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Le Premier ministre et le Conseil des ministres

Dans le document Université Panthéon-Assas (Page 148-153)

Première partie : Vers un régime fédéral en Irak

2.1. Chapitre 1 : Les structures de l’État

2.1.2. Section 2 : Le pouvoir exécutif

2.1.2.2. Le Premier ministre et le Conseil des ministres

La nouvelle Constitution apporte des changements importants par rapport à la LAT concernant la nomination du Premier ministre et de son cabinet. Selon la LAT, le ______________________

meilleur équilibre entre les principaux groupes ethniques, et l’incarnation de l’exécutif par un président de la République, gageant d’un exercice plus fluide du pouvoir.

354 Nous avons vu que l’obligation d’agir à l’unanimité limitait encore davantage l’exercice des pouvoirs du Conseil de la présidence, qui étaient déjà de nature assez limités sous la LAT.

355 Art. 69-2 de la Constitution irakienne de 2005

356 Art. 75-2 de la Constitution irakienne de 2005

357 Art. 75-3 de la Constitution irakienne de 2005

358 À l’heure de la rédaction de cette thèse, Tareq Al-Hachemi, s’il est toujours officiellement vice-président, n’est plus en fonction. En effet, un mandat d’arrêt international a été signé contre lui pour actes terroristes, à la suite des déclarations du Premier ministre Nouri Al-Maliki l’accusant d’être à l’origine de plusieurs actes perpétrés par des escadrons de la mort visant des hauts responsables irakiens entre 2006 et 2008. Il est à noter que cette accusation a pu être en partie motivée par le souhait de Nouri Al-Maliki d’écarter définitivement les sunnites du pouvoir, souhait dont témoigne la politique qu’il mène depuis 2009, quand il réussit à interdire à plus de 500 candidats sunnites de se présenter aux élections législatives sous le prétexte de leur appartenance ou de leur implication passée avec le parti Baas. (PINATEL, J.-B., « Où va l’Irak ? », disponible sur : http://www.geopolitique-geostrategie.fr/irak, consulté le 17 avril 2012). Tareq Al-Hachemi s’est successivement réfugié au Kurdistan d’Irak, au Qatar, en Arabie Saoudite et en Turquie, pays dont les autorités ont toutes refusé son extradition vers Bagdad. De son côté, Tareq Al-Hachemi, ne faisant pas confiance à l’indépendance et à l’impartialité de la justice irakienne, a demandé à être jugé devant les tribunaux du Kurdistan ou ceux de Kirkouk, demande refusée par Bagdad. En septembre, octobre et décembre 2012, des jugements par contumace eurent lieu à Bagdad pour cinq des affaires impliquant Tareq Al-Hachemi, et ce dernier fit l’objet de cinq condamnations à la mort par pendaison.

Premier ministre et les ministres étaient nommés par le Conseil de la présidence à l’unanimité, et si le Conseil de la présidence ne parvenait pas à un consensus concernant la nomination du Premier ministre, ce serait alors l’Assemblée nationale qui assurerait cette nomination à la majorité des deux-tiers de ses membres359. Selon la nouvelle Constitution, c’est dorénavant le président de la République seul360 qui désigne, dans les quinze jours suivant son élection, le « candidat du bloc parlementaire la plus nombreux » pour former le gouvernement361. Ce dernier procède à la nomination des membres de son gouvernement dans un délai qui ne doit pas dépasser trente jours à compter de la date de sa désignation362.

La Constitution prévoit que le Premier ministre doit ensuite présenter les membres de son gouvernement et son programme ministériel à la Chambre des représentants pour obtenir sa confiance. La Chambre accorde sa confiance à la majorité absolue de ses membres, à chacun des ministres individuellement et au programme gouvernemental dans son ensemble363. Dans le cas où le Premier ministre ne peut former son gouvernement dans les trente jours suivant sa désignation, le président de la République charge un nouveau candidat de former un nouveau gouvernement dans les quinze jours suivants364.

