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Les pouvoirs exclusifs concernant les ressources en eau

Dans le document Université Panthéon-Assas (Page 197-200)

Première partie : Vers un régime fédéral en Irak

2.2. Chapitre 2 : La répartition des pouvoirs dans le système fédéral irakien

2.2.1. Section 1 : Les pouvoirs exclusifs du gouvernement fédéral

2.2.1.4. Les pouvoirs exclusifs concernant les ressources en eau

La ressource vitale que constitue l’eau dans le monde entier revêt une importance particulière dans la région du Moyen-Orient où elle fait l’objet d’une pénurie structurelle525. L’histoire de l’Irak et de ses pays voisins illustre cette affirmation. La question de l’eau a depuis longtemps été à l’origine de conflits entre l’Irak, la Syrie et la Turquie.

Les deux principaux cours d’eau en Irak, le Tigre et l'Euphrate, prennent leur source dans les montagnes turques, et passent ensuite par la Syrie, avant d’atteindre l'Irak, où leurs cours délimitent l’ancienne Mésopotamie. Les eaux de ces fleuves sont vitales pour l'agriculture et la population de toute la région, et leur contrôle a donné lieu entre les trois pays à des tensions récurrentes frôlant parfois l’affrontement militaire526.

523L’Irak s’est fortement endetté lors de sa guerre de huit ans contre l’Iran, puis ses dettes ont encore augmenté avec l’embargo qui a duré de 1991 à 2004, puis à cause des frais liés à sa « libération » imposée par les américains et les Alliés.

524 POUPART, A., op. cit., p. 112.

525 RICO, M., « L’eau au Moyen-Orient ou la nécessité d’une coopération », Med.2010, disponible sur le site Internetde l’Institut Européen de la Méditerranée (IEMed)

http://www.iemed.org/anuari/2010/farticles/Rico_eau_fr.pdf. Consulté le 4 janvier 2012.

526 Dans les années 50, de fortes tensions divisèrent la Syrie et la Turquie, qui évitèrent de peu l’affrontement militaire. L’union entre la Syrie et l’Égypte en 1958 calma les velléités de la Turquie qui ne voulut pas prendre le risque de se mettre à dos l’ensemble de la région. En 1970, ce sont la Syrie et l’Irak qui faillirent entrer en guerre à propos de la construction d’un barrage sur la section syrienne de l’Euphrate, réduisant le débit entrant en Irak. Les tensions furent ravivées en 1976 par un projet de développement de la Turquie reposant sur la réalisation de vingt-deux barrages. Tout au long des années 80, la question de l’eau devint étroitement intriquée avec des affaires politiques par les tactiques et jeux de pouvoirs des deux parties, la Syrie soutenant les Kurdes de Turquie pour faire pression sur le gouvernement turc, et la Turquie soutenant les mouvements islamistes en Syrie afin de

Les tensions se sont toutefois allégées depuis 2002527, et des discussions sur la répartition des eaux sont engagées entre les trois gouvernements, en particulier en raison de la volonté de la Turquie de redéployer sa diplomatie vers le Moyen-Orient et d’adopter la politique du « zéro problème » avec ses pays voisins528 afin de devenir un acteur incontournable au Moyen-Orient. Aujourd’hui, si aucun conflit ouvert ne divise actuellement la région autour de la question de l’eau, cette dernière reste l’un des enjeux principaux entre l’Irak, la Turquie et la Syrie.

La Constitution irakienne traite de la question de l’eau dans deux articles séparés. Tandis que l’article portant sur les pouvoirs partagés entre le gouvernement fédéral et les gouvernements des régions, que nous verrons dans la section suivante, aborde les ressources intérieures, l’alinéa 8 de l’article 110 vise clairement les ressources en eau provenant de l’extérieur de l’Irak, c’est-à-dire les cours d’eau prenant leur source à l’étranger et passant par les frontières de l’Irak. Ceci exclut donc les cours d’eau dont la source même se situe à l’intérieur des frontières de l’Irak.

