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Les termes d'adresse selon Braun et Dunkling

2. Terminologie

2.3. Les termes d'adresse selon Braun et Dunkling

Si Braun16 semble être LA personne à mentionner dans tout travail portant sur les termes d'adresse en général tant ses propos sont repris dans de nombreuses études, l'évocation de Dunkling semble être totalement inédite. En effet, aucun des nombreux travaux lus dans le cadre de cette thèse ne fait référence à cet auteur. Pour autant, sa classification des termes d'adresse n'est pas dépourvue d'intérêt. C'est pour cette raison qu'elle est citée ici.

2.3.1. La perception de Braun

Braun (1988) adopte une terminologie relative au système de l'adresse dont voici un aperçu. Elle définit l'adresse comme la référence linguistique du locuteur à son allocutaire. Par là, il faut comprendre tout ce qui relève de l'interpellation. Les

formes d'adresse désignent l'ensemble des mots et des expressions utilisés pour

s'adresser à quelqu'un. Elles renvoient à l'allocutaire et sont donc fortement

16. Pendant l'été 1975, à l'université de Kiel, Werner Winter anime un séminaire portant sur la dimension sociale dans la langue. Suit la création d'un groupe de recherche visant à étudier les formes d'adresse, considérées comme un exemple essentiel d'indicateur linguistique de la dimension sociale. Les membres de ce groupe ont mis au point un questionnaire pour interroger des informateurs sur le comportement de l'adresse dans leur langue et ils commencent à collecter les publications et les ouvrages portant sur ce sujet. En 1980, sous la direction de Werner Winter, fut lancé le projet de recherche « Reflection of social structure in natural languages: address behavior ». La collecte des informations sur le système de l'adresse dans les différentes langues se déroule en deux temps : on commence par réunir des publications sur le sujet (plus de 1100) et on établit une bibliographie ; on interroge des informateurs sur le fonctionnement de l'adresse dans leur langue. Le questionnaire permet d'interroger ces personnes et des données sont collectées pour une trentaine de langues. Entre un et quatre informateurs sont interrogés pour chaque langue. Cela se passe à Kiel avec, pour informateurs, des étudiants étrangers, issus de milieux sociaux divers, âgés de 18 à 30 ans. D'autres chercheurs collaborent à ce projet avec Werner Winter. C'est Armin Khoz (1980-82), auquel succède peu de temps après Klaus Schubert (1983-1985), qui réunit une bonne partie de la bibliographie et qui interroge des informateurs sur le coréen, le chinois et le kurde. Avant de rejoindre le projet en 1981, Friederike Braun, qui avait étudié les formes d'adresse en norvégien, interroge des informateurs sur dix-sept langues. Zsuzsanna Bényei rejoint le projet en 1985. Elle concentre ses recherches sur les langues finno-ougriennes.

déictiques. Elles désignent souvent l'allocutaire mais pas nécessairement puisque leur signification lexicale peut contredire ou différer des caractéristiques de l'allocutaire. Les formes d'adresse sont de trois types : le pronom, le verbe et le nom, et d'autres mots syntaxiquement dépendants d'eux. Les pronoms d'adresse renvoient à l'allocutaire : il s'agit des pronoms de deuxième personne comme le you anglais et les tu et vous français. Mais d'autres personnes grammaticales peuvent agir en tant que pronoms d'adresse s'ils réfèrent à l'allocutaire. C'est le cas du Sie allemand (3ème personne du pluriel), du De danois (3ème personne du pluriel), du Lei italien (3ème personne du singulier, féminin). Les formes verbales de l'adresse sont les verbes dans lesquels la référence à l'allocutaire se fait, par exemple, par le biais de suffixes, superflus lorsqu'ils sont employés conjointement avec des pronoms d'adresse. Mais dans des langues où les pronoms sujets ne sont pas obligatoires, ces verbes peuvent être très utiles. Par exemple, en finlandais, dans la phrase Mihin menet? (Where do you go?/Où

vas-tu ?), le verbe mene-t constivas-tue une forme d'adresse, car le suffixe -t (deuxième

personne du singulier) est le seul élément renvoyant à l'allocutaire. Dans certaines langues, le pronom peut disparaître à l'impératif (français venez, anglais come, etc.). Enfin, les formes nominales d'adresse sont des substantifs ou des adjectifs désignant l'allocutaire. L'auteur en distingue neuf qui seront vues plus tard (cf. 3.1.).

Braun parle de formes d'adresse intégrées ou libres (« bound/free »). Dans plusieurs langues, les pronoms d'adresse tendent à être intégrés dans les phrases (Do you come

along to the pictures?), alors que les formes nominales d'adresse apparaissent comme des

formes libres (Mr Maier, may I talk to you for a moment?/May I talk to you, Mr Maier, for a

moment?/May I talk to you for a moment, Mr Maier?), mais le contraire reste possible (You, may I have your bicycle?/Does the lady have another order?). En anglais, le pronom you ne

donne pas beaucoup d'informations relationnelles en tant que forme intégrée (You, can

you tell me...), mais il peut avoir des connotations en tant que forme libre (You! Can't you pay attention?). Lorsque les formes nominales d'adresse fonctionnent comme des formes

intégrées, Svennung (1958) parle d'adresse indirecte (indirect address).