Le Premier ministre et les ministres assument leur responsabilité devant la Chambre des représentants à titre collectif et individuel365. Peut-être est-ce pour cette raison que la Constitution irakienne a précisé que c’est le Conseil des ministres, et non le ministre des Finances, qui dépose le projet de budget général et les comptes de l’État pour approbation par la Chambre des représentants366.

Selon les pouvoirs qui lui sont attribués par la Constitution, le Premier ministre est le responsable exécutif direct de la politique générale de l’État et le commandant

359 Art. 38-a de la LAT.

360 S’il est vrai que le texte de la nouvelle Constitution a donné ce pouvoir au président de la République sans imposer la règle de l’unanimité, il convient toutefois de rappeler que, sans un consensus entre les groupes parlementaires, le candidat désigné ne pourra pas former son gouvernement.

361 Art. 76-1 de la Constitution irakienne de 2005

362 Art. 76-2 de la Constitution irakienne de 2005

363 Art. 76-1 de la Constitution irakienne de 2005

364 Art. 76-3 de la Constitution irakienne de 2005

365 Art. 83 de la Constitution irakienne de 2005

366 Art. 62-1 de la Constitution irakienne de 2005

en chef des forces armées367. Il dirige le Conseil des ministres, préside ses réunions, et a le droit de démettre les ministres de leurs fonctions avec l’accord de la Chambre des représentants368. Par ailleurs, la Constitution irakienne prévoit que les services de renseignement dépendent du Conseil des ministres369, mais en réalité c’est le Premier ministre qui les contrôle et non le Conseil des ministres, sous le prétexte que c’est lui qui dirige ce Conseil.

L’article 80 de la Constitution énumère également les pouvoirs du Conseil des ministres:

- Concevoir et exécuter la politique générale de l’État, superviser le travail des ministères et des agences gouvernementales non liées à un ministère ;

- Proposer les projets de lois ;

- Promulguer des règlements, directives et décisions pour mettre en œuvre les lois ;

- Préparer le projet de budget général, les comptes finaux et les plans de développement ;

- Recommander à la Chambre des représentants, pour approbation, la nomination des sous-secrétaires d’État, des ambassadeurs, des hauts fonctionnaires de l’État, du chef d’État-major et de ses adjoints, des officiers ayant un grade de chef de légion ou supérieur370, du chef des services de renseignement national et des chefs des services de sécurité371 ;

- Négocier et signer les traités et accords internationaux.

Si nous comparons ces dispositions à la LAT, nous observons que les pouvoirs

367 Nouri Al-Maliki a créé un bureau nommé « Bureau de commandement en chef des forces armées », qui recueille 80 milliards de dinars irakiens du budget général de l’État. Selon Hemin Hawrami, Directeur du Bureau des relations internationales du PDK, le but de la création de ce bureau n’étant pas claire, cela laisse penser que Nouri Al-Maliki dépense l’agent public pour consacrer son autorité.

Entretien avec Hemin Hawrami, Directeur du Bureau des relations internationales du PDK, le 27 mars 2012 à Paris.

368 Art. 78 de la Constitution irakienne de 2005

369 Art. 84-2 de la Constitution irakienne de 2005

370 En Irak, il y a douze légions militaires dont dix sont dirigées par des généraux arabes chiites, une par un arabe sunnite, et une par un Kurde, ce qui montre la volonté du Premier ministre Nouri Al-Maliki de dominer le domaine militaire. Entretien avec Hemin Hawrami, Directeur du Bureau des relations internationales du PDK, le 27 mars 2012 à Paris.