Selon la formulation de ces dispositions, les pouvoirs exclusifs du gouvernement fédéral quant à ces ressources se limitent à la conception des politiques les concernant, et non à leur mise en œuvre. Le gouvernement central a donc compétence pour toutes les décisions affectant la quantité, le débit et la qualité des flux entrants en Irak, ainsi que leur distribution à l’intérieur du territoire529. C’est par exemple lui qui est chargé de négocier avec les pays où les cours d’eau prennent leur source ou ceux qu’ils traversent, pour des affaires de barrages ou de pollution en amont des frontières irakiennes par exemple. C’est lui également qui décide de la mise en place d’aménagements internes sur les cours d’eau en question, tels que des barrages ou encore des systèmes de filtration ou d’irrigation.

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faire pression sur le gouvernement syrien. Après avoir atteint un degré extrême en 1990, lorsque la Turquie interrompit pendant un mois le débit de l’Euphrate en amont de la Syrie et de l’Irak pour le remplissage du barrage Atatütk, ces tensions se soldèrent par un accord en 1998.

527 L’arrivée au pouvoir en Turquie du Parti pour la Justice et le Développement en 2002 apaisa fortement les relations de la Turquie avec ses voisins. Aujourd’hui, les relations d’Ankara avec Erbil sont toutefois globalement plus sereines qu’avec Bagdad.

528 Pour plus d’informations sur cette politique, lire : ÖZCAN, G., « La politique du zéro problème avec les voisins », Med. 212, disponible sur le site Internet de l’Institut Européen de la Méditerranée (IEMed), www.iemed.org. Consulté le 8 janvier 2013.

529 AL-BAKRI, J., « Les fondements de répartition des richesses dans les régimes fédéraux », disponible sur : http://www.ahewar.org/debat/show.art.asp?aid=125312. Consulté le 31 décembre 2012.

Si la comparaison avec les autres États fédéraux se justifie moins ici que pour les autres compétences exclusives que nous avons étudiées, dans la mesure où c’est véritablement dans le contexte moyen-oriental que les ressources en eau revêtent un caractère si stratégique, prenons toutefois le temps de comparer la Constitution irakienne à la Constitution suisse, où nous trouvons également des dispositions spécifiques dans ce domaine. La Constitution suisse classe la question de l’eau en principe parmi les compétences de l’État fédéral, qui légifère sur la protection des eaux, le maintien de débits résiduels appropriés, l’aménagement des cours d’eau, la sécurité des barrages, et les interventions qui sont de nature à influencer les précipitations530. La confédération statue également, avec le concours des cantons concernés, sur les droits relatifs aux ressources en eau qui intéressent plusieurs États, et fixe les taxes d’utilisation de ces ressources. Elle statue également sur ces droits lorsque les ressources en eau intéressent plusieurs cantons et que ces derniers ne s’entendent pas. Dans l’accomplissement de ses tâches, elle prend en considération les intérêts des cantons d’où provient l’eau531.

Notons que même lorsque la répartition des compétences et l’attribution de pouvoirs exclusifs à l’un des niveaux de gouvernement sont clairement définies, l’expérience a démontré que cela n’évite pas les chevauchements et les interférences.

Au Canada par exemple, les questions de politique étrangère, de sécurité, de politique macroéconomique, d’immigration et de citoyenneté sont du ressort des autorités fédérales, mais pour le bon fonctionnement du système, ces dernières doivent tenir compte de l’avis des provinces dans ces domaines. En Irak, le gouvernement fédéral ne se contente pas des pouvoirs exclusifs que la Constitution lui attribue, si stratégiques soient-ils, et essaie de dominer également les pouvoirs partagés et de s’ingérer dans les pouvoirs résiduaires des régions. En témoignent les conflits et divergences survenus entre le gouvernement fédéral et le gouvernement de la région du Kurdistan à propos de plusieurs questions essentielles, notamment la détermination de la part du Kurdistan dans le budget de l’État fédéral, la contestation de la légalité des contrats conclus par le Kurdistan avec les sociétés pétrolières étrangères, et la question des Peshmergas532.

530 Art. 76-3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse de 1999

531 Art. 76-5 et 6 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse de 1999

532 OMAR, Ch., op. cit., pp. 136-137

2.2.2. Section 2 : Les pouvoirs partagés entre le gouvernement fédéral et les

Dans le document Université Panthéon-Assas (Page 197-200)