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LES ALTERNANCES [e/i]

FOYERS INDIGENES AU XVI E SIECLE

2. DES INFLUENCES DU QUICHUA SUR L’ESPAGNOL DE

2.2. INFLUENCES PHONOLOGIQUES

2.2.1. LE CAS DES VOYELLES CENTRALES /e,o/

2.2.1.2. LES ALTERNANCES [e/i]

Avant d’aller aux alternances entre ces deux phonèmes en castillan, nous nous devons d’apporter quelques précisions quant aux variantes combinatoires [9,A] des voyelles /i,u/ en

Quichua de Santiago, voici ce qu’en dit Ricardo L.J. NARDI, dans son excellent ouvrage sur

les Qh disparus de Catamarca et de La Rioja*1 :

« En el quichua de Santiago que también posee un modelo con cinco vocales,

sólo se emplea e y o inmediatamente antes y después de postvelar (q,jj) y antes de los grupos consonánticos nq, rq, e yq, lo mismo que antes del morfema ra (< -rqa) ; en tales posiciones no aparecen i ni u ; lo mismo parece suceder en el quichua de Catamarca. »

En effet, on remarque que l’apparition des deux variantes combinatoires se fait non seulement avec la postvélaire /q/ mais aussi avec son corrélat fricatif, à l’implosive, donc [J], et que de plus, il peut s’agir d’une influence à distance comme dans les groupes consonantiques cités par NARDI, en toute logique, on devrait donc retrouver la trace de ces conditionnements des voyelles centrales par les postvélaires, ou tout au moins, en l’absence de celles-ci dans le parler de Santiago, des alternances [e/i] et [o/u] avec les occlusives vélaires /k,g/.En fait, il n’en est rien, ou pour le moins, ces contextes ne semblent pas déterminants dans les alternances entre les voyelles fermées et semi-ouvertes, qui se produisent dans toutes les positions ; ce qui peut nous autoriser tout de même à invoquer ces corrélations du quichua qui doivent avoir joué dans les confusions qui se produisent aujourd’hui dans le parler de Santiago.

En effet, comme en espagnol péninsulaire, mais de façon plus récurrente, chaque fois que l’opposition phonologique est instable entre les deux phonèmes /e,i/ : en hiatus, à la finale atone et à la prétonique, apparaissent de nombreuses confusions entre ces deux phonèmes, que nous allons résumer de la façon suivante.

- /i/ > [e].

- /e/ > [i] en position prétonique :

-assimilations : escrebir, deciendo ; alfiñique, ligítimo, simijanza, imbiarme, tiniendo, etc.

l’initiale prétonique : Pirú : < Qh pirwas : peruanos, sigura,

inorme, Jishua < Jesús ; Crishula < Crescencio, etc.

- /e/ > [i] à la finale atone : cochi, lechi, nochi, pogri / pobre, Antis /

Andes, tigri, etc.

- /e/ > [j] en hiatus, il s’agit là du cas le plus fréquent, comme dans la langue gauchesque, on remarque que la diphtongaison du hiatus [ea], ou son contraire par ultracorrection*1, se produit aussi dans les emprunts espagnols du Qh : gatiay < gatear ‘pasar en la oscuridad al lecho de las mujeres’ ; leay < liar ‘ envolver’, ce qui semble

constituer un indice de l’influence indigène, dans ces ruptures systématiques dans la langue populaire de l’ensemble du N.O.A. : tiatro, peliar, faroliando, taria < tarea, rastriador,

hambriar < hambrear, rial < real ; rebenquió < rebenqueó, en ce qui concerne la rupture,

plus rare, du hiatus [eo].

Mais, c’est en phonétique syntaxique que le phénomène est le plus net, par exemple dans ces deux emplois très récurrents et affectifs :

diái < de ahí ; ¿ diánde ? < ¿ de a dónde ? : « ¡ Y diái que ha pasado che ! »

« ¿ Diánde sacas eso ? »

La confusion est telle entre les deux phonèmes que se produisent aussi des métathèses par ultracorrection : hicheceros / hechiceros, et c’est pour la même raison que le [e] se

1 Ibid., page 246.

substitue au [i] : cambeo, polecía, análises ; là encore les modifications morphologiques de certains emprunts espagnols du Qh de Santiago sont un bon indice de l’influence qu’ont dû jouer quatre siècles et demi de contacts entre deux systèmes vocaliques qui ont eu tendance à se rapprocher : rreditey < derretir, etc.

