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Partie I : Les courants d’influence de la simulation participative

4. Les jeux sérieux

4.2. Différents types et intentions de jeux sérieux

4.2.2. Différents formats de jeux sérieux à but éducatif

4.2.2.1. Du jeu sérieux mono-joueur en ligne aux plateformes professionnelles grand format

Les jeux sérieux, dont l’intention est de transmettre un message ou des compétences dans un but éducatif, peuvent être destinés à des enfants ou à des adultes63. Squire et Jenkins (2003) ont montré la grande diversité des formats de jeux sérieux existants 64.

Un premier format est le jeu vidéo mono-joueur que l’on rencontre habituellement sur le net. Il s’agit de jeux sérieux dont le but est de comprendre des concepts et/ou le fonctionnement d’un système, par exemple un bassin versant, l’évolution des civilisations, l’acidification des océans, ou encore les systèmes de gestion des déchets65 ou la gestion d’une entreprise. Ces jeux sérieux fonctionnent la plupart du temps comme des micro-mondes où l’utilisateur est mis en situation de gérer des ressources, d’associer des concepts et de réaliser un cheminement dans l’univers du jeu qui lui permet d’interagir avec le contenu éducatif proposé. La sophistication des jeux sérieux de ce type varie énormément. Certains, que l’on trouve sur le net, sont minimalistes. D’autres proposent des contenus permettant des séances de jeu de plusieurs heures, en 3D, et ayant nécessité plusieurs années de développement. Deux exemples de ce premier format de jeu sérieux sont Le Bon, la brute et le comptable, un jeu sérieux pour saisir à quel point la corruption est banale, et The Uber game, un jeu sérieux construit à partir de témoignages de chauffeurs Uber, qui nous plonge dans leur quotidien66. Un autre type courant de ces jeux en ligne mono-joueur dont l’intention est de transmettre des connaissances est le quizz. Ces jeux-questionnaires peuvent être agrémentés d’images pour favoriser

63 Parfois le terme « jeu éducatif » est réservé uniquement à des jeux sérieux destinés à des enfants. Ce chapitre se positionne dans le cadre du game-based learning qui, lui, ne différencie pas l’âge du public cible.

64 Se situant dans le domaine du game-based learning, les travaux de Squire et Jenkins se réfèrent tout autant à des jeux sérieux qu’à du serious gaming.

65https://www.sytrad.fr/jeux-interactifs.html

66Plusieurs bases de données en ligne de jeux sérieux existent, notamment serious.gameclassification.com, serious-game.fr

l’immersion et de mini-activités ludiques pour favoriser le flow, et peuvent contenir plusieurs niveaux de contenu éducatif67.

Un deuxième format est le jeu vidéo d’exploration individuelle, laissant place à la découverte et à l’imagination. Il peut s’agir par exemple d’une adaptation onirique d’une œuvre afin que l’utilisateur l’interprète de manière personnelle. Ce peut également être la découverte du tombeau de Toutankhamon, pour que l’utilisateur puisse s’imprégner de la portée historique de cette découverte. Dans ce type de jeu, « chaque élément est soigneusement conçu pour véhiculer une signification à la fois symbolique et littérale » (Squire et Jenkins 2003). Le jeu Enterre-moi, mon Amour, qui raconte l’histoire de Nour alors qu’elle fuit la Syrie et tente de rejoindre l’Europe, est un bon exemple de ce type de jeu.

