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LE CAS DE LA FRICATIVE PALATALE / r /

FOYERS INDIGENES AU XVI E SIECLE

2. DES INFLUENCES DU QUICHUA SUR L’ESPAGNOL DE

2.2. INFLUENCES PHONOLOGIQUES

2.2.1. LE CAS DES VOYELLES CENTRALES /e,o/

2.2.1.8. LE CAS DE LA FRICATIVE PALATALE / r /

Le /R/ multiple du castillan est inconnu des langues de substrat, dans l’ensemble de L’Amérique Latine, c’est le cas en quichua où on n’enregistre qu’une vibrante alvéolaire simple /r/*1.

Cependant, le système actuel du quichua de Santiago, et celui de la castilla, comptent un phonème de plus par rapport au protoquechua, décrit de la sorte par Ricardo L.J. NARDI :

« fricativa retroflexa apicoprepalatal sonora con tendencia a ensordecerse ; se emplea en hispanismos, (en el español regional es la pronunciación que adquirió la vibrante múltiple), y también en algún caso de voz quichua o de otra filiación : raku : grueso, rua : ave, ron ron : picaflor. »*2

D’où peut-il bien provenir ? La question reste difficile, on sait qu’il est connu de zones de substrats différents, de la zone guaranitique par exemple, qu’il est connu aussi au Mexique, mais que par contre, dans la Péninsule, seules les régions d’Álava, La Rioja, Aragón et

Navarra connaissent la même fricatisation du /r/.

Ce qui écarte d’emblée une influence péninsulaire, à cause du rôle réduit que jouèrent ces régions dans la conquête du continent sud-américain.

1 Le rejet de la vibrante /R/ à l’initiale est déjà sensible dans le refus de la vibrante simple, transformée en liquide

dans le passage du protoquechua au Qh de Santiago, Cf. note n°8, page 119, et note n°13, page 127.

Quant à une influence indigène, elle a pu être multiple, compte tenu de l’absence de vibrante multiple dans les langues de substrat, c’est-à-dire qu’on est arrivé, dans des zones très éloignées, à une articulation identique par la prégnance de substrats ou adstrats divers.

C’est pourquoi, ce qui nous semble le plus intéressant dans la citation de NARDI, c’est la référence à des lexies d’origine kakán ou tonocoté à la fin de celle-ci, on sait que cette langue avait ses bases dans tout le couloir andin du N.O.A. et des ramifications dans la plaine de Santiago par les Yuguitas et les Juríes, pratiquant le tonocoté, langue à mettre en relation avec le dit kakán .

Nous sommes là au carrefour des deux grands substrats, quichua et guaraní, et la langue tampon entre les deux, c’est bien le kakán, dans lequel le /r/ paraît particulièrement récurrent. Cette articulation, si caractéristique de l’habitant du N.O.A., aurait pour origine le

kakán, dans ce cas précis, et d’autres substrats dans les régions guaranitiques.

En tout état de cause, la fricatisation de la liquide latérale /l/ a sans doute influé sur celle de la vibrante /R/ par une sorte de contagion phonologique, il est d’ailleurs intéressant de constater que dans les régions citées, hormis le Mexique, les deux phénomènes vont de pair, ce qui conforte l’hypothèse de l’influence du kakán, ou du tonocoté, et sans doute de langues

chaqueñas qui connaissaient un phonème identique, qui aujourd’hui survit en ornithologie ou

en phytonymie*1.

Reste à savoir quels sont les différents degrés de cette fricatisation en fonction de la position du dit phonème /r/.

- dans les groupes consonantiques [pr, br, tr, dr, kr, gr] : on perçoit une légère assibilation, qui en ferait sans doute une liquide palatale en phonétique, avec une vibration simple : [bµoma].

1 Voir infra pages 227 à 240 ; d’ailleurs il convient de se rappeler que le tonocoté est aussi à mettre en relation

- en position implosive devant nasale, on remarque la même assibilation intermédiaire : [s’oµna].

- en position finale : dans ce cas non plus, on n’arrive à la fricatisation totale de la vibrante, il s’agit là encore de la même articulation intermédiaire, entre une vibrante et une fricative : [muxeµ].

- en position initiale et à l’intervocalique : le /R/ multiple se fricatise toujours en /r/, il s’agit comme nous l’avons déjà dit d’une apico-prépalatale sonore rétroflexe qui n’a déjà plus rien à voir avec une vibrante : [riko, barjo] : rico, barrio.

Nous pouvons donc dire en substance que, d’une part, le substrat quichua local, influencé sans doute par le kakán, a permis l’inclusion d’un troisième phonème dans la zone fricativo-palatale et que, d’autre part, cette intégration d’un nouveau phonème est sans doute due aussi à une fricatisation conjointe de la liquide centrale /l/ et de la vibrante multiple /R/ du castillan, justifiée par leur proximité en phonologie.

Dans les deux cas, c’est bien du rejet d’un phonème vibrant, inconnu en Amérique Latine, dont il s’est agi, ce qui explique à la fois l’emprunt au kakán et l’assibilation de /R/*1.

