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La composition de la Cour suprême fédérale Aux termes de l’article 92-2 de la Constitution irakienne:

Dans le document Université Panthéon-Assas (Page 165-171)

Première partie : Vers un régime fédéral en Irak

2.1. Chapitre 1 : Les structures de l’État

2.1.3. Section 3 : Le pouvoir judiciaire

2.1.3.3. La Cour suprême fédérale

2.1.3.3.1. La composition de la Cour suprême fédérale Aux termes de l’article 92-2 de la Constitution irakienne:

« La Cour suprême fédérale se compose d’un certain nombre de magistrats, experts en matière de jurisprudence islamique et jurisconsultes. Leur nombre, les modalités de leur désignation, et le fonctionnement de la Cour seront définis par une loi devant être adoptée par la Chambre des représentants à la majorité des deux-tiers.»

Notons le renvoi de la loi relative à la composition de la Cour suprême à la seule Chambre des représentants, dans un système législatif théoriquement bicaméral prévu ainsi par la Constitution pour garantir l’équilibre du nouveau système fédéral, avec une juste représentation à la fois de la population et des différentes entités fédérées. Le renvoi à une seule de ces deux chambres d’une loi au rôle déterminant dans ce que sera la composition de la Cour suprême prive d’emblée cet organe judiciaire essentiel de cette garantie d’équilibre437.

435 Art. 92-1 de la Constitution irakienne de 2005

436 Art. 94 de la Constitution irakienne de 2005

437 Rappelons qu’à l’heure actuelle, la Chambre de la fédération n’a toujours pas été mise en place ; il s’agit donc là d’une considération théorique.

L’article 92 de la Constitution, qui définit les membres de la Cour suprême fédérale et renvoie à une loi fédérale leur nombre et les modalités de leur désignation, comporte plusieurs points qui méritent analyse.

2.1.3.3.1.1. Le nombre des membres de la Cour suprême fédérale

La Constitution de 2005 confie à une loi ultérieure la tâche de déterminer le nombre de membres composant la cour, ainsi que les quotas et proportions de magistrats, spécialistes du droit musulman et jurisconsultes. Or, il s’agit d’une question très sensible dans un système juridique quel qu’il soit, et en Irak en particulier compte tenu de la diversité des confessions et courants au sein de la société que doit servir le système judiciaire. Cette question risque donc de susciter parmi les membres de la Chambre des représentants des débats houleux qui pourraient compromettre l’adoption d’une loi.

C’est pourquoi nous considérons qu’il eût été largement préférable que cette question soit tranchée par la Constitution, à l’instar d’autres systèmes fédéraux dans le monde. Pour le moins, la Constitution aurait pu déterminer un quota pour les magistrats professionnels d’une part, et pour les spécialistes du droit musulman et les jurisconsultes d’autre part.

Ce manquement nous apparaît d’autant plus dommageable que la nouvelle loi en question n’a toujours pas vu le jour, ce qui place la Cour suprême actuelle dans une situation de non-conformité avec la Constitution. La loi en vigueur est la Loi n° 30 de 2005, qui fixe à neuf le nombre de membres de cette Cour. Cette loi avait été promulguée, comme son texte lui-même l’indique438, par le Conseil des ministres, c’est-à-dire par un organe exécutif en vertu des pouvoirs législatifs qui lui étaient conférés pendant la phase de transition, et n’a donc pas été adoptée par un parlement démocratiquement élu. Afin d’harmoniser le système judiciaire irakien avec les principes démocratiques de la nouvelle Constitution, nous estimons donc qu’il est urgent de voter une nouvelle loi selon les dispositions de cette dernière.

2.1.3.3.1.2. Nomination des membres de la Cour suprême fédérale

La Constitution irakienne n’apporte aucune précision concernant les modalités de nomination des membres de la Cour suprême fédérale, qu’elle renvoie à une loi

438 La Loi n° 30 de 2005 est signée par Iyad Allawi, Premier ministre de juin 2004 à avril 2005.

ultérieure. Elle ne confie ce rôle ni au président de la République ou au Conseil de la présidence, ni à d’autres instances du pouvoir exécutif, ni aux pouvoirs judiciaire ou législatif.

Nous considérons que la Constitution aurait dû attribuer la compétence de la désignation des candidats au pouvoir judiciaire, en particulier au Conseil supérieur de la magistrature, afin d’éliminer toute influence politique indue en faveur de candidats moins aptes à exercer des fonctions aussi importantes pour le pays. À titre de formalité, et sans que cela laisse au pouvoir exécutif la possibilité de rejeter les candidats ainsi désignés, il aurait alors pu revenir au président de la République de promulguer un décret présidentiel approuvant ces nominations439. Enfin, la nomination des magistrats et autres membres de la Cour suprême fédérale devrait être approuvée par le Conseil de la fédération, comme c’est le cas pour la nomination des juges de la Cour suprême américaine, approuvée par le Sénat. Ceci serait un moyen de garantir la participation des gouvernements des régions aux décisions fédérales importantes et de favoriser l’équilibre entre les intérêts de toutes les composantes du système fédéral afin de préserver, sans en dévier, les fondements et principes de ce régime440.

