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CHAPITRE 1 : PROBLÉMATIQUE

4. LES PRATIQUES D’ENSEIGNEMENT DE LA LITTÉRATURE DE

ÉLÈVES

Dans cette thèse, nous examinons les pratiques d’enseignement de la littérature de jeunesse susceptibles de soutenir le développement des habiletés de compréhension des élèves dans le but de tenter de prévenir les difficultés de compréhension en lecture.

4.1. La compréhension en lecture : les difficultés liées au processus inférentiel

Compte tenu des nombreux processus impliqués dans la compréhension en lecture (Irwin, 1986), les difficultés en lecture peuvent être de différentes natures (Oakhill et Cain, 2004; Cain et Oakhill, 2007). Plusieurs problèmes de compréhension sont imputables à des difficultés ayant trait au processus inférentiel (Golder et Gaonac’h, 2004). Ce processus concerne […] les informations (devant être)

activées au cours de l'activité de compréhension, mais qui ne correspondent pas à des données explicitement évoquées dans le texte lu ou entendu9 (van den Broek,

1994, p.556, traduction de Fayol, 1996, p.91). Il est aisé de comprendre que la réalisation des inférences est essentielle à la compréhension car, comme nous l’avons vu lors de la présentation des processus en jeu dans la compréhension (Irwin, 1986), les inférences permettent à la fois d’établir une cohérence locale et globale dans le texte, mais aussi de dépasser le sens du texte à travers notamment l’élaboration de prédictions.

Dans une enquête belge, il a été montré que les élèves éprouvent des difficultés à faire des inférences et qu’au début du secondaire, ils semblent peu capables de

9 Traduction réalisée par Fayol (1996, p.91) de the term inference refers to information that is

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faire, seuls, des inférences simples (Lafontaine, 1997). De plus, les élèves en difficulté en lecture auraient une représentation erronée de l’acte de lire selon laquelle ils pensent qu’il leur suffit de décoder tous les mots d’un texte pour le

comprendre (Goigoux, 1998, p.159). Ainsi, certains élèves en difficulté n’auraient

pas conscience de la nécessité de faire des inférences lors de la lecture d’un texte. Cette représentation ne serait pas sans lien avec certaines pratiques d’enseignement de la lecture qui mettent l’accent sur la compréhension littérale et l’identification des mots (Tauveron, 2002 et Goigoux, 1998). Ainsi, les difficultés à faire des inférences pourraient s’expliquer par deux raisons : les élèves ont appris, tardivement, que lire nécessite de faire des inférences et ils ont été peu entraînés à le faire (Lafontaine, 1997; Tauveron, 2002). Les inférences ont été abondamment étudiées en psychologie cognitive; par contre, rares sont les recherches qui portent sur les pratiques d’enseignement favorisant le développement des inférences (Kispal, 2008). Pour cette raison, dans notre recherche, nous cherchons à décrire ce type de pratiques.

4.2. La lecture à haute voix : une pratique d’enseignement de la littérature de jeunesse rituelle au préscolaire

Au préscolaire, selon des enquêtes menées au Québec, en France et aux États- Unis, la lecture à haute voix est une pratique d’enseignement de la littérature de jeunesse très fréquente (d’une à cinq fois par semaine) (Giasson et Saint-Laurent, 1999; Grossmann, 2000; Jacobs et al., 2000). Boiron (2006) considère même qu’il s’agit d’un des rituels fondamentaux de la maternelle (p.13). Compte tenu de son caractère primordial au préscolaire, nous avons décidé d’étudier, parmi les pratiques d’enseignement de la littérature de jeunesse, l’activité durant laquelle l’enseignant lit, à haute voix, un livre de littérature de jeunesse aux élèves. Le terme « lecture à haute voix », employé dans cette thèse, ne renvoie pas seulement à l’oralisation du texte. Il fait référence aux pratiques durant lesquelles l’enseignant lit à haute voix une œuvre à ses élèves, les questionne et discute de son sens avec eux. Bien que le terme « lecture interactive » semble être de plus en

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plus privilégié dans les milieux scolaires depuis la mise en place progressive au Québec du Continuum en lecture10, nous avons choisi de conserver celui de « lecture à haute voix », encore très utilisé par les chercheurs (voir notamment Lane et Wright, 2007; Pentimonti et Justice, 2010; Santoro, Chard, Howard et Baker, 2008; Teale, 2003).

4.2.1. Les effets de la lecture à haute voix sur les habiletés des élèves Des recherches réalisées au préscolaire et en première année ont souligné que la lecture à haute voix d’histoires, faite par l’enseignant, a un effet sur le développement des habiletés de compréhension des élèves (Dickinson et Smith, 1994; Rosenhouse, Feitelson, Kita et Goldstein, 1997). De plus, d’autres études ont montré que cette pratique a, aussi, un effet sur le développement d’habiletés en lien avec la compréhension des élèves : une augmentation du vocabulaire (Robbins et Ehri, 1994; Elley 1989), une sensibilisation à la structure des histoires (Teale et Martinez, 1996; Rosenhouse, Feitelson, Kita et Goldstein, 1997) et une expérience avec le langage écrit qui, comme nous l’avons vu précédemment, diffère du langage oral sur plusieurs points (Garton et Pratt, 2004).

