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FOYERS INDIGENES AU XVI E SIECLE

2.4.1 PROPOS LIMINAIRES

2.4.4 LES EMPLOIS VERBAU

2.4.4.1 LE GERONDIF A VALEUR CAUSALE

Cet emploi est surtout connu de pays de substrat quichua, le N.O.A. et l’Equateur selon KANY*1 , il fut qualifié de « locución quichua » par LAFONE QUEVEDO *2, et il résulte en effet d’un calque syntaxique sur une structure identique et naturelle en quichua. Il s’agit de donner comme prédicat au gérondif (d’un verbe d’action en général), le pronom interrogatif qué avec une valeur causale, ce qui est tout à fait étranger à l’espagnol péninsulaire.

Voici quelques exemples, avec leur traduction en quichua, qui révèlent le parallèle syntaxique entre les deux langues et l’exacte concordance entre ima/ta et qué d’une part, et entre les deux suffixes de gérondif d’autre part : -s et -iendo (ando) :

¿ Qué dic/iendo has traído ese caballo ?

1 2

Imata ni/s cha caballuta apamunqui ?

1 2

¿ Qué hac/iendo has caído ?

1 2

Imata rua/s urmanki ?

1 2

Nous pouvons citer aussi les exemples suivants qui témoignent de la grande récurrence de cet emploi synthétique, en ce sens qu’il évite une question trop longue :¿ qué

diciendo ? = ¿ por haber dicho qué; ¿qué haciendo : ¿ por haber hecho qué?, etc.

¿ Qué haciendo has venido tan temprano? ¿ Qué diciendo vas a salir tan elegante? ¿ Qué pensando has ido a verla?*3

Inutile je crois d’ergoter sur la tendance hispano-centriste de ceux qui n’acceptent cette influence indigène qu’à demi-mot, comme KANY, ou de ceux qui la rejettent*1, elle est tellement évidente que leur entêtement ne les honore pas*2.

1 Sintaxis, page 285

2 Cité par KANY, ibid, page 285

2.4.4.2. AUTRES CALQUES SUR LE GERONDIF QUICHUA

Il n’est pas rare d’entendre à Santiago des syntagmes verbaux intégrant un semi- auxiliaire : ir, andar, venir et un gérondif, dans des emplois complètement étrangers à l’espagnol péninsulaire, dans leurs formes et leurs signifiés.

En effet, s’il est commun d’employer ces semi-auxiliaires avec un gérondif, pour dire la progressivité en espagnol standard, nous allons voir que dans le N.O.A, et particulièrement à Santiago, certains emplois semblent agrammaticaux et ne se limitent pas aux habituels semi- auxiliaires, c’est le cas pour volver ,decir et surtout querer qui fera l’objet de la dernière analyse.

Nous avons soutenu jusqu’à aujourd’hui que ces différents emplois résultaient de calques syntaxiques sur des structures identiques en quichua où l’aspect d’actualité est très développé.

En effet, en quichua de Santiago, il existe un paradigme de conjugaison indépendant qui dit l’actualité3. Dans ce dernier, on retrouve tous les temps de l’indicatif à la forme progressive. De plus, il convient de noter que d’un point de vue morphologique, en quechua du Cuzco*4, nous arrivons à cette surprenante équivalence:CAY,‘SER’>CA/SA*5/Y, ‘ESTAR SIENDO,ESTAR’, comme s’il existait une confusion entre présent simple et

duratif ou cursif,selon POTTIER.

On voit bien ici que c’est la conception même du présent qui diffère complètement de celle de l’espagnol. Le présent est ressenti en quichua dans sa dimension cursive,progressive et non plus seulement comme « élément non marqué », base de toutes les *6oppositions temporelles.

1 Cf M.M pages 88-89.

2 KIRTCHUK Pablo, correspondance du 2/05/96, admet sans aucun problème l’influence Qh, il va même plus

loin, il considère que le castillan est dans cette syntaxie gérondive à valeur causale, complètement « dénaturé ». Ce qui donne à entendre de la perfection de ce calque syntaxique, qui peut outrepasser les limites de la langue, en créant des syntaxies nouvelles. Nous pensons, nous aussi, que ce calque est le plus remarquable, parmi tous ceux étudiés...

3Selon DEL PONT Marco Henrique, cet aspect est traduit par le suffixe duratif : -sha - ska - chka (selon J.

ALDERETES), d’ailleurs, le présent s’utilise presque exclusivement avec le duratif, voici ce qu’il en dit : « En

Quichua, el presente se usa casi solamente en su forma durativa » Cf Bib n° 6, page 33.

4 MERCADO Agustín, Sobre estructura lingüística quechua, Sucre, Universidad de San Francisco XAVIER,

1954, page 25.

5Suffixe de gérondif = -sa, à Cuzco. A Santiago = -spa, apocopé en -s 6 DARBORD Bernard, cf Bib n° 1, page 146

L’aspect d’actualité, cursif, s’étend ainsi à d’autres verbes que les semi-auxiliaires habituels, tant en quichua de Santiago qu’en castilla, ce sont des traductions inconscientes de ces emplois familiers en quichua que nous retrouvons dans le parler actuel du N.O.A.

Voici à présent ces différents emplois, que nous avons enrichis depuis le dernier mémoire, et que nous avons classés en fonction de leur signification.

L’emploi le plus commun est celui du gérondif de ir avec un impératif à la première personne suivi d’un pronom enclitique : Vete yendo, Andate yendo, Ite yendo : ri/spa/ri : calque syntaxique sur –ri : ‘ir haciendo lo que dice la raíz .’ Ces combinaisons sont impossibles en espagnol standard, où elles n’auraient d’ailleurs aucun sens, en effet, comment concilier l’aspect inaccompli de l’impératif et l’aspect en accomplissement du gérondif ?Ces formes ne peuvent donc que résulter d’un calque syntaxique sur le quichua de Santiago, on constate alors que les trois ordres, considérablement adoucis par l’emploi du gérondif, peuvent être traduits par un syntagme verbal tout à fait courant en quichua : Ri /spa/ri.

