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LES TROIS ATTITUDES PSYCHOLOGIQUES DE L'ACTIVITE ESTHETIQUE

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A, LES TROIS ATTITUDES PSYCHOLOGIQUES DE L'ACTIVITE ESTHETIQUE

La connaissance de certaines attitudes psychologiques permet d'aborder avec plus de clarté ce qu'il est convenu d'appeler les trois "moments" esthétiques, à savoir: la contemplation, la création, l'interprétation,

a) La contemplation.

Si l'on admet l'aspect subjectif du jugement esthétique, trois réactions possibles se présentent - selon Denis HUISMAN:

- ou bien l'objet nous laisse froid et provoque en nous un état d'âme proche de l'indifférence polie des amateurs mondains,

- ou bien, c'est un plaisir - vif ou maigre, mais réel - que nous éprouvons en face de l'oeuvre. Alors, il se produit une sorte de rayonnement: il y a sublimation de la nature et de l'objet.

Ce plaisir est extrêmement subjectif; il dépend de notre caprice, tel paysage nous enthousiasme un jour et nous semblera monotone quelques jours plus tard,

- ou enfin, nous pouvons éprouver dans cette contemplation une sorte de joie intérieure qui s'offre dans l'art à l'état d'extase. En dépit des essais tentés pour reconnaître dans l'art des catégo­ ries, il faut admettre qu'il n'y a qu'une seule forme du sentiment artistique et que tous se réduisent à cette affectivité positive: la joie,

b) La création,

Qud-s sont les facteurs de la création?

A cette question NIETSZCHE reconnaît que "les artistes ont intérêt à ce que l'on croie aux intuitions soudaines, aux soi-disant ins­ pirations. En réalité - ajoutait-il - l'imagination du bon artiste produit constamment du bon, du médiocre et du mauvais. Mais son jugement extrêmement aiguisé choisit, rejette, combine".

Il est admis que l'élément essentiel est 1'inspiration, le souffle originel. Que faut-il réellement en penser? Paul VALERY est peut- être le seul créateur à avoir consenti à parler du processus de la création artistique autrement que par bribes. Il eut ce mot célèbre: "Les Dieux gracieusement nous donnent pour rien tel premier vers: Mais c'est à nous de façonner le second qui doit consonner avec

l'autre et ne pas être indigne de son aîné surnaturel". ALAIN reprend l'idée en déclarant que "la loi suprême de l'invention humaine,

c'est qu'on invente rien qu'en travaillant".

En fait, les trois facteurs généraux de la création pourraient bien être:

- 1° 1'originalité (ressembler à soi et ne ressembler à personne) - 2® la spontanéité (voir ce que personne d'autre n'a vu)

- 3® la productivité (fécondité plus qualitative que quantitative)

c) L'Interprétation,

Le fait de voir dans l'interprétation une sorte de "mo­ ment" esthétique est relativement récent. L'exécutant est à la fois un créateur dans la mesure où il repense l'oeuvre et un contempla­ teur en tant qu'il apprécie en connaisseur le mérite de l'objet d'art.

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Mais le seul état esthétique que l'on retrouve nécessaire­ ment aux trois moments de lapsychologie de l'art paraît être la joie. Pour Denis HUISMAN, cet état "second", cet état de "grâce" caracté­ rise à la fois la contemplation, la création et l'interprétation. L'esthéticien allemand HANSLICK se demandait "Si tous les Requiem,

si toutes les Marches funèbres, tous les Adagios gémissants avaient le pouvoir de nous rendre tristes, qui pourrait supporter l'existen­ ce dans ces conditions?". "Mais, ajoutait-il, qu'une véritable oeuvre d'art nous regarde en face avec les yeux clairs et brillants de la beauté et nous nous sentirons enchaînés par son charme invincible,

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B. LES ELE1>IENTS PSYCHOLOGIQUES CONSTITUTIFS DE L’INTUITION ESTHETIQUE.

