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L'ESTHETIQUE INDUSTRIELLE ET LE PROBLEME DU BEAU ET DE L'UTILE

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112 IV.- L'APPORT DE L'INDUSTRIE

D. L'ESTHETIQUE INDUSTRIELLE ET LE PROBLEME DU BEAU ET DE L'UTILE

Chacun sait que si l'art est le domaine du beau, la tech­ nique est le domaine de l'utile. L'un répond à des fins idéales et désintéressées, l'autre à des besoins utilitaires.

Dans ce sens, l'esthétique industrielle me semble ouvrir une voie à la solution d'un problème qui donne lieu depuis l'antiquité à une constante controverse: celle qui oppose le beau à l'utile.

est la plus hostile du monde à l'idée de beauté" et demandent "quel homme digne de ce nom d'artiste, quel amateur véritable a jamais confondu l'art avec l'industrie".

Tel était aussi l'avis de RUSKIN: "Il serait déraisonnable - préci­ sait-il - de qualifier d'oeuvre d'architecture des créneaux ou des mâchicoulis simplement appropriés au jet de projectiles. Mais que

ces masses saillantes se découpent en dessous en assises arrondies, ce qui est inutile, que le sommet des ouvertures soit cintré et décoré de feuilles de trèfle, ce qui est inutile, alors c'est de l'architecture". Et parmi d'autres, A. GIDE à son tour affirme que "l'efflorescence de la sculpture et de la peinture, de l'art enfin, se développe sur ces parties des temples grecs et des cathé­ drales qui précisément avaient cessé d'être utiles". Et il en arrive à cette formule nette et tranchante: ne peut être asservi à la fi­ nalité esthétique que ce qui échappe à l'asservissement utilitaire.

Cette opinion très répandue peut se récleuner d'une antique leçon d'ARISTOTE qui, dans sa Politique, nous enseigne que: "Parmi les actes humains, les tons se rapportent au nécessaire, à l'utile; les autres se rapportent uniquement au beau. On ne recherche le nécessaire et l'utile que pour atteindre en définitive, le beau. Il faut savoir accomplir le nécessaire et l'utile. Mais le beau est supérieur à l'un et à l'autre".

Passons à la thèse contraire. Elle a des titres égaux d'antiquité. A la leçon d'Aristote, nous pouvons opposer en effet l'enseignement de SOCRATE, si nous en croyons du moins un passage célèbre des Mémorables. "Crois-tu donc, dit Socrâte, qu'autre chose est le bien, autre chose est le beau? Ne sais-tu pas que ce qui est beau pour une raison est bon pour la même raison?... que tout ce qui est utile aux hommes est beau et bon relativement à l'usage qu'on en peut faire? - Comment, un panier d'ordures serait donc une belle chose?

-- Oui, par Zeus, et un bouclier d'or est laid du moment que l'un est convenablement fait pour son usage et l'autre non". Et XENOPHON ajoute ceci qui apparaît comme la meilleure définition de ce que nous appelons aujourd'hui le FONCTIONNALISME; "Quand Socrate disait que la beauté d'un édifice consiste dans son utilité, il me semble

lié

qu’il enseignait le meilleur principe de construction".

A la lumière de l'esthétique industrielle, ce vénérable problème âprement disputé semble prendre le rang d'un pseudo-pro­ blème .

Au lieu de vouloir trancher entre ces deux courants d'opinions contraires qui partagent encore aujourd'hui les suffrages, il est infiniment plus intéressant de tenter de dégager les liens qui unis­ sent les jugements que nous portons soit sur iin ouvrage industriel soit sur une oeuvre d'art. C'est ce qu'a tenté Mr COMBET, industriel français dans un exposé qu'il fit en 1951 au Musée de l'Homme et dont nous relèverons ici les idées essentielles:

1. Le jugement technique porte sur L * UTILITE de l'ouvrage, c'est- à-dire sur le rapport de l'oeuvre à sa destination: c'est ce rapport lui-même qu'il juge, c'est l'exact ajustement de l'oeuvre à sa

fonction.

En d'autres termes, on peut assimiler un produit de la technique à la solution du problème. Il est réussi si le problème est bien résolu.

LEIBNIZ a montré que "dans les choses, il y a un principe de déter­ mination que l'on doit tirer du maximum et du minimum, à savoir que

le plus grand effet soit, pour ainsi dire, produit aux moindres frais" .

Une oeuvre exactement déterminée, c'est une oeuvre où un minimiun de moyens a été employé pour un résultat maximum. C'est une oeuvre qui satisfait au principe d'économie.

Mais cette proposition peut être revendiquée par bien d'autres

disciplines que celle de l'ingénieur. L'économie des moyens est aussi UN PRINCIPE ESTHETIQUE aussi bien en architecture qu'en peinture

ou en poésie.

Un tableau disait BAUDELAIRE à propos de l'art de Delacroix, "c'est une machine dont tous les systèmes sont intelligibles pour un oeil

exercé; où tout a sa raison d'être si le tableau est bon" et il

ajoutait:"Il n'y a pas de hasard dans l'art non plus qu'en mécanique". Un poème, dit à son tour MALLARME "abolit le hasard, c'est le hasard vaincu mot par mot". De même ce qui ravissait NIETZSCHE à la lecture d'une ode d'Horace c'est " ce minimum dans la somme et le nombre

des signes et ce maximiim dans l'énergie des signes". Comme aussi ce qui frappait FROMENTIN dans l'art de Rubens, le plus lyrique de tous les peintres, "c'est d'avoir su atteindre avec si peu de matières colorantes un si grand éclat, un si grand faste avec si peu de frais".

Ainsi non seulement l'art ne repousse pas le principe de détermination qui définit et en quelque sorte mesure la valeur tech­ nique d'un ouvrage mais même il s'en empare volontiers à son propre usage.

L'obéissance au principe d'économie est donc une première relation qui établit une sorte de passerelle entre l'art et la technique industrielle.

2. Quand nous jugeons de la beauté d'une oeuvre, ce qui distingue le plus nettement un tel jugement d'un jugement d'utilité, c'est la valeur que nous attribuons à 1 ' ORIGINALITE de cette oeuvre. La plus fidèle copie, le plus adroit pastiche sont loin d'avoir la même valeur que l'oeuvre originale. Tant de savants, tant d'érudits

ont relevé avec un soin minitieux l'architecture du Parthénon qu'on pourrait sans doute aujourd'hui reconstituer avec précision ce

chef-d'oeuvre et ce nouvel édifice représenterait assurément le temple original mieux que les ruines qui dominent l'Acropole. Et cependant ce sont bien des ruines en leur état misérable qui nous émeuvent et non pas la plus savante reconstitution.

Ainsi la beauté n'est pas attachée à des formes, à des proportions, à des mesures que l'on pourrait détacher de l'oeuvre d'art. Elle est liée à la matière périssable, elle est inséparable de la vie de ces formes, de leur élaboration, du mouvement même de la forma­ tion, Ce que nous admirons dans ime oeuvre d'art, ce n'est pas seulement un résultat positif qui peut être reproduit, qui peut être imité, qui peut être mis en formule, c'est le témoignage de l'imagination créatrice d'un artiste.

Alors qu'tin raisonnement juste reste juste quel qu'en soit l'auteur, alors qu'une loi physique ou mathématique est vraie en elle-même et reste vraie quel qu'en soit l'inventeur, alors qu'un ouvrage

exactement approprié à des fins garde sa valeur technique quel qu'en soit le constructeur, la valeur d'un tableau ou d'un poème ne peut

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