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LA THESE DU SUPERSTRAT QUICHUA.

FOYERS INDIGENES AU XVI E SIECLE

1.4.7. LA THESE DU SUPERSTRAT QUICHUA.

Le 18 juillet 1995, nous avons eu la chance, mon épouse et moi, d’être reçus dans la maison de Domingo A. BRAVO, à LA BANDA, ville jumelle de Santiago, de l’autre coté du

Dulce.

L’entretien fut amène, comme il se doit de l’être entre des êtres qui s’apprécient. Cependant, quand le thème du substrat Qh fut abordé, l’enregistrement vidéo que je détiens en atteste, le ton devint plus ferme, voire catégorique.

A la question de savoir si l’Empire inca occupait ou non la plaine de Santiago avant la Conquête, il me fut répondu : « ESO NO HA SIDO Y NO HA PODIDO SER. »

L’un des arguments principaux de D.A. BRAVO, c’est que GARCILASO INCA DE LA VEGA ne mentionne pas la dite colonie, il est vrai qu’il se réfère seulement à une ambassade de Tucma qui se rendit à Charcas au début du XIIIè siècle.

Cependant, nous avons démontré que ce royaume de Tucma avait toutes les chances de se trouver au bord du Dulce. Le détail de la production de coton, dont étaient vêtus les dits ambassadeurs, n’étant pas des moindres pour démontrer que seuls les Juríes du Dulce pouvaient avoir été ces gens de Tucma qui firent allégeance à l’Inca.

Un autre argument de poids pour la thèse du superstrat de D.A. BRAVO, c’est que Diego de Rojas, en 1543, dut subir l’attaque des troupes du cacique Canamico, porté sur une litière à la mode incasique, à Capayán, et que ses troupes y reçurent des flèches empoisonnées, inconnues à Santiago selon D.A. BRAVO. Ce n’est pas l’avis de R.A. PÉREZ*1 qui déclare textuellement à ce sujet : « Las flechas envenenadas no parecen haber

sido propias de los diaguitas de la sierra, SINO DE LOS JURÍES DE LOS LLANOS », de

plus, le détail de la litière semble démontrer qu’il s’agissait bien d’un orejón incasique.

1 Ibid., page 82, note n°35.

Sans doute le chef de cette colonie inca du Dulce, dont nous soupçonnons l’existence, serait venu en avant-garde jusqu’à Capayán, au sud-est de CATAMARCA pour protéger ses terres.L’emplacement de cette rencontre*1 a son importance, car en la situant dans le complexe Calchaquí, comme cela avait été fait jusqu’à présent, on ne pouvait concevoir que

Canamico pût venir du Dulce.

Un autre argument de poids pour la thèse du superstrat, c’est que l’expédition de Rojas ne trouva sur son chemin, entre Capayán et SOCONCHO, aucun tambo incasique ; on sait aussi que la traversée entre Chicoana et Capayán fut difficile à cause de l’épaisseur de la forêt, pourquoi ne pas imaginer alors que les Espagnols quittèrent le Chemin de l’Inca, mal informés par leurs guides ? En tout état de cause, on sait à présent que le dit chemin avait des ramifications dans la plaine, mais sans doute plus au nord et sûrement le long des axes fluviaux .

Dans le prologue de la remarquable étude de D.A. BRAVO sur le quichua de

Santiago*2, Clemente Hernando BALMORI avance lui-aussi un argument à son sens décisif, en citant le passage d’une lettre du père BÁRZANA, évangélisateur de Santiago en Quichua, à son compagnon le père Luis LÓPEZ, datée du 8 septembre 1588 :

« He aprendido de las lenguas de esta tierra una que corre más que otra-la

tonocoté o lule al parecer-y agora ando tras otra que no tiene camino por preceptos- la cacana-y son tantas las lenguas [...] que ni he comenzado a saber. »

Il s’agit, comme vous pouvez le constater d’un argument e silentio, puisque la langue Qh n’est pas citée par BÁRZANA, on pourrait en conclure qu’elle n’était pas pratiquée à Santiago avant la Conquête...

Celui-ci nous semble de peu de poids, en effet, BÁRZANA déclare que les autres langues sont nombreuses : « y son tantas las lenguas... », et parmi celles-ci, on peut penser au Qh, qui n’est pas mentionné, car il s’agit d’une évidence pour le compagnon de BÁRZANA, en effet ne furent-ils pas formés tous deux à l’université de San Marcos de Lima pour évangéliser dans la langue de l’Inca ?

Pourquoi aurait-on envoyé le père BÁRZANA à Santiago,afin d’évangéliser des régions qui n’auraient pas parlé le Quichua? Cela dépasse le simple entendement, et pourtant, voilà le genre d’argument que l’on utilise pour démontrer que le quichua n’est que superstrat à Santiago.

1 Voir CARTE N°4 page 31.

Un peu plus loin, D.A. BRAVO sort son atout majeur, on n’a pas retrouvé d’éléments de l’archéologie péruvienne à Santiago. Cependant Antonio SERRANO affirme que le groupe n°III de la céramique de Santiago, classification des frères WAGNER, est en relation avec les civilisations des Andes*1.

Nous avouons cependant notre incompétence en la matière et nous en remettons à celle d’un spécialiste.

Voici, pour finir, l’un des derniers arguments de D.A. BRAVO : le type humain de

Santiago est différent de celui du Pérou. C’est on ne peut plus vrai, mais comment pourrait-il

en être autrement, quand on sait que le nombre de Yanaconas fut somme toute réduit, comparé au peuplement riche et varié de Santiago, à l’époque de la Conquête ? Les mariages mixtes firent le reste et si l’on tient compte de la présence probable de colons incas avant la Conquête, là encore leur nombre ne fut pas suffisant pour modifier une composition raciale mixte à Santiago, moitié andine par les Diaguitas, Yuguitas, Juríes et Comechingones et

Chaqueña par les Lules, Tonocotés, Avipones et autres peuplades nomades.

