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Un État fédéral

Dans le document Université Panthéon-Assas (Page 111-118)

Première partie : Vers un régime fédéral en Irak

1.2. Chapitre 2 : L’adoption du régime fédéral dans la Constitution permanente de 2005

1.2.2. Section 2 : Les grands changements apportés par la nouvelle Constitution irakienne de 2005

1.2.2.1. Les principes fondamentaux de la Constitution irakienne

1.2.2.1.3. Un État fédéral

Indépendante pour les Élections et la Commission d’Intégrité sont des commissions indépendantes et sous le contrôle du Parlement244, leurs fonctions seront déterminées par une loi ».

Les articles suivants continuent d’énumérer les commissions indépendantes telles que la Banque Centrale Irakienne, le Bureau de Contrôle Financier, le Comité des Médias et des Communications, ainsi que le Comité des Legs Pieux245. L’article 104 prévoit la création d’un comité rattaché au Conseil des ministres, nommé

« Fondation des Martyrs »246. D’autres commissions fédérales indépendantes sont prévues dans la Constitution : il s’agit de la commission publique visant à garantir les droits des régions et des gouvernorats non organisés en région247, de la commission publique pour contrôler et allouer les revenus fédéraux248 et d’un conseil nommé

« Conseil du Service Public Fédéral »249. La Constitution précise que la création de ces commissions, leurs fonctions et leurs compétences seront déterminées par la loi. De plus, elle laisse la possibilité de créer d’autres commissions indépendantes : « Il est possible de créer d’autres commissions indépendantes, selon le besoin et la nécessité, par la loi»250.

Toutes les dispositions semblent être là pour que l’Irak puisse devenir un État de droit et se développer comme un pays démocratique251. La question qui demeure est la suivante : les dispositions en question seront-elles vraiment appliquées ? L’héritage de trente-cinq ans de dictature et les divergences au sein même de l’appareil politique irakien ne constitueront-ils pas des obstacles trop importants?

1.2.2.1.3. Un État fédéral

244 Ceci est la traduction du texte original. Ces deux qualifications, qui peuvent sembler contradictoires, y sont formulées ainsi.

245 Art. 103 de la Constitution irakienne de 2005

246 La Fondation des Martyrs a été créée par le décret du Conseil présidentiel n° 3 du 8 janvier 2006.

Voir le site Internet http://www.alshouhadaa.com/.

247 Art. 105 de la Constitution irakienne de 2005

248 Art. 106 de la Constitution irakienne de 2005. Malgré l’importance d’une telle commission, en particulier dans la mesure où la région de Kurdistan a depuis longtemps des ressources propres, cette commission n’existe pas en Irak.

249 Art. 107 de la Constitution irakienne de 2005. Le Conseil du Service Public Fédéral fut créé par la Loi n° 4 de 2009, soit trois ans et demi après l’adoption de la Constitution irakienne de 2005, pour gérer les affaires concernant le fonctionnement public fédéral, y compris la nomination et la promotion des fonctionnaires fédéraux.

250 Art. 108 de la Constitution irakienne de 2005

251 MAKAYA, K., « La volonté de comprendre », disponible sur le site Internet http://pages.usherbrooke.ca/imakaya/Constitution_irakienne2.htm consulté le 19 septembre 2011.

Le préambule et l’article 1 de la Constitution affirment clairement que les Irakiens adoptent un système fédéral et décentralisé pour leur pays. La Constitution consacre trois de ses six chapitres au fédéralisme : les chapitres 3, 4 et 5 contiennent soixante-neuf articles (art. 47 à 115) qui définissent l’application de ce système en Irak, précisent le partage du pouvoir entre l’État central et les gouvernements régionaux décentralisés, et énumèrent les domaines d’intervention de chaque institution à l’intérieur de l’État fédéral.

1.2.2.1.3.1. La structure de l’État fédéral irakien L’article 116 de la Constitution indique la composition du système fédéral irakien :

« Le système fédéral de la République irakienne est composé d’une capitale, de régions et de gouvernorats décentralisés, et d’administrations locales. »

La Constitution précise la distribution des pouvoirs entre les différentes entités au sein de cette structure. Sans les énumérer de façon exhaustive, la Constitution confie en creux un très large spectre de compétences aux régions, puisqu’elle stipule que ces dernières ont le droit d’exercer sur leur territoire les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire en dehors des compétences exclusives des autorités fédérales252.

