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FOYERS INDIGENES AU XVI E SIECLE

1.4.2. LES JURÍES

Nous avons pu voir jusqu’à présent l’aspect chaqueño des Tonocotés, des Lules et des peuplades de pilleurs, les Sanavirones semblent ne pas appartenir à cette catégorie, quant aux Juríes, ils se rattachent plutôt aux cultures andines.

Nous avions qualifié cette civilisation de primitive dans notre M.M.. En fait, tout porte à croire qu’il s’agissait du groupe le plus évolué à l’époque de la Conquête.

Il ne s’agit sans doute pas d’une civilisation aussi importante qu’ont pu la rêver les frères WAGNER, mais on verra dans ce chapitre qu’elle mérite cet aparté.

Cet ethnonyme est sans doute à l’origine un surnom donné par les Espagnols ou par les Diaguitas dérivé du Qh suri*1, qui signifie autruche.

D’une part, à cause des plumes de cet animal dont se paraient les indigènes, et d’autre part, à cause de la taille démesurée de leurs jambes, façonnées sans doute par des siècles de

correrías dans la Mésopotamie santiagueña.

Cet animal, ñandú en guaraní, était même domestiqué et les hommes portaient une sorte de rideau de plumes de ñandú assujetti à la ceinture, si l’on se souvient de l’importance en céramique de la divinité anthropo-ornithomorphe, on peut vraiment parler de civilisation de l’autruche.

Sédentaires, selon CHRISTENSEN, nomades, selon DI LULLO, ou sédentarisés depuis peu, peut-être par un apport de culture supérieure de Yuguitas, Diaguitas et

Capayanes des Andes, et, sans aucun doute, par l’installation d’une colonie inca au bord du Dulce, bien antérieure à la Conquête.

Ils avaient pour habitat tout le complexe hydrographique du haut Dulce, depuis les sommets de L’Aconquija jusqu’aux rives du Salado, en incluant bien entendu le Dulce lui même qui constituait le coeur de leur région.

Vers le sud ils s’étendaient jusqu’à SALAVINA*1, en incluant l’énigmatique

SOCONCHO dont nous reparlerons plus avant.

Il s’agissait donc d’une terre d’une exceptionnelle richesse hydrographique, avec pour épicentre les thermes de RÍO HONDO, à cheval sur les deux provinces actuelles de

Tucumán et de Santiago, et dont les sources miraculeuses étaient connues des Incas selon

Maximina GOROSTIAGA.

L’eau a son importance pour cette civilisation, en effet, les travaux hydrographiques y étaient très développés.

Les Juríes creusaient des HOYAS dans le sable de la plaine alluvionnaire qui servaient tout à la fois de bassins de dégagement pour les crues, de pêcheries et enfin de plantations de maïs en saison sèche.Voilà bien la marque d’une civilisation supérieure qui maîtrisait les rigueurs du climat.

Mais il ne s’agit pas du seul indice, les femmes selon les chroniqueurs portaient de longues tuniques avec un noeud à l’épaule tout comme en Egypte, l’habitat était constitué de petites agglomérations avec une voirie et, elles avaient toutes entre elles des relations de parenté, ce qui n’est pas sans rappeler le système des AYLLUS*2.

Ces agglomérations étaient entourées de palissades pour repousser les hordes de Lules et autres Abipones, et surtout, pour protéger les cultures, et en particulier le coton, qui constituait avec le sel, la principale richesse de cette Mésopotamie entre Tucumán et

Santiago.

En ce qui concerne la culture de la fibre en question, on verra que celle-ci a son importance pour l’identification du Royaume de Tucma.

Mais les ressemblances avec des cultures supérieures et en particulier avec les Incas ne s’arrêtent pas là, ils avaient en effet des hechiceros qui servaient d’oracles et auxquels on dédiait de nombreuses vierges, comment ne pas penser aux vierges du Soleil à Cuzco ?

Ils élevaient des troupeaux de vigognes et de lamas, et pratiquaient sans doute depuis des temps très reculés l’idiome des Incas*3, comment ne pas penser cette fois ci à un « comptoir » inca au bord du Dulce ?

1 SALAVINA < SARA WINAC (Qh) : sara ‘ maïs’ et wiñac ‘ haut’, littéralement ‘ maïs arrivée à maturité’, ou

‘ terre propice à la croissance du maïs’. Entrée du territoire des SANAVIRONES.

2 AYLLUS : cellule de base de la société collectiviste inca, basée sur la parenté entre groupes différents, avec

des portées économiques et religieuses.

Les travaux de CHRISTENSEN , de SERRANO et de DI LULLO, avaient déjà attiré notre attention, car ils concordaient tous sur l’existence d’une grande civilisation sur les rives du Dulce, celle rêvée par les frères WAGNER, avec sa merveilleuse céramique, un peu moins universelle et un peu plus andine, tête de pont entre le monde inca et la barbarie chaqueña.

Ils utilisaient des flèches empoisonnées, ce qui n’a rien d’extraordinaire en soi, mais ils en connaissaient aussi l’antidote, ils consommaient de nombreuses espèces d’oiseaux des

bañados et le miel sylvestre, mais revenons au premier point, car il revêt là encore son

importance.

Nous avons décrit en supra la progression de Rojas jusqu’au mythique Royaume de

Tucma, on sait que les indigènes du cacique Canamico usèrent eux aussi contre les

Espagnols de flèches empoisonnées, qui n’étaient pas connues de ceux de Tafí. Comment ne pas penser que Capayán, où se déroula la bataille, est bien ce toponyme du sud-est de

CATAMARCA, à quelques encablures de SOCONCHO, sur les rives du Dulce, et que les Juríes y venaient en avant- garde pour protéger ce qui était sans doute la capitale du

Royaume de Tucma*1 ?

Autant d’indices qui laissent supposer que les Juríes étaient un groupe indigène évolué, sans doute métissé de Diaguitas des Andes et de Quichuas, voire d’Aimarás, pratiquant le tonocoté, le kakán et le quichua avant la Conquête.

Nous approfondirons la question en abordant les chapitres consacrés au Royaume de

Tucma, à sa capitale, SOCONCHO, et à l’énigmatique langue kakán, dont le tonocoté des Juríes pourrait bien être une variante méridionale.

1 Cf. CARTE N°4, page 31.

Il suffira enfin, pour se convaincre un peu plus de leur appartenance aux groupes andins, et de leur connaissance précolombienne du quichua, de signaler que les hechiceros avaient pour maître le Dieu KAKÁNCHIC, terme que l’on peut décomposer de la façon suivante, Kaká : langue Kakán des Diaguitas des Andes et suffixe Qh de possessif de première personne du pluriel : -nchic, littéralement « notre Dieu Kakán ».

Ce qui démontre d’une part, leurs liens avec les Diaguitas et, d’autre part, la connaissance de la suffixation Qh ; ce culte était encore pratiqué, selon les missionnaires, sur les rives du Salado, à la fin du XVIè siècle.

Il y avait donc bien une emprise de la culture andine qui explique cette survivance culturelle d’un demi-siècle et surtout, celle du Qh à Santiago.