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Analyse conversationnelle

3.1. Les fondements de la discipline : l'ethnométhodologie L'analyse conversationnelle (AC) ou « conversation analysis » (CA) a plusieurs points communs avec l'ethnométhodologie. Avant l'émergence de l'ethnométhodologie, la sociologie était dominée par la théorie de l'action de Parsons qui consistait à analyser l'action comme un ensemble de processus qui ne peuvent être contrôlés par les individus bien qu'ils soient conditionnés par eux. L'intérêt est porté sur les faits sociaux mais du point de vue de l'acteur. La relation entre l'acteur et la situation est instable, variable et normative. Au contraire, l'ethnométhodologie envisage cette relation comme constituée de processus d'interprétation. Coulon (1995 : 2) propose une définition de cette discipline :

Ce projet scientifique qu'est l'ethnométhodologie concerne l'analyse des méthodes, ou des procédures, que les individus utilisent pour conduire les différentes affaires qu'ils accomplissent dans leur vie quotidienne. L’ethnométhodologie consiste en l'analyse des méthodes ordinaires auxquelles les gens ordinaires ont recours dans leurs actions ordinaires21.

Garfinkel, l'élève de Parsons, choisit de ne pas dissocier les faits des acteurs. Selon lui, les faits sociaux sont le résultat des activités des individus ; ils reflètent leur compréhension du monde. Pour Garfinkel, seuls les acteurs en interaction sont capables de décrire les faits, en tenant compte de leur connaissance de la société. Il souhaite examiner les différentes façons de parler et d'agir qu'ont les individus en

21. Traduction personnelle. Texte original :

“This scientific project of ethnomethodology is to analyze the methods, or the procedures, that people use for conducting the different affairs that they accomplish in their daily lives. Ethnomethodology is the analysis of the ordinary methods that ordinary people use to realize their ordinary actions.”

société afin d'en dégager des méthodes. Tout individu a la capacité d'analyser une situation de manière à agir en conséquence. Les activités quotidiennes sont loin d'être aussi banales qu'elles n'y paraissent et sont, en fait, bien organisées.

3.2. Théorie et objectifs

3.2.1. Naissance de la théorie

L'analyse conversationnelle, reconnue comme domaine de recherche dans les années 1960-70, « étudie les règles sous-jacentes au fonctionnement des conversations et des échanges communicatifs, ces règles socioculturelles variant d'une société à l'autre22 ». Sacks va proposer de s'intéresser à une pratique sociale jusqu'alors très peu examinée par les chercheurs, alors qu'il s'agit d'une activité ordinaire et familière : la conversation. L'analyse conversationnelle montre comment la conversation représente et crée une organisation sociale autour de ses participants.

Une conversation se divise en ce que l'on peut appeler plusieurs phases. Les participants interviennent à tour de rôle afin que chacun puisse bénéficier d'un temps de parole et d'un temps d'écoute. Chaque locuteur peut garder la parole aussi longtemps qu'il le souhaite, mais il se doit de se taire et de la laisser à ses auditeurs. Ces derniers sont tenus d'écouter le locuteur, ont le droit de prendre la parole lorsqu'elle leur est laissée, et peuvent la réclamer après un certain temps d'écoute.

Cette approche peut être considérée comme originale puisqu'elle opère une distinction de paires adjacentes23 dans les actions communicationnelles, comme, par exemple, le couple question/réponse. Lorsqu'un locuteur A pose une question, le locuteur B doit fournir une réponse. Soit l'exemple suivant24 :

“Have you heard nothing about your uncle Bulstrode, Rosamond?” “No, papa.”

Dans ce court extrait, Mr. Vincy, le père de Rosamond, lui demande si elle n'a

22. Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, 1994, p. 35.