La lecture d’histoires n’est pas une pratique qui permet d’améliorer spontanément les habiletés des élèves par rapport à l’écrit; c’est plutôt la qualité des interactions en jeu, lors de cette lecture, qui aurait un effet sur les habiletés des enfants plutôt que la lecture prise isolément (Meyer, Wardrop, Stahl et Linn, 1994). Par conséquent, l’enseignant ne doit pas se contenter de lire un livre aux élèves, il doit également les guider dans l’élaboration de leur compréhension. C’est au travers de ces interactions que l’enseignant et les élèves vont co-élaborer le sens lors des discussions (Wiseman, 2011). Or, plusieurs études ont montré qu’il existe

10 Le continuum en lecture, adaptation de l’outil australien First Steps, a d’abord été mis en place

dans des écoles cibles du Programme de l’école montréalaise en 2003. Il est désormais implanté dans de nombreuses écoles avec le soutien du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. Pour mieux connaître Le continuum en lecture, voir MELS (2011a et 2011b).

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différents styles de lecture à haute voix qui se différencient par les interventions mises en œuvre par les enseignants (Dickinson et Smith, 1994; Teale et Martinez, 1996). D’autres chercheurs ont souligné que davantage de recherches sont

nécessaires pour déterminer comment ces variations de style peuvent affecter le développement de la littéracie11 des élèves12 (Galda, Ash et Cullinan, 2000, p.372).

Ce constat confirme la pertinence de notre choix d’observer, dans le but de pouvoir les décrire, les pratiques effectives de lecture à haute voix d’enseignants du préscolaire et leur influence sur le développement des habiletés de compréhension des élèves.

4.2.2. La lecture à haute voix : une pratique à privilégier pour travailler les inférences

En raison des effets de la lecture à haute voix sur les habiletés de compréhension des élèves, plusieurs chercheuses préconisent d’y intégrer un travail sur les inférences dès le préscolaire (Cabell, Justice, Vukelich, Buell et Han, 2008; Kispal, 2008; Lafontaine, 2003; Van Kleeck, 2008). La pertinence d’un tel travail est aussi soulignée par Tauveron (1999) : apprendre à lire entre les lignes dès

l’entrée dans l’apprentissage de la lecture est à nos yeux un enjeu essentiel pour tous les types de textes puisque tous les types de textes supposent une lecture inférentielle (p.11). Même si les recommandations quant à l’intégration d’un

travail sur les inférences lors des lectures à haute voix sont de plus en plus fréquentes, seuls quelques chercheurs ont décrit à la fois de telles pratiques et leur influence sur le développement des habiletés de compréhension des élèves (Bianco

et al., 2010; Makdissi et al., 2010). Pourtant, comme les enseignants sont encore

11 La littéracie a été définie par Jaffré (2004) comme désignant l’ensemble des activités humaines

qui impliquent l’usage de l’écriture, en réception et en production. Elle met un ensemble de compétences de base, linguistiques et graphiques, au service de pratiques, qu’elles soient techniques, cognitives, sociales ou culturelles (Jaffré, 2004, p.31). En français, il existe différentes

orthographes pour la traduction du mot literacy : littéracie, littératie et litéracie. Dans cette recherche, nous utilisons l’orthographe littéracie.

12Traduction libre de : « Further research is necessary to determine how these variations in style

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trop peu enclins à travailler les inférences lors de leurs lectures à haute voix (Maisonneuve, 2010; Scheiner et Gorsetman, 2009) et qu’à notre connaissance rares sont les indications détaillées sur la façon de mener un tel travail avec les enseignants (Dupin de Saint-André, Montésinos-Gelet et Morin, 2007), ces derniers bénéficieraient grandement de recommandations – issues de résultats de recherche – quant aux pratiques à privilégier pour soutenir le développement de l’habileté des élèves à faire des inférences. Avec notre recherche, nous tentons de combler ce manque en étudiant des pratiques de lecture à haute voix au cours desquelles les enseignants cherchent à travailler les inférences.

Les recherches visant à décrire les pratiques des enseignants semblent négligées en didactique du français (Goigoux, 2001). Pourtant, bon nombre de savoir-faire

professionnels d’enseignants expérimentés gagneraient à être élucidés sans nécessairement être modifiés, notamment pour être transmis aux enseignants novices (Goigoux, 2001, p.131). À la suite de cette constatation, nous avons choisi

de nous concentrer sur les pratiques effectives d’enseignants experts afin de pouvoir dégager des pratiques de lecture à haute voix exemplaires.