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CHAPITRE 1 : PROBLÉMATIQUE

2. CONTEXTE THÉORIQUE

2.3. LA COMPRÉHENSION EN LECTURE

2.3.3. La compréhension en lecture et la compréhension de textes oralisés

comprendre. En situation d’écoute d’un texte lu par l’adulte, les enfants sont en présence de langage oralisé, c’est-à-dire d’un langage écrit qui est parlé (Rey- Debove, 1998, p.14).

L’écrit diffère de l’oral sur plusieurs aspects. Premièrement, la différence de contextualisation entre l’écrit et l’oral est souvent mise en avant. Ainsi, le langage

oral est contextualisé tandis que le langage écrit est décontextualisé (Giasson,

2003, p.11). À titre d’exemple, lors d’une conversation, les personnes partagent un environnement physique et temporel qui leur permet d’interagir et de s’ajuster l’une à l’autre (Olson, 1977). Alors que, pour ce qui est de la lecture, ce n’est pas le cas : le texte écrit est, généralement, destiné à un éventail de personnes et non exclusivement à la personne qui le lit6.

Deuxièmement, les constructions syntaxiques et le vocabulaire utilisés à l’écrit diffèrent de ceux employés dans le langage oral (Garton et Pratt, 2004; Oakhill et Cain, 2004). Il est à noter que l’usager d’une langue a plus souvent recours, à l’écrit, à un registre de langue soutenu.

Nous pourrions nous demander ce qu’il en est de ces différences lorsque nous sommes en présence de langage oralisé. Lorsque des textes sont oralisés, certains indices sont donnés aux élèves par la médiation orale de l’adulte, et cela, à travers

le changement de débit, les pauses, l’allongement, l’accent d’insistance, la montée de la voix et les intonations particulières (Chemla et Dreyfus, 2002, p.113).

Toutefois, excepté ces indices donnés par la médiation orale, le langage oralisé

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En ce qui a trait à cette première caractéristique, il est à noter que cette différence entre les langages oral et écrit a été nuancée par des chercheuses qui ont relevé des situations dans lesquelles le langage écrit est moins décontextualisé (une situation d’écriture collaborative, par exemple) et le langage oral moins contextualisé (une conversation téléphonique, par exemple) (Morin et Montésinos-Gelet, 2007).

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partage les mêmes caractéristiques que le langage écrit (décontextualisation, registre de langue soutenu, constructions syntaxiques et vocabulaire plus complexes). À ce propos, Fayol (1996) précise qu’en l’état actuel de nos

connaissances, les processus impliqués dans la compréhension seraient les mêmes, qu’ils interviennent sur des supports écrits, imagés ou oraux (p.96). En se

basant sur des recherches, ce chercheur indique néanmoins qu’un texte présenté

sous forme écrite peut être plus facile à traiter et à comprendre du fait que le lecteur peut adapter son rythme de lecture ou effectuer des retours en arrière

(Fayol, 1996, p.96).

De plus, d’après une étude longitudinale réalisée en Finlande, au cours du

développement des habiletés de compréhension, il existe une grande stabilité entre les habiletés de compréhension en écoute au préscolaire et les habiletés de compréhension en lecture en deuxième année7 (Dufva, Niemi et Voeten, 2001, p.113). Ces chercheurs ajoutent que la compréhension en écoute serait un prédicteur fiable des habiletés de compréhension en lecture. Des résultats similaires ont été obtenus par Kendeou, Bohn-Gettler, White et Van den Broek (2008).

Dans cette recherche, étant donné que nous sommes dans le contexte du préscolaire, nous étudierons la compréhension de textes oralisés en considérant, à l’instar de Fayol (1996), que les processus impliqués dans celle-ci sont relativement semblables à ceux en jeu lors de la compréhension en lecture. Ainsi, la compréhension peut être travaillée à l’oral dès le préscolaire à partir de textes écrits (Bianco et al., 2010; Cain, 2010; Fayol, 1996; Florit et al., 2011; Giasson, 2011; Kendeou et al., 2009; Martinet et Rieben, 2010). Ce travail sur la compréhension peut se faire à travers l’exploitation de la littérature de jeunesse (Tauveron, 2002) ou de textes informatifs. Toutefois, il nous apparaît plus

7 Traduction libre de : « The development of comprehension skills from preschool listening

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pertinent de nous concentrer sur les textes narratifs de fiction, car ce sont ceux qui sont privilégiés par les enseignants du préscolaire, notamment lors des lectures à haute voix (Jacobs, Morrison et Swinyard, 2000).

2.4. La littérature de jeunesse

Étudier les pratiques d’enseignement de la littérature de jeunesse au préscolaire demande de préciser quelles œuvres peuvent être mises sous l’étiquette de « littérature de jeunesse ». Nous ne prétendons aucunement faire ici une présentation exhaustive des caractéristiques de la littérature jeunesse, mais cherchons plutôt à en élaborer une définition fonctionnelle pour les besoins de notre recherche.

