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Dans toute étude ayant pour objet les termes d'adresse, il semble essentiel de bien définir ce dont il est question. Mais un certain flou terminologique entoure cette notion. Chacun y va de sa propre terminologie, parlant ainsi d'appellatifs, de désignatifs, d'apostrophes, de vocatifs ou de termes d'adresse. S'il a été choisi de parler

63. Eichler semble ne parler que des situations concernant les femmes du foyer – peut-être parce qu'à l'époque, les femmes étaient les membres de la famille les plus présents à la maison et ceux qui s'occupaient le plus des relations et des visites avec les autres familles – mais il peut très bien s'agir d'hommes, et, bien évidemment, l'emploi de « sir » sera de rigueur.

64. Là encore, les termes employés par Eichler sont de genre féminin, ce qui confirme la remarque précédente.

de termes d'adresse dans cette étude, c'est parce que cette dénomination nous paraît être la plus appropriée pour désigner les termes dont il est question ici. Par l'emploi de cette terminologie, on sait tout de suite de quoi il s'agit et, surtout, on insiste sur l'échange verbal entre plusieurs interlocuteurs. On communique, on converse avec d'autres individus ; on s'adresse à eux en recourant à des termes d'adresse.

Si aucune étude portant sur les termes d'adresse ne semble être envisageable sans la mention des travaux de Braun, c'est parce qu'elle fait partie des pionniers en matière d'investigation sur la richesse de ces termes. Et, si d'autres personnes ont effectué leurs propres recherches dans ce domaine, elle reste incontournable dans tout projet visant à l'explicitation de ces termes. Sa classification, si elle a le mérite de procéder d'un important travail d'investigation, n'en demeure pas pour autant irréprochable.

On pourrait remettre en question la méthode utilisée, basée sur le recours à des questionnaires, qui efface toute spontanéité dans les réponses données. Peut-on réellement se reposer sur les données d'un informateur pour émettre des hypothèses ? La personne interrogée peut très bien, même involontairement, donner une ou plusieurs réponses qui ne correspondent pas à la réalité. Par exemple, elle peut certifier avoir recours à tel terme dans telle situation, alors qu'il n'en est rien. Tout questionnaire se compose d'une succession de questions, pas toujours pertinentes. Cette absence de pertinence peut conduire à l'omission de certaines données par les informateurs. L'emploi des termes d'adresse diffère selon les langues et il peut être, dans certains cas, difficile pour l'informateur de répondre à une question orientée vers une langue qui n'est pas la sienne. Dans une enquête de ce type, il convient de poser des questions sur les aspects grammaticaux de la langue de l'informateur mais, pour y répondre, ce dernier doit être capable de s'interroger sur des dimensions langagières qu'il ignore peut-être. Un autre problème que soulève cette méthode est l'âge des informateurs. Les personnes interrogées étaient toutes des étudiants, âgés de moins de trente ans. Certes, les résultats obtenus peuvent permettre d'en apprendre davantage sur les diverses façons qu'ont des personnes d'une certaine catégorie d'âge de s'adresser à autrui à l'époque en question, mais qu'en

est-il des individus plus âgés ? Concernant la classification proposée par Braun, elle ne saurait être considérée comme applicable à toutes les langues et à toutes les époques. Si les anthroponymes sont très souvent employés en adresse dans de nombreuses langues et à de nombreuses époques, les termes définissant les liens de parenté de l'interlocuteur sont beaucoup moins fréquents, voire inexistants dans certaines langues et à certaines époques. Par exemple, s'adresse-t-on couramment à une personne en la désignant par ses liens de parenté ? Pourrait-on dire à un homme dont le père s'appelle Patrick : « Bonjour, fils de Patrick » ? Bien évidemment que l'on pourrait le faire, mais cela paraîtrait curieux.

La classification de Dunkling, si elle n'est pas non plus indiscutable, n'est pas dépourvue d'intérêt car elle met en évidence certaines formes d'adresse qui semblent omises par Braun. C'est le cas des noms de transfert et de substitution. Concernant les noms de substitution, ils ne sont pas employés par tout le monde. Par exemple, en français, il semble peu courant d'appeler plusieurs personnes qu'on ne connaît par le même prénom, pour s'adresser à elles. Quand on ne connaît pas le prénom de l'interlocuteur, on recourt à un titre de politesse du type « madame » ou « monsieur », ou on évite d'utiliser un terme d'adresse. Dans certains cas, on pourra employer des termes propres au rang social du locuteur ou de la situation, comme « mon frère », « ma belle », etc. Les noms de transfert, eux, sont plus fréquents dans le langage courant : on peut, par exemple, s'adresser à un homme et l'appeler « Tarzan » pour souligner sa force ou, au contraire, sa faiblesse. C'est pourquoi ils nous semblent pertinents comme catégorie faisant partie d'une classification des termes d'adresse.

On peut identifier un terme d'adresse au sein d'un énoncé en prêtant attention à plusieurs critères d'ordre lexical, énonciatif, prosodique et fonctionnel. La pertinence des critères peut varier selon qu'il s'agit de la langue écrite ou de la langue orale. Par exemple, à l'écrit, les termes d'adresse sont généralement65 précédés, suivis, ou encadrés par des virgules ou des signes de ponctuation indiquant une pause

65. Il semble plus prudent d'énoncer une généralité ici plutôt qu'une certitude. Certes, ce qui a été dit est valable pour tous les termes d'adresse relevés dans les romans étudiés. Mais, notre corpus est trop restreint pour certifier la pertinence de ce critère.

