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Critères prosodiques

4. Les termes d'adresse : critères et emplois

4.1. Quels critères pour les termes d'adresse ?

4.1.4. Critères prosodiques

Le critère prosodique le plus mentionné dans les études portant sur les termes d'adresse est sans conteste la ou les virgule(s) accompagnant ces termes. Soit le terme d'adresse se situe au tout début ou à la toute fin de la phrase, et il est alors suivi ou précédé d'une virgule ; soit il se situe en milieu de phrase, et il est alors encadré par des virgules. Soit la phrase : What I am, you have made me, Agnes41. Dans cet exemple, le terme d'adresse « Agnes » est placé en fin de phrase et est séparé du reste de la proposition par une virgule. La virgule est définie, dans Le Petit Robert 2014, comme un signe de ponctuation « marquant une pause de peu de durée, qui s'emploie à l'intérieur de la phrase pour isoler des propositions ou des éléments de

40. Traduction personnelle :

« L'idée est que nous partions faire la fête. — Formidable.

— Très bien, formidable, c'est un rendez-vous ». 41. Charles Dickens, David Copperfield, chapitre 60, p. 688.

proposition42 ». Le terme d'adresse est donc isolé du reste de la phrase par la virgule. Grévisse et Goosse (1995 : 111) parlent d'éléments libres, soit des mots ou syntagmes n’ayant aucun lien grammatical avec les autres mots de la phrase dans laquelle ils apparaissent, séparés du reste de la proposition par une ou des virgule(s). Ils classent les termes mis en apostrophe, qu'ils définissent comme des sous-phrases interpellatives insérées dans d'autres phrases, dans cette catégorie. L'élément incident (une sorte de parenthèse interrompant la phrase, utilisée par le locuteur pour faire part d'une remarque personnelle, comme dans : Aucun de nous, heureusement, n'a été

blessé) et l'incise (une sous-phrase indiquant qu'on rapporte les paroles ou les pensées

de quelqu'un, comme dans : Allons, s'écria-t-elle, il faut partir) constituent les autres cas d’éléments libres.

Pour Zwicky (1974 : 787), « […] un vocatif en anglais est séparé du reste de la phrase, est prononcé avec une intonation particulière […]43 ». Soit l'exemple : « Good

morning, Paul » (« Bonjour, Paul »). Ici, le terme d'adresse « Paul » est situé en toute fin

de proposition et est séparé du reste de la phrase par une virgule. L'intonation a ici un rôle important à jouer car elle permet de transcrire l'attitude du locuteur à l'égard de l'allocutaire. Le terme peut être prononcé de façon aguicheuse, affectueuse, aimable, courtoise, impassible, sèche, narquoise, insultante, etc. L'intonation, mais aussi d'autres aspects de la situation, comme le contexte, par exemple, vont jouer un rôle très important dans le cas d'un terme d'adresse constituant un énoncé à lui tout seul. Par exemple, dans Middlemarch, de George Eliot (chapitre 2, p. 16), les jeunes sœurs Dorothea et Celia Brooke parlent de Mr. Casaubon, un intellectuel d'âge moyen, égocentrique, grincheux et égoïste, mais qui impressionne Dorothea par ses connaissances. Celia ne cesse de critiquer Mr. Casaubon et Dorothea prend systématiquement sa défense :

'How very ugly Mr. Casaubon is!

'Celia! He is one of the most distinguished-looking men I ever saw. He is remarkably like the

42. Cf. p. 2720.

43. Traduction personnelle. Texte original :

portrait of Locke. He has the same deep eye-sockets.' 'Had Locke those two white moles with hairs on them?'

'Oh, I daresay! when people of a certain sort looked at him,' said Dorothea, walking away a little.

'Mr. Casaubon is so sallow.'

'All the better. I suppose you admire a man with the complexion of a cochon de lait.'

'Dodo!' exclaimed Celia, looking after her in surprise. 'I never heard you make such a comparison before.'