371 La Chambre des représentants devant approuver les candidats proposés par le Conseil des ministres, Nouri Al-Maliki a contourné cette contrainte en confiant toutes ces fonctions par intérim aux candidats qu’il souhaitait voir nommés, afin de placer des candidats de sa confession et de son groupe politique.

du Conseil des ministres n’ont pas substantiellement changé dans la nouvelle Constitution, tandis que les pouvoirs du Premier ministre372 y sont plus importants373. En attribuant au Premier ministre la responsabilité exécutive directe de la politique générale de l’État, la Constitution permet à ce dernier d’intervenir dans tous les domaines. De plus, il dirige le Conseil des ministres et a le droit de démettre les ministres de leurs fonctions. Si cette prérogative ne peut être exercée qu’avec l’accord de la Chambre des représentants, elle reste une forme de menace pour les ministres qui ne sont pas du même groupe que le Premier ministre, ce qui, parfois, peut paralyser le fonctionnement d’un ministère374.

Il est à noter que la règle de prise de décisions par le Conseil des ministres à la majorité simple de ses membres présents375, telle qu’elle était imposée par la LAT, ne figure pas parmi les articles de la nouvelle Constitution. Le législateur irakien a voulu que les règles de cette nature soient fixées par le règlement intérieur du Conseil des ministres, préconisé par la Constitution pour assurer le bon fonctionnement de ce Conseil376. À ce jour, cette préconisation n’a toujours pas été prise en compte, et le gouvernement irakien fonctionne sans règlement intérieur377. Ce manquement a été signalé à plusieurs reprises, en particulier par l’opposition actuelle378 qui accuse Nouri Al-Maliki d’empêcher l’établissement d’un règlement intérieur dans le but de

372 À titre d’information, Nouri Al-Maliki, Premier ministre depuis l’adoption de la nouvelle Constitution, faisait partie du comité de rédaction de cette dernière.

373 Au moment de la rédaction de la LAT, les Irakiens venaient de se débarrasser d’un dictateur qui détenait d’une main de fer tous les pouvoirs. C’est vraisemblablement l’une des raisons pour lesquelles les rédacteurs de la LAT ont souhaité ne pas attribuer des pouvoirs importants au Premier ministre seul. C’est pourquoi nous trouvons dans la LAT que la plupart des pouvoirs sont confiés au Conseil des ministres qui prend ses décisions à la majorité simple de ses membres.

374 Nouri Al-Maliki a fait largement usage de ce pouvoir pour écarter des ministres n’appartenant pas à son camp, surtout sunnites. En conséquence de cette politique, l’Irak traverse une période très délicate, où la plupart des hauts fonctionnaires, surtout sunnites, font l’objet d’accusations de corruption ou de terrorisme montées, parfois sans justification, par Al-Maliki. Ces dossiers sont des cartes que ce dernier pourra utiliser pour faire pression en cas de désaccord avec un ministre ou un responsable qui n’est pas de son groupe.

375 Art. 42 de la LAT.

376 Art. 85 de la Constitution irakienne de 2005

377 Recherches effectuées sur le site officiel du Conseil des ministres irakien www.cabinet.iq, Disponible en arabe et en anglais. Consulté le 10 avril 2012.

378 Les dirigeants de la liste Al-Iraqiya, qui a obtenu 91 sièges à la Chambre des représentants, ne sont pas satisfaits de la façon dont le Premier ministre dirige son gouvernement. Saleh Al-Moutlag, un des leaders de cette liste, également vice-Premier ministre au sein du gouvernement, a annoncé que le processus politique en Irak allait vers la création d’un nouveau régime de dictature. Il a même déclaré :

« Al-Maliki est le plus grand dictateur que l’Irak ait connu de toute son histoire ». Information diffusée le 16 décembre 2011 sur plusieurs chaines de télévision arabes, dont Al-Jazeera et Al-Arabia.

Après cette déclaration, une demande fut formulée par le Conseil des ministres et adressée à la Chambre des représentants pour voter une motion de censure contre le vice-Premier ministre, Saleh Al-Moutlag.

conserver un maximum de prérogatives et d’éviter que les députés ne l’interrogent sur le fonctionnement du Conseil des ministres.