2.1.3.3.1.3. La durée du mandat des membres de la Cour suprême fédérale

La durée du mandat à la Cour suprême fédérale n’est pas précisée dans la Constitution. La Loi en vigueur prévoit que le président et les membres de la Cour peuvent poursuivre leurs fonctions sans limite d’âge sauf s’ils désirent se retirer441. Là encore, il apparaît extrêmement dommageable pour le bon fonctionnement de cet organe judiciaire qu’une disposition aussi fondamentale n’ait pas été revue à la lumière des nouvelles directions constitutionnelles.

L’une des premières dispositions nécessaires serait pour le moins de déterminer une limite d’âge ou une durée fixes afin d’éviter l’écueil d’un mandat à vie qui risque de voir s’installer à la Cour suprême des juges trop âgés, et d’entraver un renouvellement sain pour toute institution.

439 Au Canada, la Cour suprême se compose de neuf juges, désignés par le gouverneur général, sur la recommandation du Premier ministre à partir d’une courte liste de candidats dont la compétence est reconnue par tous.

440 ZIBARI, op. cit. p.155

441 Art. 6-3 de la Loi n° 30 de 2005

HASAN Mohamad| Thèse de doctorat | juin 2013

Citons l’exemple de deux démocraties qui ont opté, l’une pour une limite d’âge, et l’autre pour une durée fixe de mandat. Au Canada, les juges de la Cour suprême sont nommés jusqu'à l'âge de 75 ans, ou jusqu'à ce qu'ils se retirent441F442

En France, le mandat des membres du Conseil Constitutionnel – équivalent de la Cour suprême – est de neuf ans non renouvelables442F443. Notons toutefois qu’aux États-Unis, les juges de la Cour suprême sont nommés à vie, mais nous considérons que des juges très âgés peuvent être moins alertes intellectuellement et moins en prise avec la réalité actuelle d’un pays.

195B2.1.3.3.1.4. Le quota des régions à la Cour suprême fédérale Le système fédéral adopté par le nouvel Irak appelle une participation et une représentation égales de toutes les régions aux affaires de l’État.

Or, ni la Constitution, ni la Loi n° 30 de 2005 ne font référence à cette question, et, comme nous l’avons vu, la nouvelle loi prévue par la Constitution n’a pas encore été adoptée. La question demeure donc sans réponse au moment où nous rédigeons cette thèse.

Le fait que l’Irak fédéral ne compte jusqu’à présent qu’une seule région complique encore cette question. En effet, si la méthode préconisée pour la sélection des membres est adoptée, la moitié d’entre eux devrait représenter la région du Kurdistan, qui compte trois gouvernorats, et l’autre moitié le reste de l’Irak, qui en compte quinze, dont le gouvernorat de Bagdad. Cette question a constitué une pomme de discorde entre les constituants lors de la rédaction de la Constitution, ce qui a provoqué le renvoi de sa résolution à une loi ultérieure. C’est ainsi que la plupart des questions importantes et sensibles pour les Kurdes n’ont pas été tranchées par la Constitution et ont été reportées sous le prétexte qu’elles recouvraient trop de divergences pour permettre un compromis, et que la priorité dans le nouvel Irak devait être accordée à la sécurité et à la stabilité du pays. Les Kurdes ont accepté ces reports

Nous estimons qu’il serait intéressant, dans ce contexte, de mentionner le modèle canadien, qui éclaire l’approche irakienne dans la mesure où, par son histoire, sa culture, sa spécificité linguistique et ses relations avec le gouvernement central, le Québec présente une forme d’analogie avec le Kurdistan. Les juges provenant du Québec sont nommés sans consultation par le gouvernement central ; aucune disposition spécifique n’assure la défense du droit civil et la protection de la langue française par des juges formés très majoritairement dans un régime de Common Law444. Selon des juristes spécialistes de la question445, ce modèle canadien ne protège pas les intérêts du Québec.