Mais nous nous sommes contenté jusqu’à présent de répertorier les alternances [e/i] dans des lexies isolées de tout contexte syntaxique, si l’on excepte les cas de diái, diánde, et jamais en position accentuée*2, si l’on excepte le dernier exemple du Qh de Santiago ; ce qui met en péril notre théorie, puisque dans tous les cas cités l’opposition phonologique entre les deux phonèmes est déjà fragile en espagnol péninsulaire, ce qui n’exclut pas pour autant une cristallisation du phénomène par le Qh, comme nous l’avons soutenu jusqu’à maintenant.

Il fallait donc des exemples plus probants en phonétique syntaxique dans des cas où le /e/ est accentué et ne devrait donc pas se fermer en [i].

Or, cette fermeture semble systématique avec les emplois de monosyllabes clitiques tels que la première personne de l’indicatif de haber ou de la préposition de dans son emploi avec haber de de conjecture*3, ou encore dans la combinaison du pronom complément d’objet indirect le avec la première personne de haber.

-he > i au pretérito perfecto compuesto :

« Yo le i’ creído porque algunos dicen : yo creo. »

« Hi’ llegao anoche, hi’ venio, hi’ llegao a las diez de la noche.

Caminando hi’ venio de Quimilioj yo. »*1

1 Comme dans cet exemple, tiré de El Aromo : « Viéndolo solo y florido, tuito el monte lo envidea. », milonga

d’Atahualpa YUPANQUI.

2 Cf. aussi page suivante, oyer pour oír. 3 Cf. infra, page 310.

-he > hei avec épenthèse du yod, et maintien parallèle de la forme correcte, ce qui confirme les hésitations du locuteur bilingue quant à l’opposition entre les deux phonèmes :

« Agua he traído anoche, hei*2 llegao como a las diez de la noche aquí en La Bota. »

-de > i avec chute du /d/ en coda :

« sangre i’ toro. »

-ha de > hai, dans son emploi conjectural*3 :

« Andando te hai’ pasar algo a causa de eso nomás. »

« Bueno ahura ya me hai’ oyer y hay’ saber andar teniendo

siquiera ese relicario que li’ hecho pa’ Viernes Santo... »*4

« Ahh... hay’ estar como pupa trampiada. »*5

-ha de > i de ; « había de » > « habíai » :

« Ojalá me habíai pegar... Así siquiera i de cambiar de

pollera. »

-le he > li :

« ... ese relicario que li’ hecho pa’ Viernes Santo. »

1 A noter l’emploi du pretérito perfecto compuesto très récurrent, par rapport au pretérito perfecto, dû sans

doute à un phénomène d’économie de la langue, de simplification ; le prétendu casticisme de l’espagnol de

Santiago trouve dans cet emploi ses limites. Témoignage oral de NUEVA COLONIA, cf. M.D., page 22. 2 Selon B. DARBORD, la forme hei est connue aussi du portugais ancien : habeo > hei.

3 El Ckaparilo, Ibid., pages 125, 127.

4 Avec dans ce dernier cas une nuance d’obligation.

On remarque aussi une chute du /e/ prétonique dans « vían / veían », comme dans l’exemple suivant :

« Ia cuando vía que cuando no lus podía hacer disparar... »*1 Cependant, il apparaît que les alternances [e/i], si l’on excepte les cas de phonétique syntaxique, sont peu fréquentes en position accentuée, et que de plus, celles-ci peuvent se justifier pour des raisons articulatoires : ha de > hai > hi, elles ne laissent donc pas apparaître d’hésitations trop fortes, en dehors des positions de faiblesse déjà citées.

Le locuteur bilingue de Santiago semble donc avoir intégré l’opposition entre /e/ et /i/ dans son emploi de la castilla, même si celle-ci semble hésitante dans les cas d’emprunts espagnols du quichua, le cas est différent en ce qui concerne les alternances [o/u].*2*3