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Partie I : Les courants d’influence de la simulation participative

7. Analyse des effets de la simulation participative

7.2. Les effets de médiation : l’objet-frontière en action

La simulation peut être le support d’une médiation active (Martin 2014). Le Chapitre §5.3.2 avait décrit comment l’artefact de simulation pouvait porter les attributs d’un objet intermédiaire au rôle médiateur (ou objet-frontière), en offrant des prises, des équipements, qui soient lisibles et opérables par les différents mondes sociaux rassemblés autour de l’artefact. Le présent chapitre, étudie comment ce processus de médiation s’opère lors d’un atelier de simulation participative. Pour cela, nous nous intéressons à un cas d’étude, celui du projet ComMod-courbine, dont j’ai observé et évalué la phase de simulation participative, qui a eu lieu en novembre 2012. Bien entendu, d’autres travaux permettraient également d’étudier les processus de médiation dans la pratique de la simulation participative, par exemple des applications sur l’aménagement du territoire au Sénégal et à la Réunion (Daré et al. 2008), une application sur la coordination intercommunale des stratégies de prévention du risque de submersion sur l’île d’Oléron (Becu et Rulier 2018), ou bien encore la médiation entre les professionnels de l’aménagement périurbain autour des enjeux de la biodiversité (Becu et al. 2015b). L’analyse présentée ci-dessous permet de rendre compte d’une grande partie des mécanismes qui sont identifiés dans ces autres travaux.

Le cas d’étude porte sur la mise en place du plan d’aménagement pour la pêcherie de la courbine (PAP-courbine) en Mauritanie. Un atelier de trois jours a été organisé à l’issue d’un processus de co-construction de l’artefact de simulation. L’atelier a réuni une soixantaine de personnes, pêcheurs, armateurs, mareyeurs, représentants de syndicats, chercheurs halieutes et agents du ministère de la Pêche et de ses agences associées. Le premier jour était dédié à la session de simulation participative et à son débriefing, visant à faire apparaître les principaux enjeux de la pêcherie de la courbine. Le deuxième jour était consacré à des travaux en sous-groupes pour formuler des propositions de gestion pour le PAP-courbine, suivis d’une plénière pour choisir les propositions de gestion à inscrire dans le PAP-courbine. Le dernier jour consistait en une journée de synthèse en présence du rapporteur du PAP-courbine pour le compte du ministère de la Pêche. Le deuxième puis le troisième jour, deux propositions majeures sont ressorties et ont été présentées au rapporteur du PAP-courbine : la formation d’une commission de fixation des prix et l’ouverture à l’export de la courbine.

Conduites avec un collègue sociologue et une collègue en psychologie de l’environnement, l’observation et l’analyse de la simulation participative réalisée le premier jour ont permis de mieux comprendre les leviers ayant conduit à l’élaboration de ces deux compromis entre les différentes parties prenantes dans la mise en place de ce plan d’aménagement (Becu et al. 2016d). Nos résultats ont permis d’expliciter les leviers suivants :

• Apprentissage collaboratif et politique : apprentissage à propos des contraintes (se mettre à la place de) et des objectifs des autres acteurs (apprentissage collaboratif et politique) ;

• Apprentissage cognitif : apprentissage sur les dynamiques environnementales ;

• Dévoilement : le fait de donner à voir aux autres les éléments structurants de sa représentation (valeurs, normes, enjeux portés, etc.). Le fait de se dévoiler participe à l’engagement de la personne dans le processus collectif ;

• Modification temporaire des rapports de force : ce levier résulte des dimensions de second degré et de frivolité du cadre de jeu119, du renforcement de la position des groupes vulnérables par la méthode d’animation utilisée, et de l’apprentissage par les groupes vulnérables des ressources détenues par les groupes les plus favorisés ;

• Re-catégorisation : design de l’artefact permettant de donner à voir aux participants des catégorisations des acteurs et/ou des ressources, différentes d’une part de leurs perceptions habituelles du réseau d’acteurs, et par ailleurs identiques dans le cadre du jeu pour chacun des participants à l’atelier.

119 « La simulation requiert de se détacher de la réalité, et de se soustraire à certaines obligations. Et les interactions avec les

Si ces différents leviers ont déjà été abordés dans les chapitres précédents, ce qui produit la médiation est la concomitance de ces leviers qui s’est opérée durant la session de simulation participative. C’est elle qui a été identifiée comme un facteur explicatif de la possibilité de faire émerger des compris. La mise en situation des acteurs et la mise en scène de leurs interactions permettent aux participants de se mettre à la place des autres, une source d’apprentissage pour l’individu qui le vit. En outre, l’usage de la simulation permet également d’élargir la réflexion aux interactions socio-environnementales, via une prise de recul et un changement de perspective inédit qui tend vers plus de justice dans les relations sociales. La simulation participative va également introduire des décalages par rapport à la situation réelle, en vue de favoriser des changements de positionnement individuel et des accommodements entre intérêts divergents. Elle place les participants dans une réalité différente, un espace de jeu et de test comportant des règles communes qui orientent les « épreuves vers la justice » au sens de Nachi, (2006), et qui suspendent les enjeux réels pour un temps, donc les rapports de force. C’est ce décalage qui permet aux participants de considérer d’autres intérêts que les leurs, d’apprendre sur les autres et sur la ressource, et ainsi de créer un bien commun local au sens de Boltanski et Thévenot (1991). Dans ce contexte, chacun peut observer le fonctionnement des autres, ce qui contribue au dévoilement. C’est donc cet ensemble de facteurs qui participe à créer un climat favorable à la mise en place de concessions réciproques pouvant déboucher sur ces compromis.

Enfin, l’analyse de ce projet a également montré que la constitution de compromis s’est réalisée par l’obtention de concessions réciproques120. Ainsi, lors du deuxième jour de l’atelier, durant la formulation des propositions en sous-groupes puis le choix, ou plutôt la négociation, des propositions à retenir en plénière, les mareyeurs ont accepté la proposition d’une commission de fixation des prix, en contrepartie de l’ouverture à l’export. C’est aussi parce que les représentants du ministère de la Pêche étaient présents à cet atelier que cette négociation a pu aboutir.

Ainsi, ce cas d’étude a permis d’expliciter comme l’effet médiateur autour de l’artefact se produit. Il est le résultat de la combinaison de plusieurs effets, que sont les effets d’apprentissage, l’effet de dévoilement, l’effet de re-catégorisation et la modification temporaire des modes d’interaction habituels entre participants (notamment dans l’optique d’un renforcement des groupes vulnérables). En outre, ce cas d’étude montre clairement que ces effets de l’artefact permettent de créer des situations potentielles de compromis, mais qu’ils ne suffisent pas pour les concrétiser. Pour que cela

120 À ce sujet, Galafassi et al. (2017) ont étudié l’apprentissage associé aux concessions, non pas avec des simulations jouées mais au travers de l’utilisation de toy-models, un autre type d’artefact de simulation pouvant être utilisé de manière participative.

puisse se traduire par des actes, deux autres conditions se sont présentées dans le cas de ce projet. D’une part, une opportunité politique s’est présentée (mise en place du plan d’aménagement, volonté politique de faire participer les « petits pêcheurs artisanaux », présence du rapporteur du PAP-courbine aux ateliers). D’autre part, l’atelier de simulation participative a été suivi de deux jours de discussions, d’arrangements, de négociations, en présence d’acteurs ayant des capacités de négociation et un savoir-faire en matière d’élaboration d’accords collectifs (représentants de syndicats, agents des ministères, facilitateurs professionnels).