Cet emploi, non signalé par les spécialistes de linguistique latino-américaine, tout comme les autres d’ailleurs est très courant à Santiago d’où il a irradié sur le reste du N.O.A.

Un autre emploi du gérondif, avec le semi-auxiliaire venir, mérite d’être signalé, il s’agit là encore d’une remarquable opposition aspectuelle entre le procès accompli d’un

pretérito perfecto compuesto et le procès en accomplissement de venir + gérondif :

« Ya he venido comiendo. »

« Na micu/s amuni ».

L’emploi du gérondif ici s’oppose complètement à l’idée du locuteur qui décline une invitation à manger, comme s’il avait dit : « Ya he comido. »*1

Par contre, la même structure est commune en quichua de Santiago où l’aspect d’actualité ou cursif autorise ce genre de tournures.

L’opposition entre un gérondif + venir et un procès accompli, est encore plus flagrante dans ces cas signalés par Marco Henrique Del PONT*2, avec cette fois-ci le

pretérito perfecto simple dans une temporelle indiquant la simultanéité entre deux actions

révolues :

1 La plupart des exemples qui vont suivre ont été tirés de l’oeuvre de BRAVO Domingo: Estado actual del

quichua santiagueño, ibid, pages 51,52

« Cuando vino yendo le había avisado a su tío. »*1 « Amu/ptin ri/s tiun/ta huilla/cska. »

Là où on aurait en espagnol péninsulaire un emploi de Al + Infinitif ; « Al

llegar le avisó a su tío »

On retrouve là encore un emploi courant en quichua, dans lequel la temporelle avec l’aspect d’actualité du gérondif -s précède bien la principale, et dont nous retrouvons aujourd’hui la traduction inconsciente en castilla.

On peut faire la même analyse pour l’exemple suivant, avec en plus, en ce cas, deux sujets distincts dans les deux propositions, non identifiés par un pronom :

« Cuando vino huyendo lo siguió » « Ayqe/ptin ri/s seguisa/kara. »

On trouve aussi des emplois de volver + gérondif, qui ne peuvent résulter que d’un calque sur le quichua, puisque leur signifié et leur forme sont étrangers à l’espagnol péninsulaire, l’inversion gérondif / verbe et le sens même de la phrase :

« yo largo mis cabras y yendo vuelven. » « Cabraniy/ta paskani y ri/s amun/cu. »

Il existe un emploi encore plus surprenant, celui du « rapportatif » (esp : reportativo)

: dice que, avec le gérondif de decir de façon emphatique sans doute, (tout comme pour les

redoublements*2), dans les contes et proverbes de Belén à Catamarca*1, qui résulte d’un calque du quichua, tant les deux structures semblent intimement plaquées l’une sur l’autre :

« Dice que dice diciendo = Ni/spa/s ni/n » :-s :suffixe de « rapportatif », apocope de –sa ou – si : ‘dizque’. Selon César ITIER, il faudrait parler en la matière de « citatif » et non pas de

rapportatif, (ITIER,1997,pp96,97).

Cet emploi cantonné au récit populaire est très fréquent, il permet de faire le lien entre deux métadiégèses et est renforcé de façon affective par le gérondif et le redoublement de l’indicatif présent.

Nous avons conservé pour la fin l’emploi le plus remarquable du gérondif, celui de

querer avec divers semi-auxiliaires, pour dire l’aspect inchoatif et probable d’une action liée

aux conditions climatiques :

« Viene queriendo llover. »

« Para/ naa/s amun. »

1 A noter aussi l’emploi du pretérito pluscuamperfecto de récit que nous allons analyser en infra, pages 188 à

190.

Il s’agit en compréhension « médiate »*2, de métagoges relevant du virtuème de l’énonciateur, où l’on attribue des qualités humaines à la nature, sans doute un héritage des cultes incasiques aux éléments naturels, considérés par les Incas comme des fétiches,

huacas*3*4. Ou bien encore, de la consolidation d’un emploi archaïque de querer, présent

dans Mio Cid : «Apriessa cantan los gallos e quieren quebrar albores. », vers 235, par les cultes indigènes à la nature.

On peut faire la même analyse pour l’exemple suivant :

« La chacra se está queriendo secar. »

« Chacra chaquicu / naa/s tian. »

On voit bien à la lumière de tous ces exemples que l’aspect d’actualité du quichua est passé à la castilla, dans laquelle il a laissé des traces indéniables, en multipliant les combinaisons entre le gérondif et le verbe qui lui sert d’auxiliaire, et partant, en multipliant les signifiés, il a contribué ainsi à l’enrichissement de l’espagnol local5.

2.4.4.3 L’EMPLOI DE HACER COMME VERBE IMPERSONNEL

Nous avions considéré cet emploi comme un calque syntaxique sur le quichua dans notre M.M*6, puis nous l’avions laissé de côté pour le M.D, cependant, après mûre réflexion, il nous semble que l’infixe de verbalisation déverbale -chi du quichua a pu influer sur cet emploi.

Celui-ci est très fréquent dans tout le N.O.A où on entendra toujours me hace frío pour tengo frío, en comparant cette formulation étrangère à l’espagnol péninsulaire à sa traduction en quichua : Chiri/chi/wa/n. On se rend compte que celle-ci y est naturelle et que tous les éléments de la structure de la castilla y réapparaissent.