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De l'importance des conventions sociales

8. La politesse à l'époque victorienne

8.2. De l'importance des conventions sociales

8.2.1. Qu'est-ce que la politesse ?

À l'époque victorienne, les bonnes manières permettent de connaître le statut social et financier des individus. Bien évidemment, lorsqu'une personne est issue d'un milieu aisé, on s'attend tout naturellement à ce qu'elle connaisse parfaitement les diverses règles régissant la vie quotidienne. Car, en effet, la vie quotidienne, à l'époque, est commandée par une étiquette stricte. Chaque acte du quotidien, même le plus anodin, doit se faire selon un code bien défini, et toute transgression de ce code conduit à un rejet – tout du moins chez les privilégiés. Il ne sera pas fait mention ici des règles régissant les comportements en société, comme la façon de se vêtir, de danser, de se déplacer, etc. Seuls les informations concernant les diverses manières de s'adresser à autrui seront spécifiées.

Mais, avant toute chose, il convient de définir la politesse. Qu'est-ce donc que la politesse ? Issu de l'italien politezza, et de polito, signifiant « poli », elle est définie, dans Le Petit Robert (2013 : 1954), comme l' « ensemble des usages, des règles qui régissent le comportement, le langage, considérés comme les meilleurs dans une société ». Mais, puisqu'il est question ici du XIXème siècle, pourquoi ne pas chercher une définition dans des manuels de bonnes manières très populaires à l'époque (qui seront mentionnés plus en détails ultérieurement ; voir I, 6.2.2.2.) ? Pour Hartley59

(2011 : 3) :

la politesse […] devient l'expression, de façon élégante, des vertus sociales. Le propre de la politesse consiste en une certaine attention portée aux formes et aux cérémonies, qui sont supposées plaire aux autres et à nous-mêmes, et rendre les autres contents de nous. Plus clairement, la politesse est la bonté du cœur au quotidien ; il ne peut y avoir de véritable politesse sans amabilité, pureté, franchise, et sensibilité60.

Une autre définition, extraite d'un ouvrage publié anonymement, décrit la politesse comme essentielle à au bonheur et à l'existence :

Pour tous […] – les riches et les pauvres, les travailleurs et les désœuvrés, les plus âgés et les plus jeunes ; ceux qui doivent faire leur fortune, et ceux dont la fortune n'est plus à faire, la politesse est également essentielle pour atteindre la connaissance du plaisir véritable. Elle est source de joie et de tranquillité dans chaque cercle où s'emploie, et elle donne à ceux qui y ont recours un talisman avec lequel ils peuvent apaiser les angoisses, et multiplier les joies, de l'existence.61

59. L'ouvrage a, pour la première fois, été publié en 1860, 2011 étant la date d'une publication ultérieure.

60. Traduction personnelle. Texte original :

Politeness […] becomes the expression, in graceful manner, of social virtues. The spirit of politeness consists in a certain attention to forms and ceremonies, which are meant both to please others and ourselves, and to make others pleased with us; a still clearer definition may be given by saying that politeness is goodness of heart put into daily practice; there can be no true politeness without kindness, purity, singleness of heart, and sensibility.

61. A Manual of Politeness comprising the principles of etiquette, and rules of behaviour in genteel society, for persons

of both sexes. 1837. p. 8-9.

Traduction personelle. Texte original:

To all […] – the rich and the poor, the industrious and the idle, the old and the young ; those who have their fortunes to make, and those whose fortunes are made, politeness is equally necessary for true enjoyment. It is the dispenser of cheerfulness and tranquillity in every circle where it resides, and gives to every votary a talisman wherewith to lighten the cares, and increase the joys, of life.

Ces deux définitions, assez longues, et extraites de manuels de bonnes manières, insistent sur le bien-être quotidien procuré par un comportement et un langage courtois. La toute première, extraite du Petit Robert, est assez concise et générale, et ne mentionne aucunement le plaisir éventuellement apporté par le recours à la politesse ; l'adoption d'un comportement et d'une langage courtois est simplement qualifiée de meilleure dans la société. Changement d'époque et changement de mœurs : la politesse n'est, aujourd'hui, plus considérée comme une source de plaisir. Elle est davantage perçue comme une source de plaisir altruiste, et non plus comme une source de plaisir personnel. Lorsqu'on adopte un comportement courtois, on protège l'autre, on évite de lui faire perdre la face. Si, à l'époque étudiée, la politesse permettait de s'ouvrir au monde, de multiplier les relations avec autrui et manifester une certaine éducation, ce n'est plus du tout le cas à l'heure actuelle. Mais il ne s'agit là que d'un avis personnel, et il serait sans doute inutile voire inapproprié d'argumenter davantage sur ce point.

