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Critères lexicaux

4. Les termes d'adresse : critères et emplois

4.1. Quels critères pour les termes d'adresse ?

4.1.1. Critères lexicaux

(i) Les catégories lexicales

Plusieurs études ont cherché à établir une liste fermée des termes d'adresse. C'est le cas notamment de Braun (1988) et Dunkling (1990), cités précédemment, mais aussi de Quirk et al.31 (1985), mais ces listes ne sauraient suffire à mentionner tous les termes pouvant être employés en adresse. En effet, comme le dit Lagorgette (2003 : 59), tout nom commun ou nom propre peut être employé en adresse32, notamment grâce à certaines figures de style comme la métaphore ou la personnification. La linguiste ne donne aucun exemple, mais on peut facilement en donner. Concernant les emplois métaphoriques, on peut s'adresser à une personne et l'appeler « la girafe », « sorcière », etc., et la comparer ainsi à une girafe (en raison de sa taille), à une sorcière (parce qu'elle est envoûtante), etc. Dans Jane Eyre, Mr. Rochester s'adresse souvent à Jane en l'appelant « witch » ou « sorceress ». C'est notamment le cas lorsque Jane sauve son employeur d'un incendie dans sa chambre (chapitre 15, p. 169). Mr. Rochester dormait et sa femme, une déséquilibrée, a tenté de le tuer en mettant le feu à son lit. Jane, sortie de nulle part, l'a sauvé, et Mr.

31. Quirk et al. distinguent huit types de termes d'adresse :

1. les noms : les prénoms (David), les noms de famille (Caldwell), les noms en entier, avec ou sans titre (Sarah Peterson, Mrs. Johnson, Dr. Turner), les diminutifs ou termes affectueux (Ginger) ; 2. les appellatifs standards : termes de lien de parenté (mother, father, son), les titres (ma'am, sir,

my Lord), les marqueurs de statut (Mr. President, Father (homme d'église), major) ;

3. les termes de profession (waiter, driver) ; 4. les épithètes (darling, dear, coward, idiot) ; 5. les noms généraux (brother, girl, man) ; 6. le pronom personnel « you » ;

7. la proposition nominale (whoever said that, whoever you are) ;

8. tous les termes mentionnés ci-dessus complétés d'autres termes (my dear Mrs. Johnson, old man,

you with the red hair).

Rochester voit dans son intervention, une manifestation surnaturelle. La veille de leur mariage (chapitre 25, p. 314), Jane et Mr. Rochester ont une discussion et la jeune femme raconte à son fiancé comment elle a passé sa journée à imaginer des dialogues entre eux. Mr. Rochester est surpris de constater à quel point sa promise le connaît. Pour Mr. Rochester, seul un être surnaturel, une sorcière, peut posséder toutes ces connaissances. Afin d'illustrer les termes d'adresse employés comme personnification, mentionnons « mon bébé » (utilisé pour parler à un animal par exemple) ou « ma belle » (pour s'adresser à une voiture).

Bien évidemment, certains termes sont plus souvent employés que d'autres. Par exemple, on s'adressera plus facilement à ses parents en utilisant les termes « maman » ou « papa » (termes de lien de parenté, familiaux). De la même façon, on appellera ses amis par leur prénom ou par un diminutif (noms propres).

Rares sont les mots utilisés exclusivement comme termes d'adresse. Même « sir » peut être employé de façon référentielle dans une phrase comme « Sir said I

could do that » (« Monsieur a dit que je pouvais le faire »), qui pourrait être prononcée

par un écolier anglais. Les prénoms et les mots du type « darling », « dear », « mate », etc., sont très souvent utilisés comme vocatifs. Ce n'est pas le cas de « wall » par exemple. Il peut néanmoins fonctionner comme un vocatif dans un match de football.

(ii) Le pronom « you »

Lagorgette oublie de mentionner les pronoms dans les termes pouvant être utilisés pour s'adresser à quelqu'un. En effet, lorsqu'on s'adresse à quelqu'un, on s'adresse à une deuxième personne, et l'on peut dire que tout terme d'adresse est étroitement lié au pronom de deuxième personne « you » (ou « tu » et « vous » en français), qui possède lui-même des qualités de terme d'adresse. Comme le dit Kerbrat-Orecchioni (1992 : 59), « les diverses formes de l'adresse ne doivent pas être envisagées isolément, mais en système, car c'est en combinaison qu'elles peuvent se voir attribuer une valeur pragmatique relativement précise ». Les pronoms doivent être pris en considération dans toute étude des termes d'adresse.

Les deux formes de « you » (pronom personnel et pronom en adresse) diffèrent dans leur manière d'exprimer l'attitude du locuteur. La première est neutre, la seconde est souvent un indicateur d'inimitié ou de supériorité, comme dans : « you,

resume your seat, and answer my questions » (Jane Eyre, chapitre 13, p. 142 ; ici, Mr.

Rochester donne un ordre à Jane, son employée). Mais il peut aussi marquer l'exclamation, comme dans : « You! ». Si le pronom « you » se conforme aussi à certaines règles syntaxiques, ce n'est pas le cas du terme d'adresse « you » qui peut se situer n'importe où dans la phrase et ne pas être suivi d'un verbe. Le terme d'adresse « you » permet la substitution. Dans l'exemple mentionné précédemment : « you, resume

your seat, and answer my questions », le terme « you » pourrait très bien être remplacé par

« Jane », puisque Mr. Rochester s'adresse à la jeune femme. Mais, dans d'autres contextes, on aurait très bien pu le substituer par « darling », « you stupid fool », et bien d'autres termes d'adresse, que l'on pourrait qualifier de variantes de « you » en adresse directe. Le terme d'adresse « you » est assez inhabituel dans le sens où il ne spécifie pas le nombre. Mais, à l'instar des autres termes d'adresse, il apporte clairement des informations concernant les sentiments du locuteur.

Quel que soit le terme d'adresse, il est toujours utilisé pour désigner l'autre, l'allocutaire. Le terme « you » est invariablement implicite dans chaque terme ou expression employée en adresse directe. En d'autres termes, tout terme d'adresse peut être considéré comme étant une explicitation de « you ». Par exemple, dans

Daniel Deronda, de George Eliot, lorsque Gwendolen s'adresse à sa demi-sœur Isabel

qui vient de faire une bêtise et lui dit « you perverse little creature » (chapitre 3, p. 20), le « you » suivi d'un groupe nominal (l'emploi le plus commun de « you » dans des expressions en adresse directe, selon Dunkling33) est ici emphatique et indique le reproche. La locutrice aurait très bien pu supprimer « you » et seulement dire « perverse

little creature », ou remplacer l'expression tout entière par le prénom de l'allocutaire,

« Isabel ». Plus tard, Gwendolen s'adresse à sa mère, lui pose une question sur son nez et lui dit simplement « mamma » : « how about my nose, mamma ? » (Ibid.). Elle répète ce

terme pour lui dire d'arrêter de faire des remarques inintéressantes teintées de tristesse : « now, mamma, don't begin to be dull here » (Ibid.).