2.1.3.3.1.5. Les membres spécialistes du droit musulman et les jurisconsultes

En procédant à l’analyse de l’article 92, on constate que le législateur accorde aux spécialistes du droit musulman un statut de membres à part entière leur permettant de prendre part à toutes les décisions de la Cour. Cela nous pousse à considérer que le législateur voulait garantir la conformité des jugements de la Cour suprême avec les préceptes de l’islam, préconisée par la Constitution446. Si les législateurs avaient voulu accorder aux spécialistes du droit musulman uniquement le statut de conseiller, ils l’auraient prévu expressément, par une disposition du type: « la Cour suprême fédérale se compose d’un nombre de magistrats et de juristes ainsi que de certains conseillers spécialistes du droit musulman. »

À la lumière de l’ambiguïté, sinon de la contradiction contenue dans l’article 2 de la Constitution, qui stipule d’abord : « Il est interdit de promulguer toute loi contrevenant aux principes de base de l’islam »447, puis, un peu plus loin : « Il est interdit de promulguer toute loi contraire aux principes de la démocratie »448 nous estimons que les défenseurs449 de l’intégration à la Cour Suprême fédérale des spécialistes du droit musulman ont vraisemblablement souhaité garantir le premier de

444 Entretien avec André Poupart, Professeur honoraire, Faculté de droit, Université de Montréal, Canada ; le 8 juin 2012.

445 Ibid.

446 Art. 2-1-a de la Constitution irakienne de 2005

447 Ibid.

448 Art. 2-1-b.

449 Les partis et blocs politiques ayant souhaité l’intégration de spécialistes du droit musulman à la Cour suprême fédérale sont bien entendu de tendance islamique. Ayant obtenu la majorité au sein du Comité de rédaction de la Constitution, ils disposent d’un rôle influent dans la vie politique et constitutionnelle du nouvel Irak.

ces deux principes et éviter ainsi de laisser la porte ouverte à une interprétations des principes de la démocratie qui n’irait pas dans le sens de leurs intérêts450.

Cependant, outre le fait que la Constitution ne donne aucune précision sur la proportion de spécialistes du droit musulman et de jurisconsultes par rapport aux magistrats professionnels, elle ne précise rien non plus sur le rôle et les critères de sélection de ces membres. Quel doit être leur rôle par rapport aux magistrats ? Quelles doivent être les modalités de leur présence et de leur participation aux votes concernant les décisions de la Cour ? Qui les désigne ? Quelles doivent être leurs qualifications – formation, diplôme, ancienneté, expérience, recherches, publications ? Doivent-ils être avocats et membres du barreau ? Le texte de l’article 92 a donc une portée générale car imprécise, ce qui peut être considéré comme une lacune dans un texte constitutionnel dont on attend qu’il précise toutes les questions importantes451.

Pour aller plus loin dans cette direction, et compte tenu de la réalité confessionnelle de l’Irak d’aujourd’hui, il aurait été très important de déterminer la répartition de différentes appartenances ethniques et courantes religieux parmi les spécialistes de droit musulman et les jurisconsultes. Quel quota devrait être réservé aux confessions chiite et sunnite 452? Quel quota devrait être réservé aux kurdes par rapport aux arabes453 ? Par ailleurs, n’aurait-il pas fallu ajouter d’anciens députés pour mieux contrôler les travaux de la Chambre des représentants454 ?

À ce jour, toutes ces interrogations sont sans réponse. Elles feront sans doute l’objet de longs débats et négociations. Dans un nouvel Irak où la tendance est souvent au compromis temporaire, espérons que les intérêts généraux du pays et des Irakiens

450 Al-MOUSSAWI, S., « La Création de la Cour suprême fédérale en Irak, Entre Constitution et Loi.

Lecture analytique et critique ». Disponible en arabe sur le site Internet http://www.f-law.net/law/showthread.php/22081-, consulté le 12 juillet 2011.

451 Il convient de signaler que la Loi n° 30 de 2005 sur la Cour suprême fédérale stipule dans son article 3 que le Conseil supérieur de la magistrature désigne le président et les membres de la Cour suprême fédérale en concertation avec les Conseil régionaux de la magistrature, et soumet ces candidatures au Conseil de la présidence pour décider de leur nomination.

452 Bien entendu, la réponse à cette question serait largement conditionnée par la réalité confessionnelle de l’Irak et la propension des chiites à accepter un quota égal à celui des sunnites, alors qu’ils sont majoritaires.

453 Lors d’un entretien à Erbil le 7 avril 2009, Mohammad-Omar Mawloud, président du Conseil consultatif de la région du Kurdistan, nous a déclaré que la composition de la Cour suprême fédérale incluait trois membres de la région du Kurdistan, un turcoman et un chrétien.

454 Entretien avec Jacqueline de Guillenchmidt, membre du Conseil constitutionnel français, le 22 janvier 2013 à Paris.

l’emportent sur les différents clivages pour parvenir à un règlement définitif de la question la composition de la Cour suprême fédérale.

2.1.3.3.2. Les compétences de la Cour suprême fédérale et leur

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