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LE CAS DE LA FRICATIVE PALATALE SOURDE / s /

FOYERS INDIGENES AU XVI E SIECLE

2. DES INFLUENCES DU QUICHUA SUR L’ESPAGNOL DE

2.2. INFLUENCES PHONOLOGIQUES

2.2.1. LE CAS DES VOYELLES CENTRALES /e,o/

2.2.1.6. LE CAS DE LA FRICATIVE PALATALE SOURDE / s /

L’apparition de ce phonème dans le parler de Santiago résulte à la fois d’emprunts au Qh et d’une palatalisation du /s’/, quelle que soit sa position, en /s/, la plupart du temps dans des tournures affectives ou des hypocoristiques, dans lesquels le substrat quichua a joué à plein*1.

En effet, on se rend compte que les hésitations entre les deux phonèmes sont connues du quechua de Cuzco, dans lequel le /s/ en position implosive se réalise comme /s’/, en donnant une prononciation marquée et prolongée au /s/, dit acanalado à Santiago*2.

1 En effet, on peut remarquer le phénomène inverse, une dépalatalisation de /s/, dans le passage du protoquechua au Qh de Stgo suti > suti : nombre, Wasa > Wasa ‘ espalda’, etc. Dans ces hésitations entre les

deux fricatives, on peut voir l’origine de la palatalisation actuelle, peut-être par ultra-correction, par rapport au

protoquechua qui différenciait bien les deux phonèmes fricatifs centraux.*A

*A KIRTCHUK Pablo apporte d’excellentes précisions à ce phénomène de la palatalisation affective qui existe

aussi en Qh de Stgo.*i

Il nous en donne une définition tout à fait pragmatique, « palatalisation de la sibilante sourde du lexème -base

dans le dérivé, quand la dérivation implique une attitude affective du locuteur face au signifié du mot dérivé. »

Dans ce « mécanisme de modalisation »*ii , le locuteur insistera sur certains traits de la personne à laquelle il se

réfère, difformité : /WASA/ : dos > /WA

s

AKU/ : bossu ; qualité ou défaut, qui la caractérise : /sunqu/ : coeur > /sunqulu/ : généreux ; /puñu/ : dormir > puñusiki : dormeur, (avec dans ce cas une palatalisation du

grammème).

Si l’on rajoute à ces exemples, la désignation affective des animaux domestiques, ou même des parties génitales, on se rend compte que « les relations de savoir et vouloir »*ii, entre le locuteur et l’objet, ou la personne à

laquelle il se réfère, sont très développées.

Cette phonologisation affective, par le biais d’une palatalisation, est connue aussi d’autres langues, comme le signale KIRTCHUK Pablo, y compris l’espagnol, cependant, sa récurrence est telle à Santiago, qu’on peut légitimement invoquer le substrat Qh.

i KIRTCHUK Pablo, bib. n°1, pages 99 et 100. Toujours selon cet auteur, le phénomène a aussi été étudié en Qh

de Stgo, par W. REUSE, I.J.A.L., 1986.

ii POTTIER B., SEMANTIQUE, Ibid. page 200.

Dans le dialecte quichua aujourd’hui éteint de Catamarca*1, la palatalisation devient même vélarisation, ce recul de la zone d’articulation résultant sans doute d’une corruption plus active de la fricative palatale due à l’isolement, ou peut-être a l’influence du kakán, langue gutturale s’il en est.

De plus, diachroniquement, si l’on peut affirmer que le protoquechua possédait bien deux fricatives, alvéolaire et palatale, celles-ci se conservèrent dans les dialectes du centre et du nord ainsi qu’à Santiago, mais elles fusionnèrent en /s’/ dans les dialectes de Cuzco et d’Ayacucho.

Ce phonème fricatif palatal quichua, résultant sans doute historiquement d’une fricatisation de /ç/, s’assimile donc au /s’/ dans le parler de Santiago ; il est présent dans tous les systèmes qui ont pu contribué à sa phonologisation, le castillan médiéval, le quechua

chinchay dérivé du proto-idiome, de plus, il s’est maintenu en corrélation avec la fricative

alvéolaire en quichua de Santiago, sans s’assimiler à celle-ci, comme dans le dialecte de

Cuzco, cette pérennité de la fricative palatale sourde, sa présence dans les systèmes qui l’ont

influencé, nous autorisent à penser qu’elle procède d’un calque phonétique sur celle du

quichua de Santiago, elle-même consolidée par l’apport du castillan médiéval.

Dans la zone fricativo-palatale du quichua de Santiago, elle est en corrélation étroite avec /ç,z/, puisqu’elle est allophone de ces deux phonèmes en position implosive*2, c’est d’ailleurs à cette position dominante qu’elle a dans ses corrélations avec les deux autres phonèmes que l’on doit sa pérennité et son passage à la castilla, où elle s’assimile donc au /s’/, dans la langue affective porteuse d’influences substratiques.

1 NARDI Ridardo L.J., Ibid. page 206. 2 Cf. supra note n°(5) page 124.

2.2.1.6.1. FORMATION D’HYPOCORISTIQUES

On remarque que la palatalisation affective de /s’/ est très fréquente à l’implosive dans le groupe [ist] : Bautishta, Calishto, etc.

Mais elle peut apparaître dans tous les contextes : - à l’implosive : Ushva < Osvaldo, etc.

- à l’initiale : Shutula < Sotelo, Shiba < Sebastián, Shaca < Zacarías,

Shishi < Cecilio, Shula < Solano, Shuca < Sócrates, Shofa < Sofía, etc.

- à l’intervocalique : Ishi < Isidro, Crishula < Crescencio et

Crisóstomo, Jishula < Jesús, Joshela < José, Belishu < Belisario, Crushila < Cruz, Mishi < Mercedes, Vishi < Vicente, Machi < Maximiliano, etc.

- à l’explosive : Cunshila < Concepción, Mashelo < Marcelo, Bachi < Basilio, etc.

On voit donc que l’emploi des diminutifs affectifs passe obligatoirement par la palatalisation de /s’/, comme s’il s’agissait d’un code de reconnaissance entre les familiers du

monte, il passe aussi bien souvent par l’agrégation du suffixe Qh -lla >

-la : Shutula, Crishula, etc., mais nous aurons l’occasion d’y revenir en morphologie

nominale*1.

Cette palatalisation s’est étendue à des tournures affectives et à d’autres domaines de la langue.

2.2.1.6.2. FORMATION DE TOURNURES AFFECTIVES

Comme dans le reste du N.O.A., la palatalisation affective de /s’/ apparaît de façon souvent plaisante pour renforcer l’affectivité du discours : tosheque < el que tose ; mi cosho

< mi coso ‘ mi queridito’ ; aquishito nomás < aquicito, ahishito < ahícito*2, blandushco < blandusco, etc.

Elle s’étend aussi à des lexies isolées du contexte affectif, surtout à l’implosive dans le groupe [ist] : vishta < vista, lishto < listo, hishtoria < historia, etc.

On peut dire en synthèse que la palatalisation du /s’/ dans les contextes où l’affectivité du locuteur est grande a permis sa phonologisation, sans compter tous les emprunts au Qh de

Santiago où ce phonème apparaît : Ushuta < Usuta ‘sandalia’, de plus elle a été évidemment

facilitée par le recul de la zone d’articulation du /s’/ alvéolaire, et partant quasi-palatal, ce qui explique la récurrence de ce phénomène à Santiago.

De plus, il convient de savoir que la palatalisation affective est un phénomène universel, selon Bernard DARBORD.