1 Le plus intéressant, c’est de se demander si l’on va vers une fricatisation totale de la vibrante multiple, ce qui

semblerait logique, et surtout, si on ne va pas aussi vers la fusion entre deux phonèmes fricatifs sonores : /z/ et /r/, car la présence de trois phonèmes dans la même case, remet en cause l’équilibre de la corrélation /s/ et /z/. Voir aussi les transcriptions phonétiques, pages 162 à 167.

2.2.1.9. CONCLUSIONS

La comparaison des différents systèmes phonologiques des langues intervenant dans le bilinguisme de Santiago, apporte des indices quant aux hésitations des locuteurs actuels.

On peut dire en synthèse qu’un phonème absent en quichua fait l’objet de la part du locuteur bilingue d’un rejet, ou d’hésitations pour le moins, c’est le cas pour les voyelles centrales /e,o/ et les occlusives sonores.

Par contre, dans la zone fricativo-palatale, c’est au contraire à une recherche qu’on assiste de la part du locuteur santiagueño, celui-ci aura tendance en effet à rapprocher inconsciemment l’articulation du phonème espagnol à celle du quichua. C’est remarquable en ce qui concerne le /s’/ dit acanalado, cela l’est encore plus en ce qui concerne la palatalisation affective de celui-ci, directement issue d’une corrélation existant depuis le

protoquechua.

C’est toujours la recherche d’un système phonologique quichua qui peut justifier la nécessité d’un corrélat sonore à la fricative palatale sourde issue de la palatalisation affective de /s/ > /s/.

Tous les phonèmes du système actuel de la castilla s’enchaînent ainsi les uns aux autres, c’est pourquoi on peut considérer que la fricatisation du /R/ multiple procède d’une contagion phonologique due à la fricatisation de la liquide latérale /l/.

De plus, on remarque que bien souvent apparaissent des hésitations entre deux corrélats, au-delà de ce que supposent les lois de la phonétique, il est par exemple possible de rencontrer des fermetures du /o/ en [u] en position accentuée*1, ou encore des hésitations entre les occlusives en position explosive, en espagnol standard.

Il en est de même pour l’absence d’aspiration du /s/ implosif, ce sont même parfois les bases de la phonologie qui sont remises en cause, on peut penser en ce cas à la présence de trois fricatives palatales dont une, le /r/, vient rompre la corrélation directe entre /s/ et /z/.

Nous sommes donc face à un système phonologique unique en Amérique Latine, ce qui justifie largement le titre choisi, mais cette singularité ne peut pas s’expliquer seulement par les influences d’un seul substrat indigène, différentes influences y ont contribué, on peut citer l’exemple du kakán ou du tonocoté pour le /r/ fricatif, et sans doute celle de la langue des Conquérants, qui fixa le système phonologique du quichua, langue générale, en le rapprochant de son propre système, ce qui peut expliquer les étranges ressemblances entre les

zones fricativo-palatales du castillan médiéval, du quichua de Santiago et du parler actuel de

Santiago.

Cette singularité, ne serait ce que par rapport au reste du N.O.A., autorisa les hypothèses les plus farfelues quant au casticisme de la castilla, (comme son nom ne l’indique pas), le maintien du yod et l’articulation alvéolaire du /s’/ sont directement issus du substrat indigène, on retrouve bien là l’autodérision qui caractérise le santiagueño.

Reste à savoir à présent si l’on retrouve les mêmes empreintes au niveau morphosyntaxique, celles du quichua, du castillan médiéval, du kakán, c’est ce à quoi nous allons nous consacrer à présent, en nous intéressant surtout aux influences de l’idiome de l’Inca ; mais nous allons tout d’abord retranscrire quelques passages d’enregistrements, ou de récits santiagueños, qui auront le mérite de démontrer que toutes ces théories trouvent leur prolongement dans le discours quotidien, d’une part, et d’autre part, qu’elles concernent, pour la plupart, tous les niveaux de langue.*2

1 Cf. supra, page 140 ; on remarque aussi des ouvertures de /i/ en [e], en position accentuée, ce qui est

impossible dans le système péninsulaire.

2 Il convient de se souvenir qu’au début du XVIIè siècle, on comptait seulement 10% d’Espagnols à Santiago,

voir Chronologie du quichua page 29, et que de plus ces « Espagnols » pratiquaient, nécessairement*A, eux-

aussi le quichua, d’où la prégnance de cette langue à tous les niveaux, situation presque comparable à celle du Paraguay, où le guaraní est passé à tous les niveaux socioprofessionnels. Ces affirmations ne tiennent pas compte, bien entendu, de la langue de l’élite criolla qui s’est de toute façon fondue avec le temps dans la langue populaire.

A Il est souvent fait référence par les voyageurs à des terratenientes de Santiago, qui au début du siècle,

défilaient à cheval en ville, tels des hidalgos, en vociférant en quichua des ordres à leurs serviteurs indigènes, ou aux passants pour qu’ils s’écartent...