Un troisième format est le jeu-vidéo d’entrainement. Il s’agit ici d’un jeu visant à entrainer des étudiants ou des professionnels à gérer des situations d’urgence ou de crise. C’est par exemple le cas du jeu Biohazard: Hot Zone, destiné à aider les premiers intervenants d’urgence à faire face aux déversements toxiques dans des lieux publics. Le joueur effectue une course contre la montre pour sauver les civils. Le jeu consiste à analyser et à évaluer rapidement la situation, faire équipe, et comprendre les produits chimiques, les virus et les symptômes. Les participants apprennent également à quel point des comportements imprévisibles peuvent être très stressants dans des situations d'urgence. Un autre exemple similaire de dispositif d’entrainement est VULCAIN68, un simulateur tactique conçu pour la formation nationale des sapeurs-pompiers à la gestion des dispositifs de lutte contre les feux de forêt. L’intérêt d’un tel dispositif est de pouvoir s’entrainer sans risque. Le jeu se joue seul, mais plusieurs postes sont installés durant une séance d’entrainement, qui dure en général une journée. Les joueurs peuvent ainsi expérimenter une multitude de conditions différentes, en examinant en quoi les stratégies doivent différer en fonction des conditions de l’environnement, de la propagation de l’aléa ou encore des configurations des équipes. Le but des apprenants est d’améliorer leur capacité à lire les situations d'urgence et à en prédire les résultats probables.

Le quatrième format correspond au jeu-vidéo multi-joueurs à but éducatif69. Ce format permet aux utilisateurs de comprendre le fonctionnement de communautés ou de groupes sociaux, en reflétant leurs différents intérêts et leurs opinions, qui peuvent s’opposer. Il simule la vie sociale, économique et politique d'une communauté particulière. Il aide les apprenants à mieux comprendre comment et pourquoi les acteurs prennent certaines décisions. Par exemple, dans le jeu de rôles multi-joueurs

67 Les sites https://www.jeuxserieux.ca/ et http://www.chouette.cool/ montrent des exemples de jeux-questionnaires. Certains de ces jeux peuvent être multi-joueurs.

68 Vidéo du simulateur VULCAIN disponible : https://www.youtube.com/watch?v=agZloeBOa0s. Voir également le site du concepteur http://www.vr-crisis.com/?article30.

Revolution70 développé par le MIT, les joueurs découvrent les forces sociales et politiques qui ont contribué à la révolution américaine. Ce type de jeu peut aider au développement d’un certain nombre de compétences, comme l’aptitude à la réflexion stratégique, à la planification, à la communication, à la collaboration, à la négociation ou à la prise de décision en groupe. Ce format de jeu sérieux multi-joueurs peut aussi très bien s’appliquer à la gestion collective des ressources naturelles ou à d’autres enjeux environnementaux ; il correspond à un emploi de la simulation participative dans un cadre éducatif (le chapitre suivant traite plus amplement de ce format).

Un autre format correspond à une extension du précédent ; il s’agit des MMORPG (Massively Multiplayer Online Role Playing Games), ou jeux de rôles massivement multijoueurs en ligne. Il s’agit de jeux vidéo proposant des mondes virtuels persistants, où une multitude de joueurs sont en situation d’interaction sociale. Ces jeux créent une réelle microsociété avec ses valeurs, ses activités, ses groupes sociaux, dans laquelle les joueurs doivent souvent collaborer pour résoudre des problèmes, en utilisant leurs connaissances et leurs capacités respectives. Les MMORPG sont développés dans un but de divertissement, mais leur usage peut être détourné dans un but de serious gaming. Par ailleurs, Patrick Schmoll et sa fille Laurence ont quant à eux développé il y a une dizaine d’année un prototype de MMORPG à but éducatif, spécifiquement dédié à l’apprentissage du français – le jeu Thélème71 (L. Schmoll 2011, Schmoll et Schmoll 2012, Schmoll 2016). Ce format de MMORPG est également exploré par différents praticiens de la Communauté francophone des sciences de l’éducation et de l’informatique, qui se retrouvent notamment lors de la conférence bisannuelle sur les environnements informatiques pour l'apprentissage humain (EIAH)72.