23. Une paire adjacente se compose de deux tours de parole se succédant immédiatement l'un l'autre, attribués à deux locuteurs différents, et permettant la distinction de deux éléments bien précis.

pas eu des nouvelles de son oncle Bulstrode. Cette question projette une attente précise, à savoir une réponse de l'interlocuteur. Rosamond identifie les propos de Mr. Vincy comme étant une question et formule donc une réponse : elle n'a pas eu de nouvelles de son oncle. La relation unissant les deux éléments de cette paire est une

dépendance conditionnelle. Deux énoncés sont liés dans la mesure où la formulation du

premier appelle celle du second. Dans le cas où le second énoncé n'est pas produit, le premier locuteur est en droit de formuler des suppositions quant à son absence. Cette absence de réponse peut, par exemple, être considérée comme une menace pour la face du locuteur A. Cette séquence peut évidemment être suivie d'autres séquences, dépendant des interprétations précédentes.

Pour Sacks, Schegloff et Jefferson25 (1974), un système de tours s'établit dans tout échange communicatif, qui permet au locuteur de vérifier que son message a bien été reçu et interprété, et à l'allocutaire de montrer qu'il a bien décodé et compris le message en question. Les tours de paroles sont donc essentiel dans l'interaction, car au-delà de leur rôle de régulation, ils rendent l'échange communicatif intelligible et efficace. Chaque participant à l'interaction a donc des droits et des devoirs. Ce système se compose de trois règles fondamentales : (1) chaque participant doit occuper la fonction de locuteur, (2) les interactants doivent s'exprimer les uns après les autres et ne pas parler simultanément, (3) il doit toujours y avoir une personne qui parle. Mais ces règles sont souvent transgressées par des refus de prise de parole ou des interruptions entre autres. Les tours de parole reflètent donc, pour les trois linguistes, la construction de l'interaction. En effet, ce système permet de se rendre compte des comportements des interactants entre eux, de leurs motivations et de la façon dont ils réagissent face au comportement d'autrui.

3.2.2. Les lacunes de cette approche

Une critique qu'il est possible de formuler à l'encontre de cette théorie est l'absence des expressions non-verbales. En effet, un échange communicatif peut également être constitué de signaux non-verbaux pouvant exprimer les sentiments

25. À noter que Sacks et Schelgoff ont été des étudiants de Gumperz, et que Jefferson a été un étudiant de Sacks.

d'un interlocuteur. C'est le cas des mimiques, des gestes, etc. Les éléments kinésiques26 et proxémiques27 ont donc été totalement omis dans cette approche. Pourtant, il ne faut pas oublier que, dans toute interaction, ces données peuvent jouer un rôle très important, voire même plus important que celui des paroles. La communication verbale a été étudiée à de nombreuses reprises, contrairement à la communication non-verbale. Pourtant, les gestes, les mimiques, etc., peuvent être d'une aussi grande importance que les mots dans l'interaction. Pour Kerbrat-Orecchioni (1996 : 50), la politesse comprend : « tous les aspects du discours qui sont régis par des règles, et dont la fonction est de préserver le caractère harmonieux de la relation interpersonnelle ». Les données kinésiques et proxémiques sont donc à prendre en considération dans tout échange communicatif. Bien évidemment, de simples gestes ou mimiques peuvent suffire à communiquer. Par exemple, un sourire peut indiquer que l'on salue quelqu'un, ou que l'on est heureux, etc. Un froncement de sourcils peut traduire une certaine incompréhension, un sentiment de colère, etc. Un pouce levé peut manifester mon approbation ou ma joie, ou être une insulte au Moyen-Orient, ou être utilisé pour faire du stop, etc. Mais, dans le cas où les éléments kinésiques accompagnent la parole, ils peuvent être de plusieurs natures : déictiques (pour montrer du doigt le référent), illustratifs (le locuteur joint le geste à la parole), intonatifs (pour appuyer certains propos), quasi-linguistiques (ils remplacent presque la parole, comme le hochement de tête qui signifie « oui »), ou il peut s'agir de mimiques faciales.