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IDIOSYNCRASIE DU SANTIAGUEÑO

FOYERS INDIGENES AU XVI E SIECLE

1.6. IDIOSYNCRASIE DU SANTIAGUEÑO

Le santiagueño est selon Elvio Aroldo AVILA*1, un être à double face, celle de l’indigène résigné, triste et silencieux qui apparaît à travers l’hypocoristique SHALACO et l’expression « HACERSE EL CHAMPI », sur lesquels nous allons revenir, et, pour ceux qui prennent le temps de le connaître, il est le plus joyeux drille qui soit, plus andalou que l’Andalou lui-même, dans l’art de la fête.

On désigne en effet ainsi les habitants du Río Salado, hybridation entre l’apocope du radical espagnol SALADO < SALA-, dont le [s] initial est palatalisé de façon affective, et le suffixe du quichua -CU < -CO qui sert d’emphatique à la racine.

Dans cette hybridation et dans la réputation d’attardé, d’incivil et d’ignorant, se trouve toute la complexité du santiagueño, à la fois indigène abattu et avec un sens de l’ironie bien espagnol, exprimée par les deux langues à la fois.

L’idiotisme suivant est encore plus révélateur, « Hacerse el champi », du nom

quichua d’un coléoptère, c’est selon CANAL FEIJÓO, l’expression de la vivacité d’esprit du santiagueño, avec toujours ce double aspect, le premier, celui d’un triste insecte, le second

celui du petit malin qui observe les autres en se faisant passer pour un imbécile, ce qui équivaudrait donc à « Hacerse el tonto, el desentendido »*2.

Voilà donc la deux fois double réalité du santiagueño, d’aspect indolent, sans doute à cause de la chaleur, et d’esprit très vivace, voire mordant, d’une part, et indigène et espagnol d’autre part, avec d’évidentes connotations coloniales sous-jacentes.

Il est vrai que nous avons pu constater que le santiagueño est bien souvent un Janus qui se révèle dans les moments d’émotion intense de la poésie, ou bien encore de la

chacarera, mais qui peut apparaître triste au premier abord.

1 EL LIBERAL, Cómo habla el Santiagueño, Santiago, l988.

2 Pablo KIRTCHUK, nous signale, toujours dans le registre parémiologique, ce proverbe qui souligne aussi la

De plus, puisqu’il manie deux langues, ou que ses ancêtres le firent, il se caractérise par une richesse idiomatique hors pair qui le singularise par rapport au reste de l’Argentine et que l’on retrouve là encore dans des expressions lexicalisées comme «¡ Santiagueño puras

eses ! », à cause de la prononciation tendue de la dite consonne*1, ou encore « ¿ Santiagueño,

qué no ? », pour son utilisation abusive de cette locution adverbiale d’assertion*2.

Pour son goût immodéré pour le fruit rouge et délicieux du mishtol*3, on dit de lui

« ¡Santiagueño mistolero ! », pour son sens de l’hospitalité et la beauté attachante de sa terre,

on dit encore « Santiago no tiene riendas pero ata »*4, c’est sans doute vrai puisque me voici plongé corps et âme dans cette étude.

Le santiagueño se caractérise donc par son aspect double et contrasté, par son bilinguisme et toutes ses singularités culturelles.

Nous citerons pour la musique la chacarera endiablée*5, la zamba, son opposée, lente et nostalgique*6, et enfin, la vidala*7 incantatoire accompagnée de la seule caja, ou grosse caisse.

Dans l’art culinaire, la liste est impressionnante*8, même les enfants ont leurs propres jeux : « pallana, chigua, chumuco, yuto, etc. »*9, et ceux des grands revêtent des aspects de carnaval, avec les « trincheras y rezabailes o velatorios del angelito »*10, où le syncrétisme christiano-indigène est très vivace.

1 Voir infra page 144.

2 Voir infra page 200

3 Mistol < Mishtol : Zisiphus mistol : bel arbre au feuillage rond et touffu et dont le fruit rouge et sucré est

employé dans la cuisine populaire ; il s’agit sans doute d’un mot d’origine kakán.