Le dernier format identifié par Squire et Jenkins est le jeu pervasif. Le jeu pervasif est un type de jeu qui intègre des interfaces émergentes (réseau sans fil, géolocalisation, capteurs) afin de créer une expérience de jeu qui combine des éléments des mondes réel et virtuel. Le terme vient de l’anglais « pervasive games » et correspond à un format proche de celui du jeu en réalité alternée. Un ambassadeur adéquat de ce type de jeu est Environmental Detectives73. Le caractère novateur de ce type de jeu est engageant pour les élèves. Le rapprochement de la situation de jeu avec la réalité est particulièrement intéressant pour permettre à l’apprenant de contextualiser les informations que lui transmet l’interface de jeu avec des éléments d’observation ou de connaissance du monde réel. Le jeu

70http://web.mit.edu/mitstep/projects/revolution.html

71 Les Eonautes et Thélème– Deux jeux sérieux pour apprendre le français langue étrangère, le premier est un support didactique ludique permettant un accès différencié à une console enseignant et à une console apprenant, le deuxième est un jeu massivement multi-participants.

72 La conférence principale EIAH est bisannuelle (EIAH2019, EIAH2017, EIAH2015) et alterne avec les rencontres jeunes chercheurs en EIAH (RJC EIAH 2018, RJC EIAH 2016, RJC EIAH 2014). Les RJC EIAH de 2014 se sont tenues à La Rochelle (Caron et Champagnat 2014).

73 http://web.mit.edu/mitstep/ar/ed.html. Dans l’univers du jeu vidéo à but de divertissement, un représentant du jeu pervasif est Pokémon GO (alors que le but premier de Environmental Detectives est éducatif).

pervasif apporte en outre des contraintes issues du monde réel dans la situation de jeu, notamment des perturbations qui vont troubler la situation de jeu (par exemple un lieu qui n’est pas accessible à cause de travaux, ou bien un groupe de personnes extérieures au jeu qui vient changer une situation de jeu). Le gameplay des jeux pervasifs devient alors proche de celui qu’on peut trouver dans des exercices de simulation grandeur réelle74, qui sont notamment pratiqués dans le domaine de la sécurité et de la gestion de crise (exercices de simulation de catastrophes naturelles, d’évacuation en cas d’incendie, de sécurité dans un tunnel, d’attaque terroriste, etc.). Dans ces exercices, les joueurs doivent composer avec l’environnement réel, les délais d’exécution, la manutention d’objets et les biais de communication en situation réelle ; autant de facteurs qui entrent dans le gameplay et qui sont débriefés en fin d’exercice (voir par exemple l’exercice de simulation de crise « Leucate 2016 »75 (Anselme et al. 2015).

Une autre pratique ludique commence également à se développer sous l’appellation « Playable City ». Initié par la ville de Bristol au Royaume-Uni en 2012, il s’agit de considérer les villes comme des lieux de jeux en introduisant des activités ludiques dans les aménagements urbains, et ce afin de rendre le citoyen acteur de son territoire. En pratique, il s’agit bien souvent de projets utilisant la technologie pour connecter les individus entre eux et leur environnement. Les jeux numériques proposés encouragent les citoyens à repenser et à proposer des améliorations concernant les services, les aménagements urbains et l’histoire de leur ville.

Ce chapitre a présenté la variété des formats des jeux sérieux, qui va du simple jeu sérieux mono-joueur sur internet à des formats professionnels extrêmement sophistiqués, avec des moyens financiers et humains considérables dédiés au développement, sans commune mesure avec ceux utilisés dans le cadre de la recherche. À ce compte, il n’est pas surprenant que nombre de praticiens du jeu sérieux ayant d’abord évolué dans un cadre de recherche se soient mis à leur compte ou aient été recrutés par des bureaux de développement dédiés aux jeux sérieux à destination des professionnels. Le marché du jeu sérieux éducatif est un secteur tout aussi florissant que celui de la démocratie participative (Mazeaud et Nonjon 2018). Le chapitre qui suit s’intéresse de plus près aux jeux multi-joueurs.