Précisons, pour commencer, que nous adopterons ici la définition bergsonnienne de l’intuition, c'est-à-dire 1’unité in­ divisible de la conscience fusionneint toutes ses fonctions lorsque de toute son âme, l’homme tend à pénétrer tm ob.jet". Intuition dans laquelle entrent:

1° des éléments représentatifs tels que des éléments sensibles (perceptions - imagination reproductrice ou créatrice) et des élé­ ments intellectuels (entendement sur expérience sensible ou raison pure).

2° des éléments affectifs, I. ELElffiNTS_REP^SENTATIFS.

a) LA PERCEPTION,

La perception est un facteur fondamental de l’intuition esthétique, La perception est toujours liée à l’espace et au temps ou mieux, à l’étendue, au volume, à la forme, au mouvement, au rythme, phénomènes de conscience qui ne sont pas simplement "vus" par l’oeil ou "entendus" par l’oreille mais perçus grâce à la coo­ pération des sens extérieurs et intérieurs.

Les mouvements grands ou petits, des muscles et des arti­ culations qui accompagnent la vue et l’ouïe sont ici d’une impor­ tance capitale. Il est frappant que beaucoup de mots, ayant rapport à des sensations motrices sont appliquées à des choses non mobiles. Ne parle-t-on pas de "colonnes qui s’élancent vers le ciel", de

"plans qui s’élèvent devant nous", d’"actions dramatiques qui se précipitent vers un dénouement"?

En théorie, on peut déterminer à priori que, dans une intuition complexe l’attention du sujet peut aussi bien se porter sur une ligne mouvante que sur la couleur; c’est-à-dire aussi bien sur le mouvement conscient de l’oeil que sur l’acte visuel immobile. Plaçons encore ici quelques considérations faites par Mr DE BRUYNE

dans son "Esquisse d'une Philosophie de l'Art".

Dans les arts plastiques, bien des sculpteurs, bien des peintres relèvent du type sensori-moteur. Les lignes de Michel-Ange ne nous font-elles pas vibrer avec elles? Tâchez donc de résister à l'im­ pression motrice de Sa Sainte Famille ou à celles des célèbres

Ignudi, fouettés par un vent de tempête, des Prophètes et des Sibyl­ les de la Chapelle Sixtine. Tout ce que l'artiste génial voit, sent, tout ce dont il jouit est mouvement du corps et de l'âme. Van Gogh aussi est ion artiste moteur: les lignes tourbillonnantes de beau­ coup de ses oeuvres expriment l'ondulation passionnée de sa vie inquiète. Lisez le manifeste futuriste "Il faut donner la sensation dynamique, c'est-à-dire le rythme particulier de chaque objet, son penchant, son mouvement, ou pour mieux dire sa force intérieure.... Tous les objets inanimés révèlent dans leurs lignes, du calme ou de la folie, de la tristesse ou de la gaîté.... Des lignes confuses sursautantes, droites ou courbes, exprimeront une agitation chaoti­ que de sentiments. Ces lignes-forces doivent envelopper et entraîner le spectateur qui sera en quelque sorte obligé de lutter, lui aussi, avec les personnages du tableau,"

b) L'IMAGINATION.

Il est certain qu'un adulte n'a pour ainsi dire jamais de perceptions pures. En effet, quand nous nous représentons quel­ que chose, nous saisissons à la fois la signification objective de cet objet et nous prenons conscience des images innombrables qui surgissent de la mémoire et qui éclairent la représentation centra­ le d'une lumière nouvelle.

Non seulement une image peut faire apparaître une autre image de même espèce ou d'espèce différente mais aussi un état de conscience représentatif ou affectif peut provoquer des sentiments sans images claires.

Mais ici, le problème se pose: l'imagination n'est-elle qu'un pouvoir de copier, de traduire, tout au plus de transposer? Faut-il, au contraire la reconnaître comme une fonction créatrice au sens le plus fort?

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Sans vouloir trancher la question, nous devons reconnaître que l'imagination agit par ses schèmes et ses thèmes organisatexirs.

