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Partie I : Les courants d’influence de la simulation participative

7. Analyse des effets de la simulation participative

7.1. Les effets d’apprentissage

7.1.3. Classification des effets d’apprentissage pour la pratique de la simulation participative

Fort des enseignements issus des différents domaines abordés plus haut, je propose à présent une classification des effets d’apprentissage plus en adéquation avec la pratique actuelle de la simulation participative et à ses usages futurs potentiels.

En premier lieu, et en accord avec la littérature anglophone du point de vue de la terminologie, il parait judicieux d’élaborer une première catégorie d’effets dits cognitifs. Ces apprentissages portent sur les concepts et les associations entre concepts au sujet du système étudié. Le fait qu’il s’agisse d’éléments

techniques ou de connaissances générales sur le système et ses enjeux ne parait pas une distinction utile. La focale dépendra du cas d’application. Associée à ces apprentissages de connaissances, il est important d’inclure dans cette catégorie l’acquisition des compétences permettant d’identifier ces concepts et les systèmes d’interactions associés ; savoir rechercher l’information à leur sujet et savoir la traiter pour la prise de décision.

La catégorie des apprentissages normatifs telle qu’énoncée par den Haan et van der Voort semble davantage associée à une intention de sensibilisation qu’à l’intention de participation qui est étudiée ici. C’est pourquoi je ne la retiens pas cette classification.

En revanche, la catégorie des apprentissages relationnels semble tout à fait judicieuse et est à rapprocher des « apprentissages au sujet des autres » identifiés en modélisation d’accompagnement. Cette dernière inclut les connaissances sur les croyances ou les valeurs des autres ; toutefois, dans la pratique, ces éléments ne ressortent pas sous cette forme des évaluations réalisées. Comme déjà mentionné plus haut, la mise en œuvre de la typologie de Daré et al. (2010) fait plutôt ressortir des apprentissages sur le point de vue des autres, sur leurs rôles dans le réseau d’acteurs ou bien encore sur leurs positions par rapport aux enjeux discutés. En termes de compétences, on trouve ici la capacité à adapter son propre comportement en fonction du point de vue ou des attentes de l’autre.

Une autre catégorie d’apprentissages relève cette fois-ci du travail collaboratif. Les connaissances associées sont l’apprentissage des aptitudes des autres, de ce qu’ils peuvent apporter et des interdépendances entre les acteurs. En termes d’acquisition de compétences, on retrouve ici les compétences communicationnelles : savoir écouter, savoir partager de l’information ou des points de vue, savoir faire confiance à l’autre, développer l’empathie (savoir se mettre à la place de l’autre, tant sur le plan cognitif qu’émotionnel). Cette catégorie recouvre également l’acquisition de capacités à se coordonner et à organiser des tâches collectives.

La dernière catégorie semble davantage relever de l’apprentissage à la décision collective, qui se rapproche de l’apprentissage politique vu plus haut. En termes d’apports de nouvelles connaissances, cette catégorie recouvre la connaissance des instruments (les moyens d’actions et d’évaluation), de leur viabilité et de leurs complémentarités (ou antagonismes) et la connaissance des intérêts des différentes parties prenantes. En termes d’acquisition de compétences, on trouve ici la capacité à négocier, à défendre son opinion dans la construction d’accords collectifs, à rechercher des solutions alternatives, et éventuellement à construire de l’intérêt général.

Catégorie

d’apprentissage Acquisition de connaissances et de compétences (capacités) associées à la catégorie d’apprentissage

Cognitif Connaissance sur le système d’interactions (concepts, incidences des mécanismes d’interactions, hétérogénéité des situations)

Capacité à savoir identifier l’information dans un système complexe, la traiter et la mobiliser en situation de décision

Relationnel Connaissance du point de vue, du rôle et des positions des autres

Capacité à adapter son comportement et son attitude (maîtrise émotionnelle) en fonction des attentes et des positions des autres

Collaboratif Connaissance des interdépendances entre acteurs et des aptitudes des autres Capacité d’écoute, de partage d’informations et de points de vue, d’empathie. Capacité à faire confiance à autrui, à se coordonner et à organiser des actions collectives