Boutin (1998) souligne la difficulté initiale d’établir une définition de la littérature qui fasse consensus au sein de la communauté des spécialistes, qu’ils soient

critiques, théoriciens, pédagogues, linguistes ou sociologues (p.89). Ainsi, il est

aisé de comprendre que ce manque de cohésion se répercute sur la définition de la littérature de jeunesse. En effet, dans les écrits consultés, nous avons relevé différentes définitions et conceptions de cette littérature en fonction des points de vue adoptés par les chercheurs.

Boutin (1998; 1999a; 1999b) a, par exemple, exploré la notion de littérature de jeunesse dans le but de proposer des pistes pour créer un corpus d’œuvres littéraires destinées aux élèves du préscolaire jusqu’au secondaire. Pour cette raison, il s’est davantage intéressé au statut à accorder à la littérature de jeunesse par rapport à la littérature, sans pour autant définir la littérature de jeunesse. Il indique qu’en didactique de la littérature il faut cesser de percevoir la littérature

d’enfance et de jeunesse comme un champ distinct de « la » littérature ou comme une pré/para/sous-littérature (Boutin, 1999b, p.57) afin de pouvoir proposer aux

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Gervais (1997) aborde la littérature de jeunesse dans une autre optique : celle du plaisir de lire, raison d’être de la littérature destinée aux enfants. Ainsi, elle donne une définition de la littérature de jeunesse qui se veut non restrictive; la littérature de jeunesse englobe tous les aspects de la production écrite pour la jeunesse : de

la fiction à l’information, de la bande dessinée au poème en passant par un large éventail de genres comme les livres dont vous êtes le héros ou les périodiques pour la jeunesse (Gervais, 1997 p.33).

Cette vision englobante ne fait pas l’unanimité des spécialistes de la didactique de la littérature, tel Poslaniec (2008), qui préfère circonscrire sa définition à tout texte

de fiction dont l’un des lecteurs virtuels est un enfant (p.77). Quant à Thérien

(1997), il relève des caractéristiques beaucoup plus précises des œuvres littéraires pour la jeunesse : le texte littéraire est reconnaissable à sa polysémie, à

sa régularité de forme, à son intertextualité et à son ouverture sur l’imaginaire

(p.22). De plus, il indique que cette définition restreinte du littéraire exclut

d’emblée les encyclopédies et les journaux pour les jeunes regroupés parfois abusivement sous le vocable de « littérature de jeunesse » (p.22). Cette critique

prend son sens dans la mesure où Thérien ne poursuit pas le même objectif que Gervais (1997) et cherche plutôt à proposer, comme Boutin (1998), un corpus d’œuvres à exploiter dans une didactique de la littérature visant le développement d’une lecture littéraire. Similairement, Sorin (2003), didacticienne du français spécialiste de la littérature de jeunesse, reprend et précise l’idée de polysémie soulevée par Thérien (1997) : L’œuvre littéraire est polysémique : elle renvoie à

une pluralité de sens; elle aménage des espaces blancs, des espaces de non-dit. Elle s’éloigne de l’univocité, de la linéarité pour laisser place à la suggestion, à l’ambiguïté, à l’implicite (Sorin, 2003, p.60). Cette définition met l’accent sur le

rôle joué par le lecteur dans la compréhension et l’interprétation du texte.

De la même façon, Tauveron (1999) se questionne sur les textes à privilégier pour travailler la compréhension et l’interprétation en lecture avec les élèves. Elle

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oppose deux grandes catégories de textes : les textes dits résistants qui demandent un travail pour être compris et des textes surnommés collaborationnistes ou lisses dont le sens est exposé sans ambiguïté et appréhendé sans difficulté. Pour effectuer un travail en profondeur sur la compréhension, les textes résistants sont de bons candidats, car ils offrent quelque chose à comprendre et permettent de faire des échanges à propos du sens (Tauveron, 1999; 2002).

À la lumière de ces définitions, nous dégageons deux principales dimensions qui nous permettent d’esquisser une définition de la littérature de jeunesse. D’une part, elle est définie par son lectorat, c’est-à-dire par le fait d’être destinée à des enfants (Gervais, 1997; Poslaniec, 2008). D’autre part, certains chercheurs isolent des caractéristiques propres aux œuvres littéraires qui se retrouvent dans certaines œuvres produites pour la jeunesse: la polysémie, l’intertextualité, l’ambiguïté, la présence d’implicite… (Thérien, 1997, Sorin, 2003; Tauveron, 1999; 2002). Ces œuvres, parce qu’elles sollicitent grandement le lecteur, sont considérées comme résistantes et, de ce fait, propices à une exploitation pédagogique pour aborder la compréhension et l’interprétation (Tauveron, 1999; 2002).

Dans cette recherche, en raison de nos objectifs de recherche axés sur le développement des habiletés de compréhension des élèves, nous nous intéressons aux œuvres de fiction écrites pour la jeunesse qui, compte tenu de leurs caractéristiques (ex. : présence d’implicite)8, demandent un travail en profondeur pour en construire le sens (Poslaniec, 2008; Sorin, 2003, Tauveron, 1999; 2002).

8 Pour une description exhaustive des caractéristiques des œuvres littéraires, le lecteur peut se

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