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Le terme d'adresse

2. Terminologie

2.1. Un flou terminologique

2.1.5. Le terme d'adresse

Dans Le Petit Robert 2014, le mot « adresse » est décrit comme étant apparu à la fin du XVème siècle ; il est issu du latin directus, « droit ». Il a pour signification : « action d'adresser, de s'adresser à qqn » (dans le sens où il nous intéresse dans le cadre de ce travail ; il s'agit de la deuxième entrée). « S'adresser à qqn » (apparu au XIVème avec le verbe « adresser ») signifie « lui parler, aller le trouver, avoir recours à lui ». Chez Furetière, le terme « adresse » a six entrées en tant que substantif, et trois entrées en tant que verbe. Si le sens qui nous intéresse ici n'est pas mentionné dans le cas du substantif, il l'est dans le cas du verbe mais il apparaît seulement en quatrième position : « adresser la parole à quelqu'un pour dire, l'apostropher dans un discours, ou le choisir pour lui parler ». Dans le Trésor de la Langue Française Informatisé, le sens du terme dont il est question ici apparaît sous la première rubrique « point d'acheminement ou indications sur le point d'acheminement d'un objet ou d'une personne ». D'où (être) à l'adresse de, qui signifie, en parlant au sens figuré, de tout moyen d'expression (propos, gestes, mimiques), être destiné à ». L'emploi pronominal du verbe est décrit de manière générale comme signifiant « aller dans une direction déterminée afin d'atteindre un destinataire (ou une certaine destination) ». Une précision intéressante est ajoutée : « s'adresser à » est souvent employé en incise au participe présent avec des verbes comme parler ou dire, afin de les compléter et d' « indiquer la personne visée ». C'est implicitement rappeler l'origine étymologique du mot et de son dérivé verbal. Selon le dictionnaire d’Ernout et Meillet, l'étymologie d'« adresse(r) » renverrait à l'un des composés de regō, rěgěre, « diriger en droite ligne », vraisemblablement adrĭgěre, « mettre droit, dresser ». En latin classique (cf. Gaffiot), ce verbe n’a pas le sens de « s’adresser à » qui se dit en latin, entre autres, adlŏquor, « parler à » (ad- « vers, à » + lŏquor, « parler »). Comme dans de nombreux cas, « adresse » a été emprunté par le moyen anglais au français du Moyen-Âge. Selon Le Robert, le terme a été réemprunté par le français au sens d' « expression des vœux au souverain » dans un contexte anglais (1656).

Kerbrat-Orecchioni (1992 : 15) définit les termes d'adresse comme :

[…] l'ensemble des expressions dont dispose le locuteur pour désigner son (ou ses) allocutaire(s). Ces expressions ont généralement, en plus de leur valeur déictique (exprimer la « deuxième personne », c'est-à-dire référer au destinataire du message) , une valeur relationnelle : lorsque plusieurs formes sont déictiquement équivalentes – comme « tu » et « vous » employé pour désigner un allocutaire unique –, elles servent en outre à établir un lien particulier de lien social.

Neveu (2011) distingue trois significations du terme « adresse » : les entrées d'un dictionnaire en lexicographie, une valeur numérique ou alphanumérique désignant un support d'information en informatique, et enfin, un synonyme d'allocution en analyse du discours, en particulier dans l'analyse conversationnelle et dans l'étude des interactions. Dans l'analyse du discours, les termes d'adresse désignent :

[…] un ensemble d'expressions, à tête nominale ou pronominale, pouvant être utilisées par le locuteur pour référer à son allocutaire. On distingue ainsi les termes d'adresse des expressions appellatives, ou désignatives, qui présentent la capacité de désigner tout à la fois le délocuté et l'allocutaire, voire le locuteur.

Neveu (2003 : 28) oppose donc les termes d'adresse aux appellatifs et aux désignatifs qui peuvent désigner à la fois le délocuté, l'allocutaire ou le locuteur. Les termes d'adresse, même si cela n'est pas mentionné dans cette définition, ne désignent que l'allocutaire.

Dans le Routledge Companion to Sociolinguistics (2007 : 205-206), un ouvrage recensant les théories et les divers termes relatifs à la sociolinguistique, les termes d'adresse sont définis en fonction de la dichotomie énoncée par Brown et Gilman, soit solidarité/pouvoir. Il s'agit donc :

[des] formes utilisées par les locuteurs afin de se désigner les uns les autres et qui comprend le niveau de solidarité ou de distance sociale entre eux. L'analyse des termes d'adresse a souvent pour objectif d'examiner les relations de pouvoir entre les interlocuteurs ainsi que les pratiques linguistiques dans des communautés données. Beaucoup de langues ont recours au système de pronoms T/V afin de dénoter les niveaux de solidarité ou de distance sociale grâce à l'emploi des pronoms de deuxième personne. Les termes d'adresse sont également étudiés dans le cadre de la politesse linguistique11.

