la pratique de l’extractivisme. Ces populations extractivistes sont donc plutôt caractéristiques des zones forestières, dont le peuplement est moins tourmenté que dans l’arc de la déforestation. En ce sens, ce n’est pas le fait d’être extractiviste qui diminue la nécessité de migrer. On pourrait plutôt dire que la pratique de l’extractivisme témoigne d’un peuplement stabilisé et de conditions écologiques favorables.

Le fait que les histoires migratoires des familles de Ciriaco soient plus complexes tient surtout au fait qu’ils soient originaires d’une zone plus soumise à la pression foncière que les autres profils extractivistes. En réalité, leur mobilité reflète également l’histoire foncière, et caractérise un extractivisme pratiqué dans une zone d’arrière-front pionnier, qui a connu une grande instabilité dans les années soixante-dix et début quatre-vingts, dans laquelle les activités agroextractivistes ont été progressivement marginalisées face aux activités d’élevage.

En conséquence, les parcours migratoires des enquêtés de Ciriaco s’étendent sur une plus longue période (en moyenne 18,2 ans) qu’à Chico Mendes ou Iratapuru (11,7 ans) traçant ainsi un profil plus proche de celui des agriculteurs d’Anapu (23,3) ou d’Ouro Preto (22,6).

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De la même manière que dans le Maranhão des années cinquante, où on distinguait les bons caboclos (cearenses) des mauvais caboclos (maranhenses), sur le front de colonisation du Rondônia faisait-on la différence entre les bons colons originaires du Sud et les mauvais colons nordestins (Léna, 1992b).

Carte 12 : Municipes de naissance des pères, des mères et des répondants – Sites pionniers (2007/2009)

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II. II UN LIEU DU FRONT PIONNIER,