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Un choix par défaut sans réelle volonté du peuple

Dans le document Université Panthéon-Assas (Page 101-104)

Première partie : Vers un régime fédéral en Irak

1.2. Chapitre 2 : L’adoption du régime fédéral dans la Constitution permanente de 2005

1.2.1. Section 1 : Le contexte de l’adoption du régime fédéral en Irak

1.2.1.3. Les obstacles à un système fédéral pour l’Irak

1.2.1.3.2. Un choix par défaut sans réelle volonté du peuple

Avant d’être une unification d’États, la fédération est une unification du peuple dans sa diversité : « La fédération est une union politique qui touche directement ses citoyens»216. Il est donc nécessaire que le passage au système fédéral soit motivé par

214 À cause de la division de la société irakienne, la formation du gouvernement irakien après les élections de 2010 a pris sept mois. Les élections ont eu lieu en mars et le gouvernement a finalement pris ses fonctions en septembre après de longues négociations marquées par une forte rivalité entre les chefs des différentes entités ethniques et confessionnelles irakiennes.

215 AMIN, L., op. cit. p. 104.

216 BEAUD, O., La théorie de la fédération, Presses Universitaires de France, 2ème éd, 2007, p. 270.

une vraie volonté, non seulement de la part des leaders politiques, mais également de la part du peuple même.

Dans le cas de l’Irak, nous pensons, pour des raisons que nous allons examiner, qu’il n’existe pas, au sein des différents groupes ethniques et religieux, une volonté forte d’adopter le fédéralisme.

Les trois principales composantes de la société irakienne, qui sont largement représentées dans la vie politique du pays, n’abordent pas le projet de Constitution avec la même opinion concernant le système fédéral. La position des Arabes chiites, qui constituent environ 60% de la population, se divise en trois groupes: une partie des chiites refuse toute intégration avec les autres nations et confessions en Irak, en particulier avec les Arabes sunnites, en raison de toutes les persécutions, discriminations et génocides qu’ils ont subis sous les régimes précédents (Empire ottoman, mandat britannique, monarchie et république). Ils rejettent donc toute forme d’unification, même s’il s’agit d’entrer librement dans une fédération. Ils craignent qu’un jour ce fédéralisme, avec le soutien des Arabes, ne soit dominé par les sunnites et que la fédération ne redevienne un État unitaire, ce qui probablement présagerait le retour à la dictature.

Un deuxième groupe de chiites refuse le système fédéral car ils souhaitent un État unitaire, centralisé, basé sur le principe de la démocratie. Leur idée est que la démocratie, devant permettre à la majorité d’accéder au pouvoir, leur serait donc, de fait, favorable.

Un troisième groupe de chiites se range, par compromis, du côté du système fédéral : en réalité, ce groupe veut se séparer de l’Irak et créer un État islamique arabe chiite à l’image de l’Iran. Ils habitent dans une zone du Sud du pays particulièrement riche en pétrole et ressources agricoles, principalement dans les gouvernorats de Bassora, et Maysan. Ils rejettent le système unitaire car ils estiment que c’est le reste de l’Irak qui bénéficierait de la richesse de leurs propres territoires. Une indépendance totale ne leur apparaît cependant pas réalisable, pour plusieurs raisons, notamment l’opposition des pays voisins qui craignent que cela n’encourage des velléités d’indépendance au sein de leurs propres communautés chiites, le manque de soutien de la part de la communauté internationale, en particulier des Américains et des grandes puissances occidentales, le manque de préparation à la mise en place d’un nouvel État

ex-nihilo, et surtout le manque de cohésion au sein même de la communauté chiite irakienne quant à ce souhait d’indépendance. À défaut, ce groupe s’est résigné à accepter un Irak fédéral, considérant que ce système leur permettrait une autonomie assez large pour se réserver le bénéfice d’une partie de leurs richesses et reconstruire leur région détruite sous le régime baassiste.

Les Arabes sunnites sont opposés au système fédéral pour l’Irak : d’une part, ils considèrent qu’un tel système constituerait le premier pas vers la division de l’Irak, qu’ils rejettent car les régions qu’ils occupent étant les plus pauvres en ressources naturelles, notamment pétrolières, ils ne peuvent se permettre de se retrouver isolés sur le plan économique ; d’autre part, au niveau politique, le régime démocratique que le fédéralisme impliquerait dépossèderait les sunnites du pouvoir en Irak car ils ne représentent qu’une faible minorité217.

Les Kurdes, eux, à défaut d’être pour l’indépendance, sont en faveur d’un système fédéral attribuant au Kurdistan de larges compétences, et c’est à leur initiative que ce système est adopté par les constituants en 2005. L’idée du fédéralisme chez les Kurdes remonte à 1992, lorsque, dans un paysage politique ébranlé par la deuxième guerre du Golfe, ils proclamèrent unilatéralement pour l’Irak un État fédéral doté d’un régime démocratique parlementaire pluripartite dont le Kurdistan serait une région jouissant d’une large autonomie. Il s’agissait pour eux d’un choix par défaut, et c’est véritablement l’indépendance à laquelle ils aspirent depuis l’éclatement de l’Empire ottoman à la fin de la Première guerre mondiale. Après l’annexion officielle à l’Irak des territoires kurdes, qui fut déclarée par la Société des Nations malgré l’existence du Traité de Sèvres promettant un éventuel État kurde, les Kurdes ont subi de persécutions de la part des régimes irakiens successifs, en particulier de la part du régime baassiste depuis 1968. Cette lourde histoire n’a fait qu’amplifier leur désir d’indépendance, mais le contexte politique et économique depuis la deuxième guerre du Golfe les a rangés du côté d’un système fédéral, qui apparaît aux leaders politiques kurdes comme une alternative satisfaisante et plus réaliste, même si le peuple kurde continue de rêver à l’indépendance218.

217 AMIN, L., pp. 117-118.

218 Lors d’un référendum non officiel organisé parallèlement aux élections générales de l’Irak du 30 janvier 2005, le peuple kurde s’est exprimé à 98% en faveur de l’indépendance du Kurdistan d’Irak.

Nous voyons que le fédéralisme est non seulement accompagné d’un soutien très inégal de la part des différentes communautés, mais que celles d’entre elles qui sont en faveur de ce système ne le sont que par compromis, à défaut d’une indépendance complète. Comme tout système fondé sur des bases hétérogènes et ne bénéficiant pas d’un soutien solide de la part du peuple, nous pensons qu’il pourrait être, à terme, exposé à un risque d’éclatement.

Dans le document Université Panthéon-Assas (Page 101-104)