Certains pouvoirs sont expressément spécifiés : ainsi, la Constitution permet aux régions de se faire représenter à l’étranger : l’article 121-4 prévoit la représentation des régions au sein des ambassades et des missions diplomatiques à l’étranger dans les domaines social, culturel et du développement253. L’alinéa 5 du même article attribue aux régions la compétence exclusive du maintien de l’ordre sur leur territoire, en les autorisant à créer des forces de police, des unités de sécurité et des gardes propres (cette disposition doit notamment permettre aux Kurdes de préserver les Peshmergas et les forces de sécurité du Kurdistan). En outre, dans son article 114, la Constitution cite certaines compétences partagées entre le gouvernement

252 Art. 121 de la Constitution irakienne de 2005

253 Le bureau du KRG est en activité à Paris depuis 2003 mais sans statut officiel. Ce bureau n’a jamais été au sein de l’ambassade d’Irak à Paris. Il délivre des documents qui ont valeur de laissez-passer pour les personnes (en général des Kurdes provenant d’autres parties du Kurdistan) qui désirent se rendre en Irak via le Kurdistan et qui ne veulent pas demander de visa auprès de l’ambassade d’Irak car cela prend beaucoup de temps. Le KRG de Paris reçoit même des Irakiens arabes de Bagdad ou du Sud qui ont des difficultés administratives pour rentrer en Irak ; il est en effet plus facile de se rendre en Irak via le Kurdistan. Cette fonction n’entre pas dans les domaines social, culturel et développemental prévus à l’article 121 de la Constitution irakienne de 2005 ; elle a toujours fait partie des questions conflictuelles entre le gouvernement fédéral et le gouvernement du Kurdistan.

central et les gouvernements de régions, qui doivent être exercées en coordination, coopération et consultation entre les deux.

Par ailleurs, la Constitution délègue aux gouvernorats et aux administrations locales certains pouvoirs devant leur permettre de gérer leurs affaires administratives et financières selon le principe de la décentralisation administrative254. Mais il faut souligner la différence entre une décentralisation administrative qui se fait à la discrétion du pouvoir déléguant, et l’exercice de pouvoirs en vertu de la Constitution dans un régime fédéral. Ainsi, les gouvernorats sont liés par une délégation unilatérale de compétences déterminée par Bagdad, alors que les régions bénéficient de pouvoirs autonomes attribués par la Constitution. Nous avons donc d’un côté des pouvoirs attribués par la Constitution, de l’autre des pouvoirs délégués par le gouvernement central, ce double système ayant été créé par la Constitution.

Cependant, en mettant « (les) gouvernorats décentralisés et (les) administrations locales » au même niveau que les régions au sein du « système fédéral de la République irakienne », nous remarquons que l’article 116 manifeste une certaine confusion quant à la nature du fédéralisme. En effet, une structure fédérale comprend en général deux niveaux de gouvernement entre lesquels les pouvoirs sont partagés : le gouvernement central, et les gouvernements des entités fédérées. Avec leurs pouvoirs délégués, les gouvernorats et les administrations locales ne devraient pas s’inscrire dans la structure du système fédéral à proprement parler. L’article 115 accentue encore cette confusion en stipulant que tout ce qui n’est pas de la compétence exclusive du gouvernement central est de la compétence des régions et des gouvernorats non organisés en région. Cet amalgame est associé à une ambigüité sur la notion même de partage des pouvoirs telle qu’elle est développée dans cette Constitution, où elle est souvent confondue avec la notion de décentralisation et de délégation des pouvoirs, comme il sera vu dans le deuxième titre cette partie.

1.2.2.1.3.2. Un État fédéral avec une seule entité fédérée

254 Art. 122 de la Constitution irakienne de 2005

Avec une seule région, l’Irak est le seul régime fédéral au monde ne comportant qu’une seule entité fédérée. En cela, le fédéralisme irakien fait figure d’exception mondiale255.

Sans instaurer d’emblée d’autres régions, la Constitution prévoit cependant la possibilité d’en former de nouvelles dans l’avenir, et définit les modalités et les étapes de ce processus. Ainsi, l’article 118 stipule que la Chambre des représentants doit, dans une période de moins de six mois à compter de la date de sa première séance, élaborer une loi définissant les procédures exécutives concernant la création des régions. La Loi n°13 sera finalement votée par une majorité simple le 11 février 2008 et entrera en vigueur l’année suivante256. Concernant les quinze gouvernorats non organisés en région257, la Constitution prévoit dans son article 119 un mécanisme de formation en régions :

« Un seul ou plusieurs gouvernorats ont le droit de former une région à la suite d’une demande de référendum pouvant être faite selon l’une des deux méthodes suivantes :

1. Une requête d’un tiers des membres du conseil de chaque gouvernorat souhaitant former une région.

2. Une requête d’un dixième des suffrages dans chaque gouvernorat souhaitant former une région. »

Il est à noter que la Constitution irakienne n’a pas pris les mêmes mesures que la LAT concernant la création de nouvelles régions. En effet, la LAT prévoyait qu’un groupe de trois gouvernorats au maximum avait le droit de former une région258, alors que la Constitution donne cette possibilité à « un ou plusieurs gouvernorats », sans en préciser le nombre.

255 Lors d’un entretien à Erbil, en février 2009, avec Cherzad Al-Nadjar, conseiller du Conseil des ministres du Kurdistan d’Irak pour les Affaires des études supérieures, et professeur à la Faculté de droit de Salahaddin à Erbil, Cherzad Nadjar a déclaré que le fédéralisme adopté par l’Irak était un fédéralisme exceptionnel et unique au monde dans la mesure où il ne comprend qu’une seule région.