Cet argument anthropométrique peut donc là encore être rejeté, mais nous allons voir à présent ceux d’autres spécialistes, pour ne pas nous limiter à celui de D.A. BRAVO, taxé par beaucoup d’un régionalisme exacerbé.

Considérons par exemple ceux de Ricardo L.J. NARDI*2. Il existe des données objectives à l’intrusion forcée par les Espagnols de Yanaconas dans le N.O.A. On sait par exemple que Diego de ALMAGRO en 1536 introduisit 20 000 Péruviens au Chili, que Pedro de VALDIVIA, en 1560, suivant les traces de ALMAGRO, perdit une bonne partie de ses

Yanaconas attachés au service des armées de conquérants comme guides, lenguaraces,

soldats ou porteurs.

Diego de ROJAS, pour sa part, en introduisit vingt mille*3 dans la plaine de Santiago, ces Yanaconas devenaient ensuite des colons et participaient à la catéchisation en quichua.

Selon LAFONE QUEVEDO, cité par NARDI*4, ces Yanaconas et les missionnaires furent seulement responsables de la vulgarisation d’une langue déjà connue dans le N.O.A. avant la Conquête.

1 Ibid., page 66 : « Los motivos decorativos de este último grupo están relacionados con los andinos en general

y con todos los del noroeste en particular. » Voir aussi supra, page 23.

2 Ibid., page 268.

3 Source Pablo KIRTCHUK, correspondance du 02 mai 1996. 4 Ibid., page 272.

Selon BOMAN*1, leur nombre était insuffisant pour une pleine diffusion du quichua, déjà connu par ailleurs des Diaguitas selon lui.

BALMORI, pour sa part, opine que le quichua n’avait pas pénétré dans la plaine de

Tucumán avant la Conquête. LEVILLIER*2, enfin, pensait que, d’une part, la diffusion n’était pas due seulement à l’évangélisation, mais, d’autre part, que la survivance du quichua était due au blanc-seing des autorités espagnoles.

NARDI, quant à lui, met l’accent sur l’une des failles de la thèse du superstrat. En 1587, pour tout le Tucumán colonial, on comptait seulement 36 prêtres espagnols pour assurer l’évangélisation de milliers d’indigènes, et quand bien même on prendrait en compte les descendants des vingt mille Yanaconas de l’expédition de Rojas, qui servirent de « relais » linguistiques avec les 18.000 autochtones, cela n’aurait pas suffi à une telle maîtrise de la langue de l’Inca*1.

Et il termine son rappel des points de vue des différents spécialistes du quichua dans le N.O.A en concluant de la sorte :

«No creemos que las leyes de Indias y la Iglesia hayan apoyado la difusión del

quichua para crear una barrera linguística en torno a los indígenas; pensamos que, BASADOS EN SU PENETRACIÓN PREHISPÁNICA EN EL NOROESTE, decidieron adoptar esa lengua como el más valioso medio de comunicación para la evangelización de los nativos. La gran difusión del quichua ahorraba el aprendizaje de numerosas otras lenguas de estructura extraña

Nardi ne précise pas, hélas, si l’on peut inclure Santiago dans cette affirmation, mais ses arguments quant à la nécessité linguistique d’évangéliser en quichua sont tout à fait

1 Ibid., page 272. 2 Ibid., page 272.

recevables ; le quichua a donc connu un nouvel élan grâce à la Couronne espagnole, mais mais cette langue existait déjà auparavant. De plus, comme nous le verrons par la suite, cet élan connut au moins deux grandes étapes de diffusion précolombienne.

Nous pouvons donc dire, pour conclure ce chapitre, que les principaux arguments des partisans de la thèse du superstrat sont fragiles*2, qu’ils répondent parfois à une volonté régionaliste de ne pas faire de Santiago un simple satellite du Cuzco ou de chinchay avant la Conquête. Le danger d’une telle attitude, peu scientifique au demeurant, c’est que l’on doit ensuite faire face à un véritable paradoxe*3, le quichua s’est maintenu dans la seule province du N.O.A. où il ne serait pas substrat, miraculeusement, grâce au génie linguistique de missionnaires avertis.

Nous étions intrigué depuis le début de notre recherche par une telle contradiction, nous pensons avoir déjà démontré en partie qu’elle répond à une volonté de masquer la réalité indigène de Santiago, l’exemple des Juríes est à ce sujet probant. En rayant de la carte une telle ethnie qui, par son bilinguisme, contribua à la diffusion précolombienne du quichua, on procédait encore plus sûrement que les gauchos avec les araucans dans la Pampa : en en faisant un peuple de barbares, on se donnait bonne conscience pour toujours.

1 Reste à savoir aussi quel quechua parlaient les Yanaconas de l’expédition, si tant est qu’ils l’eussent parlé. En

effet, s’il s’agissait du Qh de Cuzco, on retrouverait des traits explosifs et glottalisés dans les occlusives du système phonologique du Qh de Santiago, ce qui n’est pas le cas... Voir les éléments statistiques à la

Chronologie du Qh, page 36

2 D.A. BRAVO affirme aussi, Ibid., page 64, que la divinité anthropo-ornitho-ophidique a des yeux horizontaux

à Santiago, alors que ceux-ci sont croisés, mongolides, dans les Andes, voilà un argument qui mériterait d’être plus approfondi, mais nous avouons notre incompétence en la matière.