L'analyse de ces schèmes (que l'on aperçoit déjà dans les produits de l'imagination errante tels que les rêves) combinée à celle des moyens techniques par lesquels ils s'incarnent ne dissi­ pe pas toutes les énigmes de la création: elle nous aide à comprendre comment elle est possible.

Mais notre propos ne concernant nullement le problème de la création artistique mais bien celui de l'initiation à la compréhension de l'oeuvre d'art, nous nous intéresserons à l'étude de l'imagination dans la mesure où elle nous renseigne sur ce que l'oeuvre exprime et sur ce qu'elle nous livre de l'homme qui l'a engendrée. Elle peut préciser les notions de personnalité et de style.

a) L'oeuvre et ce qu'elle exprime.

- L'arjt £eut_s_^ef f^rç^er à l^a_traduç^t^on du_r^el,.

Pour certains, comme Platon, il s'agit d'une imitation des apparences. Cette conception caractérisée par les aspects du réel qu'elle retient et la valeur qu'elle attribue à leur reproduc­

tion a persisté jusqu'à nos jours dans les théories aussi différen­ tes que la pensée de Pascal "Quelle vanité que la peinture qui atti­ re l'admiration par la ressemblance des choses dont on n'admire point les originaux", que le réalisme de Courbet, la philosophie de l'art de Taine, le naturalisme de Zola, le réalisme socialiste de cer­

tains marxistes.

Pour d'autres, comme Freud, l'artiste-introverti insatisfait- se détourne d'abord du réel et concentre sa libido sur les désirs créés par sa vie imaginative. Puis il retrouve le chemin de la réa­ lité en donnant à ses rêves éveillés une fonne telle qu'ils perdent tout caractère personnel susceptible de rebuter les étrangers et deviennent une source de jouissaince pour les autres.

Enfin, pour Sartre, le créateur réalise l'expérience mentale des possibilités inaccomplies. Il produit ses oeuvres pour vivre à tra­ vers elles jusqu'à la lie ses propres possibilités et par là, s'en dépouiller: il se délivrera de ses désirs, de ses émerveillements, de ses dernières illusions comme de ses hantises.

- L’ar^ £eut_é^a^ement_chercher à transformer le rée^l par la repro­ duction d'un modèle idéal: "Phidias fit son Zeus sans égard à aucun modèle sensible; il l'imagina tel qu'il serait s'il consentait à paraître à nos regards" (Plotin).

La mission de l'art - dit Balzac - n'est pas de copier la nature mais de l'exprimer.

Une main n'est pas seulement une fonne, elle exprime et continue une pensée qu'il faut saisir et rendre. Ni le peintre, ni le poète, ni le sculpteur ne doivent séparer l'effet de la cause qui sont invinciblement l'un dans l'autre.

L'art transfigure la nature: il dévoile et traduit l'essence du réel.

- Enfin, pour certains, l^art_e^t_créatd.on d'un^ réal^té^ et le monde qu'il crée est irréductible à celui du réel.

b) Ce que l'oeuvre d'art nous livre de l'homme qui l'a engendrée. Tout homme est dans son oeuvre que ce soit la poésie, la prose, la sculpture, la peinture, mais le tableau est particulière­ ment révélateur. Une difficulté: Comment doit-on considérer l'oeuvre? Comme un reflet du milieu social ou d'une personnalité?

"Plus l'homme a du génie, plus il est irréductible à son milieu social", déclare Gaston Berger.

En réalité le peintre dépend de son public mais sa personnalité intervient et c'est elle qui fait son génie.

La différence entre le thème et le sujet nous permettra de dépister l'incidence de ces deux facteurs.

Le thème est en général social et dépend de la mode et du milieu, le sujet est personnel.

Si le thème d'une oeuvre bien connue de Fouquet est celui de la Vierge et l'Enfant, le sujet en est le portrait d'une femme assez

coquette dévoilant un sein parfait.

Saint Sébastien est bien le thème d'une oeuvre de Mantegna et du Pérugin mais si, chez Mantegna, le sujet est la peinture d'iin per­

sonnage douloureux; chez le Pérugin, c'est la représentation d'vin beau jeune homme mystique qui dcins l'ardeur de sa foi ne ressent plus la douleur.