256 Cette loi, qui contient vingt-deux articles, définit de façon générale dans ses articles 1 et 2 les procédures exécutives concernant la création des régions. Mais le dernier article reporte l’entrée en vigueur de cette loi à dix-huit mois après son adoption. Journal officiel irakien Al-Waqai al-Iraqiya n°

40-60, 11 février 2008.

257 L’Irak est composé de dix-huit gouvernorats, dont quinze ne sont pas organisés en région. La région du Kurdistan réunit trois gouvernorats, Erbil (la capitale de la région), Sulaymanieh et Duhok. Les Kurdes réclament aussi le gouvernorat de Kirkouk et d’autres territoires annexes comme Akra, Shikhan, Sendjar, Telkif, Qaraqouche, Zemar, Ba’achqa, Eski, Khânaqin et Mandeli (Art. 2 du projet de Constitution du Kurdistan de 2009).

258 Art. 53-C de la LAT.

Malgré l’existence de ces dispositions, au jour où nous écrivons, aucune région en dehors du Kurdistan n’a été créée en Irak. Les chiites n’ont pas été motivés pour former une nouvelle région car, étant majoritaires, ils contrôlent de fait le centre du pays directement de Bagdad. Les Sunnites n’ont pas non plus souhaité la création d’une nouvelle région car, d’une part, les régions où ils sont majoritaires sont pauvres en ressources naturelles, en particulier en pétrole, et d’autre part, ils espèrent reprendre le contrôle du gouvernement central.

La carte ci-dessous présente les dix-huit gouvernorats de l’Irak :

Source Internet : www.quid.fr/monde

Si la possibilité pour les gouvernorats de se constituer en régions est bien inscrite dans la Constitution, dans la pratique elle est entravée par des interférences politiques et des conflits de pouvoirs. Le 27 octobre 2011, le préfet de Mossoul déclare que Mossoul est une région fédérée, et ce dans un contexte de pénurie de services

publics et dans un climat d'arrestations massives par le gouvernement central. Cette déclaration est basée sur une décision prise à l’unanimité lors de la réunion du Conseil de gouvernorat. D’après le Conseil du gouvernorat de Mossoul, cette décision est conforme à l’article 119 de la Constitution et relève donc d’un droit garanti par cette dernière. Mais le Premier ministre Nouri Al-Maliki s’y oppose pour la raison qu’en accordant ce statut à Mossoul, on risque de faire de ce dernier un nouvel abri pour les Baassistes et un refuge pour les terroristes, en particulier pour le réseau d’Al-Qaida.

De plus, ce changement de statut augmenterait les dépenses de l’État car il faudrait un budget spécial pour la nouvelle région alors même que l’État a déjà des difficultés d’ordre budgétaire avec la région de Kurdistan. De son côté, le gouvernorat d’Al-Anbar (à majorité arabe sunnite) menace également de se proclamer région fédérée si le gouvernement central ne change pas sa politique à son égard. Les deux gouvernorats en question, Mossoul et Al-Anbar, accusent le gouvernement central d’avoir privé les gouvernorats sunnites de services publics et de procéder sans raison à l’arrestation de nombreux citoyens sunnites259.

À la lumière de ces observations, plusieurs questions s’imposent. D’autres gouvernorats en dehors de ceux du Kurdistan sont-ils susceptibles de s’unir pour constituer des régions – ce qui desservirait les autorités de Bagdad. Les sunnites, pour leur part, vont-ils continuer à lutter pour reprendre le pouvoir ? Ou vont-ils y renoncer afin de se constituer un système politique régional autonome, et accepter de se concentrer sur une seule région et de déléguer leurs intérêts collectifs ? Quant aux chiites qui contrôlent le pouvoir central, pencheront-ils pour des structures régionales qui leur offriront de fait un contrôle absolu sur la plus grande partie du territoire dans la mesure où ils sont très largement majoritaires260?

Toutes ces questions restent aujourd’hui sans réponse. La seule réalité qui existe en Irak est que, malgré les obstacles, le fédéralisme édicté par la Constitution s’applique au Kurdistan, et qu’avec la volonté politique des leaders irakiens, ce système pourrait s’étendre à l’ensemble du pays. Mais à l’heure actuelle, le fédéralisme irakien n’existe sur le plan politique que dans les relations entre le gouvernement central et le Gouvernement Régional du Kurdistan. Sur le plan

259 Les informations mentionnées ci-dessus ont été diffusées sur les grandes chaînes de télévisions arabes, Al-Jazeera et Al-Arabiya, les 27 et 29 octobre 2011.

260 POUPART, A., op. cit. pp. 121-122.

géographique, n’est soumis à un régime fédéral que le territoire du Kurdistan ; le reste du pays vit sous un régime unitaire centralisé.

Dans le document Université Panthéon-Assas (Page 111-118)