4 Il existe, selon Pablo KIRTCHUK, correspondance du 2 mai 1996, une variante de ce proverbe, on dirait aussi

: « [...] pero sujeta. »

5 Chacarera < Chacra : ‘champ de maïs’ en Qh, plus le suffixe espagnol -ero pour désigner, tout d’abord le

travailleur de la chacra, et ensuite, le chant et la danse qui ponctuaient la récolte.

6 Zamba : à ne pas confondre avec son homophone, la samba brésilienne, ici la graphie a des vertus

distinctives.

7 Vidala : radical espagnol vida, plus suffixe Qh -la, diminutif et affectif, désigne ce chant et cette danse

plaintifs et intimistes.

8 Voir infra, pages 244 à 251.

9 Pallana < Pallaj ‘ juntar’ en Qh et suffixe Qh -na, jeu d’enfants qui consiste à rassembler sur le sol des

haricots ou des pierres.

- Chigua : ce jeu, dont la connaissance ne se limite pas à Santiago, consiste à se passer une corde autour du cou

et à tirer jusqu’à temps que l’adversaire, dans la même situation, cède. Se pratique accroupi, de dos ou de face, à deux ou à plusieurs. Mot d’origine incertaine...

- Chumuco < Chumucu ‘ oiseau aquatique et plongeur’ ; jeu qui consiste à plonger en imitant cet oiseau ; mot d’origine kakán.

- Yutu ‘ perdrix’ en Qh de Santiago, mais aussi, comme adjectif, ‘ sin cola, rabón’. De là, sans doute, le passage à Yuto ‘ volantín, cometa, barrilete’ ,‘ cerf-volant’, et au verbe Yutiar, avec le sens de’ faire l’école buissonnière et faire des bêtises, comme monter les ânes, en cachette’.

10 Trinchera : à partir de l’un des signifiés péninsulaires ‘ desmonte hecho en el terreno’, ‘défrichement’, on

est passé au lieu, en général découvert, où s’organise le dit bal du Carnaval, avec quelques tronc de bois pour la scène, et un terrain vague, pour la piste de danse.

Il a enfin tout un panthéon d’êtres surnaturels tels que le Cacuy, le Sachayoj ou encore le Ckaparilo que nous vous invitons à découvrir dans le lexique consacré à ceux-ci*1.

Un tempérament bien particulier en somme, qu’il exporte avec lui dans son émigration massive et forcée vers la capitale, qu’il fait perdurer et connaître bien au-delà de ses terres, la

chacarera adaptée par les rockeros argentins constitue à cette égard un bon exemple ; il est

tout aussi prolifique au niveau idiomatique puisque, selon Elvio Aroldo AVILA*2, la Real

Academia Española incorpora, dans son édition de 1984, 105 vocables argentins, dont la

plupart trouvaient leur origine à Santiago, par exemple : « mistol, chango, cacuy », pour ne citer que les plus connus.

Santiago, c’est un peu le coeur méconnu de l’Argentine, à la fois humble et exubérant

; plus indigène et andalou que la par trop européenne Buenos Aires, une somme de singularités et de métissages qui nous rapproche sans doute beaucoup plus de la réalité de ce pays, qui se veut autre que ce qu’il est en réalité*3.

- Rezabaile : cette superbe fusion entre rezar et baile, n’apparaît dans aucun des lexiques argentins connus. La

seconde désignation velatorio del angelito est plus connue et évocatrice, il s’agit d’une fête et d’une veillée funèbre, donnée à la mémoire d’un bébé, trop tôt disparu.

1 Voir infra, pages 256 à 271. 2 Ibid., page 77.

3 Selon Emilio A. CHRISTENSEN, ibid., page 94, l’humour lui-même du Santiagueño, un peu sournois et

intimiste, est à opposer à l’humour du porteño, un tantinet agressif et cynique, on retrouve cette forme d’humour dans les gatos et chacareras bilingues de Santiago.