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Le thème intéresse le sociologue, le sujet intéresse le psychologue; Il révèle la manière dont une personnalité réagit aux sollicitations du milieu.

Y a-t-il un intérêt réel à pénétrer la psychologie du peintre?

Cette connaissance nous pennet de comprendre l’Homme: il ne s’agit pas ici d’nne curiosité gratuite car elle se greffe sur l’intelligence de l'oeuvre d’art.

Ensuite, elle nous apporte des Ixxmières sur la création en général et sur la création picturale en particulier, elle nous donne une intelligence plus proprement esthétique de l’oeuvre.

Cette connaissance nous permet d’établir entre le peintre et nous une relation intime qui nous aide à découvrir des beautés qui risqueraient sinon de nous échapper. Il y a des indices dans une oeuvre qui peuvent être repérés, décrits.

La convergence de ces indices nous permet de mieux connaître l’homme et par conséquent son oeuvre.

Dans une conférence qu'il fit récemment à l’Institut des Hautes Etudes, Gaston BERGER tenta de montrer dams quelle mesure l'interprétation des indices permet de pénétrer la psychologie du peintre.

Quels sont les principaux indices évoqués par BERGER?

- 1® La préférence pour certains types de paysages ou de personnages Le type de femme peint par Rubens est révélateur de son idéal.

La différence avec laquelle Rubens et Rembrandt peignent les enfants témoigne de deux tendances bien différentes: chez Rubens, ce sont des êtres charmants quelque peu grassouillets; chez Rembramdt, ce sont de petits vieillards, ridés, sans grâce. Rembrandt est infini­ ment plus à l'aise lorsqu'il peint des vieillards.

- 2® Le geste: certains gestes reviennent et sont particulièrement caractéristiques :

- chez Rubens, l'étreinte est sensuelle dans l'amour comme dans le combat

- chez Watteau, le geste est gratuit, beau, fait d'équilibre. - chez Rembrandt, le geste n'ose pas étreindre.

- 3® Le_symbolisme.

Certains symboles hantent les peintres: le "Soleil" obsède van Gogh. Il peint directement le soleil, il peint les fleurs de soleil, il dessine la bougie comme un soleil car elle est éclatante, sa couleur préférée est le jaune. Lui-même se con­ fond avec le soleil, il se représente sur un fond bleu-nuit et son visage encadré d'une barbe et d'une chevelure rousse se confond avec le soleil. Toute son oeuvre est pleine de flammes. Les arbres noirs se tordent comme des flammes, La flamme est dans la touche

elle-même, sinueuse, insistante, tordue, - 4® La_composition - le_mouvement.

Il y a des tableaux calmes comme ceux de Seurat, des ta­ bleaux agités comme ceux de van Gogh.

Le sentiment d'élan de puisssince est donné par les obliques ascen­ dantes. Pensons à la montée au calvaire de Rubens: c'est une apothéo se, on voit moins Jésus. Tout s'élance vers le ciel et symbolise le salut, un mouvement de gloire. Jésus sauve les hommes: il y a ici un élan enthousiaste.

Delacroix admirait beaucoup ce tableau, il l'a copié. Il a donc fait tuie montée au calvaire. Chez lui, au lieu de cette oblique ascen­ dante, la composition descend. On voit Jésus écrasé par la croix, par la masse de la montagne qui se trouve à l'arrière.

Que le peintre le veuille ou non, sa personnalité apparaît: l'acti­ vité triomphante de Rubens cède la place à l'inactivité accablée de Delacroix.

- 5® L'harmonie ou le drame.

Chez Vinci tout respire l'harmonie. Chez Rembrandt, le drame apparaît dans le combat entre l'ombre et la lumière, c'est-à- dire entre l'esprit et la chair. L'artiste est ici un homme avide, aimant les bijoux, le luxe mais il sait que tout cela est sans va­ leur réelle. S'il est attiré par la chair, pour lui, elle est aussi le péché.

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