8.2.2. Les manuels de bonnes manières

Beaucoup d'ouvrages ayant pour thème les règles de bienséance sont très populaires au XIXème et au début du XXème siècles. Ils permettent non seulement aux individus déjà familiers avec l'étiquette de l'époque de vérifier leurs connaissances et peut-être d'en apprendre un peu plus sur la question, mais aussi à des personnes totalement étrangères à ces règles, d'en prendre connaissance. En ce qui concerne cette seconde catégorie de personnes, qui comprend essentiellement des domestiques ou des individus n'ayant pas pu bénéficier d'une certaine forme d'éducation, il est sous-entendu qu'elles aient pu avoir accès à ces ouvrages, peut-être dans le cas de leur formation - dans le cas des domestiques. Plusieurs de ces ouvrages sont disponibles gratuitement sur Internet, car libres de droits, mais ils ne le sont pas tous dans leur totalité. Nous pouvons, par exemple, citer : A Manual of politeness comprising

the Principles of etiquette, and rules of behaviour in genteel society, for persons of both sexes

(anonyme, 1837), The Act of conversing written for the instruction of youth in the polite manners

and language of the drawing-room (A Society of Gentlemen, 1846), The Habits of Good Society : A Handbook for ladies and gentlemen (anonyme, 1866), Etiquette of Good Society

(Lady Campbell, 1893), Rules of Etiquette and Home Culture or What To Do and How To

Do It (Houghton, 1893).

Bien d'autres ouvrages sont certainement eux aussi disponibles, mais il est impossible de les recenser dans leur totalité, par manque de temps essentiellement. L'un de ces ouvrages a particulièrement retenu notre attention. Il s'agit de : Book of

Etiquette, Volume II, de Lillian Eichler. Bien qu'il soit, pour la première fois, paru en

1921, soit vingt ans après la fin du règne de Victoria, et qu'il soit centré sur la société américaine – même si certaines informations sont données en relation avec la société britannique – il est le seul, parmi toutes les ouvrages consultés, qui fasse référence aux différentes façons de s'adresser à autrui en société. Les informations données dans ce livre, et les façons de s'exprimer des personnages dans les œuvres utilisées comme corpus dans le cadre de cette thèse, coïncident, c'est pourquoi la référence à cet ouvrage ne semble pas déplacée. Dès la première page, Eichler parle de l'importance des domestiques dans un foyer. Leurs employeurs doivent faire preuve d'amabilité et se montrer reconnaissants et courtois envers eux car, sans leur aide, beaucoup de divertissements seraient impossibles à organiser. C'est pour cette raison qu'il est essentiel pour les maîtres de maison de savoir comment s'adresser aux personnes qui leur rendent tant de services. Cette remarque est également mentionnée dans un autre manuel de bonnes manières, mais très brièvement62.

Eichler, après avoir noté l'importance des serviteurs dans chaque foyer, parle de la façon de s'adresser à eux (2009 : 5-6). On s'adresse généralement à un domestique en l'appelant par son prénom. Il est inapproprié de s'adresser à lui en ayant recours à un diminutif, du type Lizzy pour Elizabeth, ou Maggie pour Margaret. Un agréable « Bonjour, Margaret » permet de bien débuter la journée, pour la maîtresse de maison, et pour sa servante. En Angleterre, l'emploi du diminutif est préféré. Bien évidemment, si le domestique s'appelle John Soennichsen, il semble préférable d'avoir recours à John. D'ordinaire, on s'adresse au maître d'hôtel ou au chauffeur en utilisant un diminutif, à moins qu'il ne serve la famille depuis

62. Anonyme. (1837) A Manual of Politeness comprising the principles of etiquette, and rules of behaviour in genteel society, for persons of both sexes. p. 139.

longtemps. Il est indispensable de remercier ses domestiques pour leurs services. Seuls les personnes très discourtoises s'adressent à leurs serviteurs sur un ton autoritaire et irrespectueux. Et il est particulièrement inconvenant et désagréable de faire preuve de fermeté avec des domestiques en présence d'invités, ou de les réprimander devant d'autres serviteurs.

Lorsqu'un domestique répond à son employeur (Idem, p. 7-8), il est d'usage de dire « Yes, madam » ou « Yes, sir » (« Oui, madame » ou « Oui, monsieur »). Les domestiques, au service des mêmes personnes depuis de nombreuses années, peuvent omettre les « madam » ou « sir », et avoir recours au nom de la personne, comme par exemple : « Yes, Mrs. Brown ». L'emploi de termes du type « No'm » ou « Yessir » témoignent d'un manque de formation du domestique, et sa mauvaise opinion de l'employeur. La brièveté et la courtoisie sont les deux plus importantes qualités dans le discours du domestique qui répond à la porte, fait entrer les visiteurs et prend les messages. Dans ce dernier cas, lorsqu'un serviteur prend un message d'un membre de la famille pour laquelle il travaille, la formule de politesse « Thank

you, madam » est essentielle63. Si le domestique a un doute quant à la présence de la maîtresse de maison, il fait entrer la visiteuse64, lui demande de s'asseoir, et dit « I will

inquire » (« Je vais me renseigner »). Il revient pour dire soit que Madame est absente,

soit qu'elle va bientôt descendre.