(point-virgule, tiret, points de suspension) ou une fin de phrase (point, point d'exclamation, point d'interrogation). Dans tous les cas, il ne faut pas oublier que les termes d'adresse sont des expressions nominales ou pronominales, à valeur déictique, utilisées par un locuteur pour s'adresser à son allocutaire. Le choix de la forme utilisée dépend de plusieurs facteurs relatifs au locuteur66, à la relation qui lit les interlocuteurs entre eux67 au moment de l'énonciation, à ce que le locuteur souhaite communiquer dans son discours68. Le terme d'adresse choisi associé à d'autres termes ou à des éléments d'ordre prosodique, proxémique et kinésique, rendent l'énoncé plus ou moins expressif et permettent ainsi de servir les desseins du locuteur. Ceci est d'autant plus important à l'époque victorienne où les contraintes sociales imposent aux individus une certaine façon de parler et de se comporter, empêchant toute extravagance et conduisant le locuteur à prêter une attention toute particulière à sa manière de dire les choses.

66. Il est question ici de l'âge, du sexe, du milieu social, de la nationalité, etc.

67. On emploiera plus facilement un terme affectueux pour s'adresser à un membre de sa famille, une insulte pour s'adresser à une personne qui nous a fortement agacé, etc.

68. On aura recours à des termes affectueux pour inciter quelqu'un à faire quelque chose qu'elle n'a pas forcément envie de faire, par exemple.

CHAPITRE 3

RECHERCHES SUR LES ROMANS

VICTORIENS : CONSTITUTION DU CORPUS

ET MÉTHODOLOGIE

Chacun sa méthode... Moi, je travaille en dormant et la solution de tous les problèmes, je la trouve en rêvant »

Jacques Prévert

« La méthode est tout ce qu'il y a de plus haut dans la critique,puisqu'elle donne le moyen de créer »

Gustave Flaubert

1. Introduction

Chacun sa méthode : on peut choisir d'étudier les termes d'adresse en synchronie ou en diachronie, en ayant recours à des questionnaires, à des enregistrements audio ou vidéo, à des corpus littéraires. Quel que soit les moyens utilisés, ils participent à la création d'une analyse ou d'une théorie supposée mettre en évidence ou éclairer certains points jusqu'alors ambigus.

On pourrait se demander pourquoi il a été choisi d'étudier les termes d'adresse dans des romans victoriens. Pourquoi donc ne pas les avoir examinés dans des conversations orales plutôt qu'écrites, et pourquoi avoir préféré le XIXème siècle à une autre époque ? Voici deux questions auxquelles il est important de répondre afin de faire comprendre au lecteur le cheminement ayant conduit à un tel travail.

Tout d'abord, il convient d'informer le lecteur que le choix s'est porté sur des conversations écrites, tout simplement car elles semblaient offrir les meilleures opportunités d'étudier avec précision les variations langagières relatives à l'emploi des termes d'adresse à l'époque choisie, à savoir l'époque victorienne. De plus, cette

période, marquée par l'ancrage important de conventions sociales et sa stratification sociale avec une nette séparation des individus en fonction de leurs origines sociales, paraissait être idéale pour une analyse des rapports existant (ou pas) entre la classe sociale et le langage employé. Les œuvres utilisées sont riches en informations concernant les comportements sociaux de l'époque et ils évoquent avec finesse et un certain réalisme le quotidien des personnes ayant vécu en Angleterre au XIXème siècle.

Concernant le choix de l'Angleterre victorienne, il faut rappeler qu'à cette époque, le concept de classe ne dépend pas des moyens financiers d'une personne. Il se manifeste dans la façon de se comporter, le langage, les vêtements, l'éducation et les valeurs propres à chaque individu (Mitchell, 1996 : 17). Les différentes classes de la société évoluent dans des sphères différentes et ont recours à des pratiques variées dans les divers aspects de la vie quotidienne, comme l'heure des repas, la façon de faire la cour, etc. (Ibid.). Chaque classe a ses propres normes, lesquelles doivent être suivies par les membres de chaque classe. La société d'alors se divise en trois classes : les aristocrates (héritiers de titres et de terres), la classe moyenne (qui s'est développée durant cette période et qui regroupe une grande variété de personnes, comme les industriels, les pasteurs, les officiers de marine ou de l'armée de terre, les banquiers, etc.), et les ouvriers (qui gagnent leur vie grâce au travail physique). Le statut social fait partie de l'identité d'une personne et joue un rôle dans les relations et interactions courantes. Les habitudes langagières font partie des nombreuses manières de distinguer les individus dans une société donnée. Parmi ces pratiques se trouvent les termes d'adresse. Les personnes de rang supérieur, appartenant à la haute société, s'expriment généralement différemment de celles de rang inférieur, comme les travailleurs ou les domestiques1. Bien évidemment, les multiples manières de s'adresser à autrui diffèrent de celles d'aujourd'hui.

1. Il faut tout de même préciser que les domestiques sont censés être un peu plus éduqués que les prolétaires, puisqu'ils côtoient quotidiennement leurs employeurs qui souhaitent avoir sous leurs ordres des personnes connaissant les bonnes manières, et sachant bien se comporter en société, comme, par exemple, lors de réceptions.