'Why should I make it before the occasion came? It is a good comparison: the match is perfect.' Miss Brooke was clearly forgetting herself, and Celia thought so.

'I wonder you show temper, Dorothea.'

'It is so painful in you, Celia, that you will look at human beings as if they were merely animals with a toilette, and never see the great soul in a man's face.44

Dans cet extrait, deux termes d'adresse apparaissent seuls, en début d'énoncés, et sont tous deux exclamatifs (comme en témoigne à chaque fois la présence du point d'exclamation après le terme d'adresse). Dans le premier cas, Dorothea est étonnée de la remarque de sa sœur. Celia affirme que Mr. Casaubon est laid, alors qu'il est l'un des hommes les plus distingués pour sa sœur aînée. Dorothea manifeste sa surprise et son incompréhension dans l'emploi du terme « Celia » en début d'énoncé, sentiments

44. Texte original. Traduction personnelle : « Comme Mr. Casaubon est laid !

— Celia ! Il est l'homme le plus distingué que je connais. Il ressemble remarquablement au portrait de Locke. Il a le même regard profond.

— Locke avait-il ces deux grains de beauté clairs sur lesquels ont poussé quelques poils ? — Oh, je suppose ! pour les personnes d'une certaine classe qui l'examinaient, dit Dorothea, s'éloignant un peu de sa sœur.

— Mr. Casaubon a le teint tellement livide.

— Tant mieux ! Je suppose que vous aimez les hommes au teint semblable à celui d'un cochon de lait.

— Dodo ! s'exclama Celia, la regardant avec surprise. Je ne vous ai jamais entendue faire une telle comparaison auparavant.

— Pourquoi l'aurais-je fait avant que l'occasion ne se présentât à moi ? C'est une bonne comparaison : l'analogie est parfaite.

Miss Brooke s'enflammait clairement, et Celia s'en rendit compte. — Je ne comprends pas pourquoi vous vous agitez ainsi.

— Il est tellement pénible, Celia, de vous voir considérer les êtres humains comme de vulgaires animaux affublés de vêtements, et incapable de percevoir le grand esprit d'un homme sur son visage. »

qui seraient sans doute rendus explicites par l'intonation. Il en va de même pour le second exemple, « Dodo ». Celia appelle toujours sa sœur par le diminutif « Dodo » dans le roman, jamais par son prénom. La jeune sœur est surprise par l'attitude de Dorothea, qui vient de lui faire un reproche, sur un ton sans doute incompréhensible pour elle. Les termes d'adresse employés seuls sont, dans tous les cas rencontrés dans le corpus, suivis d'un point d'exclamation ou d'interrogation (sauf lorsque la phrase est tronquée, mais l'interruption de la phrase suppose une suite qui n'a pas pu être prononcée par le locuteur), car ils manifestent soit la surprise soit l'interrogation.

La virgule peut indiscutablement être un indicateur de présence d'un terme d'adresse. Soit la phrase suivante : What are you doing with that, man? (Qu'est-ce que tu fais avec ça, mon vieux ?). Le terme d'adresse « man », situé en toute fin de phrase, est séparé du reste de la proposition par une virgule. Sans cette virgule, « man » ferait donc partie du reste de la phrase, ce qui entraînerait une différence de sens, laquelle serait amplifiée par l'intonation. On pourrait alors, en modifiant les signes de ponctuation de la phrase, avoir les énoncés suivants :

(1) What are you doing with that man? (Qu'est-ce que tu fais avec cet homme ?) (2) What are you doing? With that man? (Qu'est-ce que tu fais ? Avec cet homme ?) Le changement de ponctuation donne ainsi lieu à un changement de sens. Dans les deux exemples mentionnés, construits à partir de la première phrase, il n'y a plus aucun terme d'adresse. La suppression de la virgule et la modification de la ponctuation conduisent ainsi à des changements de sens.