Coulmas (2013 : 275), quant à lui, définit les termes d'adresse en termes de distance/familiarité. Cette classe de mots regroupe :

Des termes définissant des liens de parenté, des noms, des titres et des pronoms de deuxième personne, utilisés pour s'adresser à autrui et sont l'expression de relations sociales. Une dichotomie T/V au sein des pronoms de deuxième personne est commune à plusieurs langues européennes, où la forme du singulier T (du français tu) marque l'intimité et la familiarité, et la forme du pluriel V (du français vous) marque la distance et la politesse12.

Dunkling (1990) conçoit les termes d'adresse et les vocatifs comme étant des synonymes pouvant être divisés en plusieurs sous-catégories13. Les termes d'adresse sont souvent considérés comme étant des noms car ils semblent dans la plupart des cas être des substituts de noms. Mais les termes d'adresse ne sauraient renvoyer qu'à des noms. Dans la mesure où il peut sembler vain de critiquer pour son point de vue théorique un ouvrage sans prétention théorique, seules quelques ambiguïtés seront levées. Il semblerait que, dans son ouvrage, Dunkling se préoccupe davantage des mots et groupes de mots pouvant être employés pour « parler à » que ceux utilisés pour « parler de ». Dans la terminologie de l'auteur, les termes d'adresse renverraient à une forme et les vocatifs à une fonction ; les mots et groupes de mots fonctionnant comme des vocatifs seraient par conséquent des termes d'adresse. En termes guillaumiens, les mots employés pour s'adresser à quelqu'un appartiennent aux « mots qui s'achèvent à l'espace » (noms propres, noms communs, noms attributs, groupes nominaux, etc.) et non pas à « ceux qui s'achèvent au temps » (verbes, adverbes, etc.). Il paraît essentiel de garder en tête que, d'une part, cet ouvrage est

The forms that individuals use to directly to one another which encode the level of solidarity-social distance between them. Address terms are often analysed to examine power relations between interlocutors, as well as to examine linguistic practices in particular cultures. Many languages also use the T-V pronoun system in order to denote levels of solidarity-social distance through second person pronouns. Address terms are often studied as part of linguistic politeness.

12. Traduction personnelle. Texte original :

Kinship terms, names, titles and second-person pronouns, used to address other speakers and to express social relationships. A T/V differentiation in second-person pronouns is common in several European languages, where the singular T form (from French tu) marks closeness and familiarity, and the plural V form (from French vous) marks distance and politeness.

principalement destiné à une personne ordinaire ne possédant que peu, voire pas du tout de notions grammaticales — ce qui n'enlève rien de son intérêt — et, d'autre part, l'anglais, contrairement au français, oppose le nom grammatical (« noun ») au mot utilisé pour nommer (« name »). C'est pourquoi Dunkling se sent obligé de préciser que les termes d'adresse ne sauraient renvoyer qu'à des noms (« names »). Il faut sans doute comprendre par là que ce ne sont pas obligatoirement des noms propres (« proper names »).

D'après Détrie (2006 : 12), l'expression « terme d'adresse » est surtout employée dans l'étude des interactions verbales. Conjointement à « forme d'adresse », elle est, selon la linguiste, une expression assez vague dans la mesure où elle peut comprendre des pronoms et des noms non employés dans le cadre d'une interpellation. Mais le terme « adresse » peut très bien renvoyer seulement à l'adresse directe et donc, à un emploi strictement allocutif. Pour Kerbrat-Orecchioni (1992 : 15), les termes d'adresse sont « les expressions dont dispose le locuteur pour désigner son (ou ses) interlocuteurs ».

Charaudeau et Maingueneau (2002) opèrent une distinction entre les termes d'adresse et les appellatifs. Les premiers sont surtout envisagés comme des déictiques alors que les seconds qualifient des termes utilisés pour désigner un délocuté. Ils observent également que « les principes qui président au choix de l'une ou l'autre de ces deux formes sont difficiles à expliciter, impliquant de nombreux facteurs hétérogènes (âges des interlocuteurs, type de lien social, degré de connaissance, caractéristiques de la situation communicative » (Id., p. 30-31).

Dans cette thèse, « termes d'adresse » a été choisi de préférence à « désignatifs », « appellatifs », « apostrophes » ou « vocatifs », et cela, pour plusieurs raisons. Les termes « désignatifs » et « appellatifs », n'ont pas été retenus car, déjà d'un point de vue étymologique, ils peuvent être utilisés pour référer à quelqu'un et/ou pour s'adresser directement à quelqu'un. Comme il est uniquement question ici de l'emploi de termes en adresse directe, et afin d'éviter toute ambiguïté, ils ont été écartés. Le sens premier de « vocatif » renvoie aux langues casuelles et, comme l'anglais n'en fait pas partie, le mot n'a pas été retenu. Restent « apostrophe » et

« terme d'adresse ». L' « apostrophe » a un double emploi, en grammaire et en rhétorique (cf. Dubois et al. cités dans 2.1.3.). La seconde dénomination présente l'avantage d'indiquer clairement de quoi il s'agit : de termes utilisés pour s'adresser à quelqu'un. De plus, cette expression est univoque, contrairement aux autres termes auxquels elle est associée. Elle est également principalement employée dans des études anglo-saxonnes, ayant pour objet d'étude, la langue anglaise. Toutes ces raisons ont conduit à l'adoption de l'expression « terme d'adresse »