Politique Connaissance des instruments (moyens d’action et d’observation), et des intérêts et ressources des parties prenantes

Capacité à négocier, à défendre son opinion, à construire des accords collectifs, à chercher des solutions alternatives répondant à l’intérêt général

Figure 34 : Classification des effets d'apprentissage appliquée à la simulation participative

La Figure 34 synthétise les quatre types d’apprentissage qui viennent d’être présentés. Cette classification des effets d’apprentissage semble plus appropriée à la pratique de la simulation participative. Certains des éléments de cette classification ont pu parfois être évalués sous une autre forme que celle proposée ici, tels ceux de la catégorie des apprentissages politiques. Ainsi, dans sa thèse, Alice Lapijover analyse la capacité des participants à des ateliers de simulations participatives à reconnaitre des instruments (en l’occurrence des instruments d’observation et de gestion des populations de mammifères marins dans le golfe de Gascogne) et à la mobiliser selon une posture stratégique (Lapijover 2018). D’autres éléments de cette classification n’ont pas encore été forcément évalués dans le cadre de la simulation participative, par exemple les éléments de maitrise émotionnelle ou d’empathie. Toutefois, il semble important de les inclure ici, d’une part car ils sont identifiés dans la littérature, et d’autre part parce qu’ils pourraient constituer un terreau fertile pour de futures recherches sur la pratique de la simulation participative. En outre, à l’heure actuelle plusieurs travaux ont été menés ou sont en cours sur l’étude des capabilités associées à la pratique de la simulation participative118. L’angle d’analyse des capabilités vise à rendre compte de la possibilité effective des individus à choisir entre différentes options possibles (des options de développement par exemple), et à atteindre leurs objectifs (Ballet et Mahieu 2009). L’étude des capabilités est complémentaire de celle sur la capacité des individus à choisir. Cette dernière se focalise sur le « sujet capable » d’agir (Ricoeur 1995) et s’intéresse donc aux capacités intrinsèques de l’individu. L’étude des capabilités s’intéresse en revanche davantage à l’environnement de l’individu et interroge très clairement le

118 Les capabilités ont été étudiées par différents auteurs, notamment ceux travaillant sur le domaine de l’analyse critique des processus participatifs (van den Hove 2000, Pelenc 2014, Pelenc et al. 2015, Pelenc et Ballet 2015, Seguin 2016, 2018, Aiguier 2017). Dans le cadre de la pratique de la simulation participative, les travaux qui abordent ce concept commencent tout juste. On peut citer par exemple le travail de Daniau (2016), ou plus récemment la thèse de Sarah Loudin, soutenue en octobre 2019, qui porte notamment sur la redistribution des capabilités analysée au travers du kit de jeu WAG (Loudin 2019).

niveau de liberté offert à l’individu pour réaliser ses choix (Sen 2004). Ces études seront certainement l’occasion de mieux cerner et d’analyser les effets d’apprentissage, notamment en ce qui concerne les apprentissages politiques et collaboratifs.

Ce chapitre a permis d'étudier les travaux menés, dans les domaines du simulation and gaming et de la modélisation d'accompagnement, sur les différents apprentissages et acquisitions de compétences. Ces travaux permettent aujourd'hui de mieux comprendre ces effets et de les analyser, tant du point de vue du design du dispositif que des répercussions potentielles au niveau des arènes d’actions sur le territoire. Toutefois, les méthodologies d'évaluation à l’heure actuelle sont extrêmement variées, tant au niveau du type d'analyse menée (analyse quantitative, analyse qualitative, ou encore un mélange des deux), qu'au niveau de la façon de les mettre en œuvre (certaines évaluations prennent plusieurs années, le temps d'une thèse, d'autres sont mises en œuvre beaucoup plus rapidement et sur des échantillons plus larges). L'une des questions qui continue à se poser pour les années à venir est celle de la mise en œuvre de procédures d’évaluation des effets d'apprentissage pouvant s’adapter à une pratique hors du cadre de la recherche. L’objectif serait de permettre la réalisation de suivis réguliers des dispositifs déployés sur le terrain. Les contours de cette question seront examinés au Chapitre §9.1.