74 La dénomination exacte des exercices de simulation grandeur réelle utilisés en France par la DGSCGC (Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises) est « exercice terrain ». Le terme apparait dans l’annexe de la loi du 13 août 2004 sur la modernisation de la sécurité civile. Celle-ci définit deux types d’exercices de sécurité civile. « L’exercice cadres et d’états-majors » est un exercice sur table, en salle de crise, n’impliquant pas d’engagement de moyens sur le terrain. Les joueurs reçoivent des informations par radio, téléphone, fax, télévision, messagerie internet et doivent analyser, synthétiser, puis réagir, rendre compte, faire des propositions, définir des priorités et faire des choix. « L’exercice terrain » englobe les exercices où des hommes et des matériels sont déployés sur « le terrain ». Il permet notamment de tester en grandeur nature les délais d’acheminement et de mise en œuvre des matériels. Ce type d’exercice peut impliquer ou non la population (Direction de la sécurite civile 2011).

4.2.2.2. Le cas des jeux sérieux multi-joueurs pour l’apprentissage social

Des exemples de jeux sérieux multi-joueurs ont été évoqués précédemment dont notamment le jeu Pollution-Solutions (Rouchier 2018). Ce type de jeux est particulièrement intéressant, car, comme l’a montré Élise Lavoué (Lavoué 2012), leur intention est éducative et ils s’appuient sur les interactions entre les joueurs pour produire un apprentissage, que l’on nomme apprentissage social76. Les « social learning games »77 sont des jeux qui améliorent l'apprentissage en proposant à un groupe de personnes, que l’on appelle une communauté d’apprentissage, des contenus éducatifs conçus selon un scénario d'apprentissage défini, et en offrant à cette communauté les conditions propices à un apprentissage social (Lavoué 2012). Ces jeux visent à combiner deux types d’apprentissage, celui par le jeu et celui social, dont l’entrelacement est susceptible d’améliorer l’apprentissage en termes de connaissances cognitives et d’acquisition de compétences (Lavoué 2012).

Figure 13 : Les composantes des social learning games (source : Lavoué 2012)

Les composantes d’un social learning game identifiées par Lavoué sont (Figure 13) :

• Des prises de décision et du contenu éducatif associés aux résultats de décisions, ce qui est commun à tous les learning games.

• Des discussions contextualisées pour aider à la prise de décisions.

• Du capital social qui s’accumule au cours du jeu et reflète le niveau de participation des participants à la communauté.

76 Dans leur réponse à un article, Reed et al. (2010) proposent d’associer le terme d’apprentissage social aux apprentissages qui se produisent au travers des interactions sociales. Ces interactions ont lieu à différentes échelles : à l’échelle d’un temps collectif au cours duquel des débats et des échanges d’idées entre les participants ont lieu ; ainsi qu’à l’échelle plus large du réseau d’acteurs (e.g. le réseau des arènes de l’action d’un territoire) au sein duquel des idées circulent, des retours d’expérience sont échangés et des propositions sont faites. Dans la suite de ce travail, le terme d’apprentissage social est la plupart du temps utilisé en référence aux apprentissages se produisant à l’échelle d’un temps collectif, par exemple le temps d’un atelier de jeu.

77 Les « social learning games » sont un type de learning game. Ce qui les différencie des multiplayer learning games, c’est qu’ils sont conçus explicitement pour offrir un cadre propice à l’apprentissage social.

• Un dashboard, qui est un tableau de bord présentant des indicateurs sur la participation des membres de la communauté et sur l’impact de leurs décisions à différents niveaux : au niveau individuel, au niveau de l’ensemble des joueurs ayant le même rôle, et au niveau de l’ensemble de la communauté. Ce tableau de bord permet au joueur de se positionner et de l’amener, par une pratique réflexive, à se poser des questions sur ses choix et sa contribution au collectif (Lavoué 2012).

Ce chapitre a permis d’examiner les différents formats de jeux sérieux qui existent ; et plus précisément les social learning games, dont l’intention et le format sont particulièrement proches de la pratique de la simulation participative. Avant d’étudier les travaux réalisés au sujet des apprentissages produits par la pratique du jeu sérieux, le chapitre suivant examine un dernier format, le serious gaming, et son application à la géographie.