La notion d'inversion de l'adresse (dont il ne sera pas question dans cette thèse), inventée par Renzi en 1968, désigne un terme d'adresse (surtout un kinship term ou

terme affectueux) ne renvoyant pas à l'allocutaire mais au locuteur (par exemple, une mère s'adressant à son enfant en utilisant le terme mama).

L'emploi des termes d'adresse se fait selon des rapports de réciprocité ou de symétrie. Lorsque deux interlocuteurs emploient les mêmes termes d'adresse ou des termes équivalents, on parle d'adresse réciproque ; la relation entre les deux personnes est alors symétrique. Lorsqu'ils utilisent des termes d'adresse différents, on parle d'adresse non-réciproque ; la relation est asymétrique. Cette opposition réciprocité/symétrie n'est pas sans rappeler celle établie par Brown et Gilman, opposant la sémantique de solidarité (emploi réciproque ou symétrique des pronoms de deuxième personne) à la sémantique de pouvoir (emploi non-réciproque ou asymétrique des pronoms de deuxième personne).

2.3.2. La perception de Dunkling

Dunkling17 (1990 : 17-18) évoque les raisons pouvant conduire à l'emploi d'un terme d'adresse. Ces raisons sont très diverses et peuvent être grammaticales, pratiques, sociales, émotionnelles, cérémonielles et impérieuses :

(1) raisons grammaticales : le fait que ni le pronom « you » ni les verbes à l'impératif n'indiquent le nombre de personnes auxquelles on

17. Les premières publications de l'anglais Leslie Dunkling sur l’onomastique remontent aux début des années soixante-dix — vingt-quatre titres entre 1972 et 2004. A Dictionary of Epithets and

Terms of Address, publié en 1990, fait partie de ces études portant sur les noms propres (incluant

prénoms, noms de maisons, de pubs de commerces, etc.). L’élargissement de ce champ d’intérêt aux termes d’adresse semble inévitable. Dans cet ouvrage, Dunkling commence son étude descriptive par un coup d’œil rétrospectif. D'après ses analyses, les termes d'adresse ont commencé à devenir importants dans la langue anglaise dès l'éclatement du système opposant

thou à you aux XVIème et XVIIème siècles. Ils sont d'autant plus importants en anglais que ce système ne comprend qu'un seul pronom de deuxième personne. Les termes répertoriés dans cet ouvrage sont examinés selon les époques et l'auteur compare leur utilisation actuelle à celle des siècles précédents. Ces changements sont très intéressants dans la mesure où ils reflètent des changements d'attitude vis-à-vis de la hiérarchie, des femmes, de l'importance de la famille, etc. En ce sens, cet ouvrage pourra intéresser aussi bien l'étudiant en littérature que le sociologue historien. Pour l'auteur, une approche synchronique et une approche diachronique sont l'une et l'autre pertinentes et nécessaires. L'anglais parlé en Grande-Bretagne est différent de celui parlé aux États-Unis, en Australie, au Canada, en Nouvelle-Zélande, en Afrique du Sud etc., et certaines de ces différences s'étendent au domaine des termes d'adresse. L'auteur indique les différences nationales et régionales pour la plupart des termes mentionnés. Il espère ainsi pouvoir aider certaines personnes à mieux comprendre les autres variétés de l'anglais contemporain.

s'adresse peut parfois être gênant. Lorsque plusieurs personnes sont présentes, le terme d'adresse fonctionne en partie comme une sorte de marque pronominale ou flexion verbale, spécifiant le nombre.

(2) raisons pratiques : s'il est nécessaire d'attirer l'attention d'une personne faisant partie d'un groupe, le terme d'adresse devient nécessaire en tant que moyen de désignation.

(3) raisons sociales : dans beaucoup de situations, il est diplomatiquement important, et même nécessaire, pour un locuteur de montrer à une personne qu'il la connaît en ayant recours à son nom, et même à son titre.

(4) raisons cérémonielles : lors d'un mariage, par exemple, un homme d'église ouvre généralement la cérémonie par le traditionnel « dearly

beloved » (« mes biens chers frères »). Bon nombre de cérémonies

comportent des formules verbales incluant l'emploi indispensable de termes d'adresse.

(5) raisons primordiales : un prisonnier se doit d'utiliser le terme « sir » pour s'adresser à un directeur de prison ; il en est de même pour un soldat souhaitant s'adresser à un officier. Il existe d'autres cas où l'emploi d'un terme d'adresse est régi par des règles, et le non-respect de ces règles peut entraîner des sanctions.

(6) raisons émotionnelles : le locuteur ressent comme un désir ou un besoin irrésistible de faire part de ses sentiments à l'allocutaire. Il semblerait donc, selon Dunkling, que le recours à des termes d'adresse ne soit pas si facultatif que cela, puisqu'il est motivé par une ou plusieurs raisons, en rapport avec le contexte linguistique, paralinguistique et extralinguistique.