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Le rôle de l’islam dans la Constitution irakienne

Dans le document Université Panthéon-Assas (Page 119-122)

Première partie : Vers un régime fédéral en Irak

1.2. Chapitre 2 : L’adoption du régime fédéral dans la Constitution permanente de 2005

1.2.2. Section 2 : Les grands changements apportés par la nouvelle Constitution irakienne de 2005

1.2.2.2. Les grandes questions culturelles, sociales et religieuses

1.2.2.2.1. Le rôle de l’islam dans la Constitution irakienne

Parmi les questions qui se sont posées lors de la rédaction de la Constitution irakienne de 2005, l’identification des sources du droit et leur importance relative a suscité de grands débats parmi les constituants. Les Kurdes souhaitaient un Irak laïque fondé sur les droits fondamentaux; les chiites souhaitaient une république islamique dont la seule source de droit serait l’islam ; les sunnites, enfin, s’opposaient à un État laïque tout autant qu’à une République islamique sur le modèle chiite iranien.

Finalement, les pourparlers ont abouti à un résultat selon lequel le système juridique irakien est fondé sur l’islam, reconnu comme étant non seulement la religion officielle de l’État, mais également la source principale de la législation261. Cependant, si la Constitution indique qu’il est interdit de promulguer une quelconque loi qui serait en contradiction avec les principes de l’islam, elle ne précise pas ce qu’il advient des lois existantes. Or, depuis la création de l’Irak, à l’exception des lois sur l’état civil qui

261 Dans la LAT, l’islam est l’une des sources de la législation et non la source principale (Art. 7 de la LAT).

sont inspirées de la législation islamique, l’ensemble des lois est d’essence laïque.

Comment concilier ces lois avec les principes de l’islam ? Y a-t-il assez de marge de manœuvre dans l’application des lois pour résoudre d’éventuelles contradictions ?

Le choix de l’islam en tant que religion officielle de l’État et source principale de la législation appelle d’emblée une autre question. Quel est l’islam qui doit être adopté ? Est-ce celui des chiites, celui des sunnites traditionnels, ou celui des Djihadistes-Salafistes? Il serait impossible d’appliquer le modèle iranien dans un pays abritant au moins onze confessions religieuses et cinq langues ou ethnies. Les Arabes sunnites refusent que la religion de l’Irak soit celle des chiites de Téhéran. En outre, les chiites, qui – rappelons-le – représentent 60 % de la population irakienne, ne sont pas tous favorables à une République islamique. Par ailleurs, malgré le fait que les partis politiques kurdes soient laïcs, la majorité du peuple kurde est composée de musulmans sunnites traditionnels, qui ne sont favorables ni à l’islam chiite, ni à celui des Djihadistes-Salafistes, ni à la laïcité.

L’article 2 de la Constitution irakienne stipule :

« 1. L’islam est la religion officielle de l’État et la source principale de la législation 262 :

A- Il est interdit de promulguer toute loi contrevenant aux principes de base263 de l’islam.

B- Il est interdit de promulguer toute loi contrevenant aux principes de la démocratie.

C- Il est interdit de promulguer toute loi contrevenant aux droits et aux libertés fondamentales figurant dans cette Constitution.

2. Cette Constitution garantit la préservation de l’identité islamique de la majorité du peuple irakien, ainsi que l’ensemble des droits à la liberté de croyance et de pratiques religieuses, de tous les individus, tels que les chrétiens, les Yézidis et les Sabéens Mandéens.»

262 Ce sont les Kurdes, dont la majorité des partis politiques sont laïques, qui ont exigé l’adoption de cet article reconnaissant l’islam comme principale source de droit, et non, à l’image du régime de Téhéran, la seule et unique source de droit tel que cela était voulu par les chiites. Les autres minorités religieuses comme les sunnites arabes, les chrétiens, les Sabéens et les Yézidis, y étaient également opposées.

263 Dans la revue Maghreb-Machrek n°190 (Hiver 2006-2007), figure une traduction de la Constitution irakienne de 2005 faisant apparaître quelques inexactitudes dans certains articles. Le traducteur Jean-Pierre Milelli, traduit ainsi l’article 2 alinéa 1.A à la page 63 de cette revue : « Il est interdit de promulguer une loi contrevenant aux principes reconnus de l’islam ». Or, il n’existe pas de principes reconnus dans l’islam. Les principes auxquels le législateur irakien fait référence dans cet article sont les principes « de base » ou les principes « bien établis ». Le terme de « reconnus » appelle la question suivante : par qui ces principes sont-ils reconnus? Dans le cas irakien où il existe deux confessions, chiite et sunnite, il est difficile de parler de principes reconnus.

En exigeant une double obédience aux principes de l’islam et à ceux de la démocratie, la nouvelle Constitution suppose que l’un et l’autre soient compatibles.

Cependant, les trois interdictions stipulées dans cet article s’accompagnent d’une véritable problématique : comment concilier les principes de l’islam et ceux de la démocratie? Comment, dans une telle configuration sur le plan religieux, interpréter les droits à l’égalité264, à la liberté d’expression265, à la liberté de religion266, et le droit à l’intimité dans le respect de la moralité publique267 ? Quel choix opérer entre le modèle politique traditionnel basé sur l’islam et celui, plus moderne, inspiré de l’Occident, à savoir la démocratie constitutionnelle ? Quels sont les principes qui prévalent en cas d’incompatibilité ? Quelles sont les bases sur lesquelles les juges s’appuieront pour prendre les décisions en cas de conflit entre les deux? Cette question est encore compliquée par le fait que la Constitution ne précise pas s’il s’agit des principes de l’islam chiite ou sunnite.

Pour comprendre les réponses qui ont été apportées à ces questions, plus de sept ans après l’adoption de cette Constitution, nous avons procédé à un examen de l’ensemble des décisions de la Cour suprême fédérale. Or, il s’avère que, à l’heure de la rédaction de cette thèse, aucune décision relative à cette double problématique de l’islam et de la démocratie n’a été prise par la Cour suprême. Nous considérons que cela traduit peut-être une volonté d’éviter d’avoir à trancher sur cette question délicate, dont l’enjeu est pourtant fondamental.

Cela nous amène à nous demander quelles motivations ont véritablement guidé la rédaction de cet article. L’affirmation des principes de l’islam était-elle destinée à satisfaire les chiites majoritaires, et l’intégration des principes de la démocratie à satisfaire les Américains ?

Il est à noter que si la Constitution irakienne adopte l’islam comme religion officielle de l’État et principale source de législation, elle garantit également la liberté des autres groupes religieux, tels que les chrétiens, les yézidis et les sabéens268. Ce sont les constituants kurdes qui ont imposé cette disposition afin de prouver l’ouverture et la tolérance de leur peuple et de gagner le soutien des minorités pour

264 Art. 14 de la Constitution irakienne de 2005

265 Art. 38 -1 de la Constitution irakienne de 2005

266 Art. 2-2 de la Constitution irakienne de 2005

267 Art. 17 de la Constitution irakienne de 2005

268 Art. 2-2 de la Constitution irakienne de 2005

contrer la domination arabe et musulmane. En tout état de cause, les Américains et leurs alliés, fortement présents lors de la rédaction de la Constitution et sont intervenus, selon leurs propres déclarations, pour établir la démocratie en Irak, n’auraient jamais accepté un régime islamique radical et intolérant négligeant les droits des autres minorités religieuses.

Dans le document Université Panthéon-Assas (Page 119-122)