Le Premier ministre actuel, Nouri Al-Maliki, suit une politique autocratique tendant à concentrer tous les pouvoirs dans ses mains, en violation de la Constitution et du principe de consensus en Irak. Cette politique est motivée par un communautarisme ethno-religieux visant à écarter du pouvoir les communautés non chiites. Ainsi, depuis la formation du dernier Conseil des ministres à la suite de l’accord d’Erbil379, plusieurs postes de haute importance prévus par cet accord n’ont pas encore été créés ou pourvus, ou sont occupés par intérim par Nouri Al-Maliki380. Pour les mêmes raisons autocratiques et communautaristes, le Conseil national des politiques stratégiques, qui devait être créé et présidé par le chef de la liste Al-Iraqiya Iyad Allawi, n’a pas encore vu le jour381. Pour illustrer encore cette politique autoritaire, nous pouvons mentionner la tentative de Nouri Al-Maliki, en avril 2012, de faire dépendre du gouvernement la Banque centrale382, alors que cette dernière est l’un des établissements administrativement et financièrement indépendants en Irak, et qu’elle n’est responsable que devant la Chambre des représentants383. Cela n’a pas été accepté par toutes les forces politiques en Irak et a été interprété comme une volonté d’Al-Maliki de contrôler seul l’ensemble du pays384. Les pratiques de Nouri Al-Maliki depuis son arrivée au pouvoir sont largement critiquées par l’opposition et par la

379 L’accord d’Erbil fut conclu en 2010 à l’initiative de Massoud Barzani, le président de la Région du Kurdistan d’Irak.

380 L’accord d’Erbil prévoyait que les ministères de la Défense et de l’intérieur seraient attribués à un sunnite et à un Kurde, mais après la formation de son cabinet, Nouri Al-Maliki refusa, pour des raisons non justifiées, les candidats proposés à ces deux postes, et c’est Nouri Al-Maliki qui occupe ces fonctions par intérim. Cette situation, et la volonté de Nouri Al-Maliki de contrôler toutes fonctions importantes, ont gelé la vie politique irakienne depuis l’arrivée de ce dernier au pouvoir.

381 La création d’un Conseil national des politiques stratégiques présidé par le chef de la liste Al-Iraqiya avait été proposée dans le cadre de l’accord d’Erbil, afin de satisfaire cette liste qui était arrivée en tête des élections législatives de 2010 et avait pourtant été privée du poste de Premier ministre.

382 Information entendue sur la chaine arabe d’information Al-Soomaria le 16 avril 2012.

383 Art. 103-1 et 103-2 de la Constitution irakienne de 2005

384 Dans un communiqué de presse en date du 16 avril 2012, la liste Al-Iraqiya, accuse Nouri Al-Maliki de « tentative de mainmise » sur la Banque centrale pour couvrir l’abus de l’argent public et soutenir l’économie de deux pays voisins sous embargo : la Syrie et l’Iran. (En Syrie, une grande majorité de la communauté internationale, y compris la Ligue Arabe, a mis en œuvre des sanctions économiques à l’encontre Bachar Al-Assad et de son gouvernement, qui répriment dans la violence les révoltes du peuple depuis le 15 mars 2011. En Iran, la pression internationale contre le gouvernement s’est accentuée en réponse au programme iranien d’énergie nucléaire, en particulier avec une série de sanctions mises en œuvre par les États-Unis et l’Union Européenne.

plupart des forces politiques irakiennes385, parfois même par des membres de son propre camp.

Nous constatons donc qu’au-delà de l’élargissement, par rapport à la LAT, des pouvoirs constitutionnels du Premier ministre, ce sont les pratiques de ce dernier qui ont changé depuis l’adoption de la nouvelle Constitution. Sa domination sur le Conseil des ministres, à laquelle l’absence de règlement intérieur du Conseil a laissé libre cours, a été encore influencée par le départ des Américains386, qui avaient un semi-veto sur les décisions de Conseil, de telle sorte qu’à ce jour, le Premier ministre n’attend plus l’accord du Conseil des ministres pour certaines actions, et les règles de consensus et de solidarité ministérielle sont en train de disparaitre de la vie politique irakienne.

Dans le document Université Panthéon-Assas (Page 148-153)