• Aucun résultat trouvé

Partie I : Les courants d’influence de la simulation participative

5. La modélisation d’accompagnement

5.3. Design-In-the-Small de ComMod

5.3.1. Outils et méthodes mobilisés en modélisation d’accompagnement

5.3.1.4. Combinaison des jeux et simulation

Ce chapitre a présenté les avantages et les inconvénients des différentes formes de modèles opérationnels. Leur complémentarité a conduit les praticiens de la modélisation d’accompagnement à essayer différentes combinaisons d’utilisation de jeu (informatisé ou non) et de simulation informatique (sans jeu).

En premier lieu, rappelons le cadre de l’utilisation conjointe d’un jeu et d’un modèle informatique tel que conceptualisé par Olivier Barreteau (2003). Précisions, avant d’aller plus loin, que celui-ci parle de modèle informatique au sens large, que ce soit un modèle de calcul de débits d’eau par exemple, ou un modèle de simulation des interactions sociales au sein d’un périmètre irrigué. Ce cadre d’analyse s’applique à toutes les formes d’usages conjoints des modèles et des jeux et pas seulement à ceux à but participatif. Barreteau pose le problème en ces termes : le jeu et le modèle informatique partagent-ils le même modèle conceptuel et sont-ils utilisés de manière concomitante ou successivement, l’un après l’autre (Barreteau 2003) ? Il s’intéresse alors à deux cas : celui où ils sont utilisés de manière concomitante mais ne partagent pas le même modèle conceptuel et celui où ils sont utilisés de manière successive et partagent le même modèle conceptuel.

Lorsque le jeu et le modèle sont utilisés de manière concomitante pour des tâches spécifiques, l’auteur considère trois configurations possibles :

1.a. Le modèle est intégré au jeu. Le modèle sert alors l’un des aspects du jeu, comme la modélisation d’une dynamique environnementale particulière dans le jeu.

1.b. Le modèle vient étendre le jeu en permettant de simuler l’effet que les décisions prises dans le jeu peuvent avoir sur d’autres facteurs ou à d’autres échelles.

1.c. Le jeu est utilisé pour expliquer ce qu’il y a dans le modèle ; il permet d’ouvrir la boite noire du modèle.

Dans le deuxième cas, lorsque le jeu et le modèle partagent le modèle conceptuel et sont utilisés successivement l’un après l’autre, Barreteau entrevoit les configurations suivantes :

2.a. Le modèle est utilisé après le jeu, pour simuler et explorer des scénarios qui auraient été définis et choisis à l’aide du jeu.

2.b. Le modèle est utilisé après le jeu, pour simuler les actions entreprises dans le jeu afin de pouvoir les réexaminer (dans un but de recherche ou d’analyse réflexive).

2.c. Le jeu est utilisé après le modèle, pour mettre en discussion les hypothèses du modèle, le valider et/ou l’enrichir en faisant ressortir des dynamiques sociales dans le jeu qui n’auraient pas été identifiées lors de la conception du modèle.

2.d. Le modèle est utilisé avant le jeu pour permettre de calibrer le jeu en analysant l’effet de différentes configurations possibles des paramètres du jeu.

Dans le cadre de l’usage participatif des jeux et des modèles, le cas 1.a est extrêmement fréquent, étant donné que la plupart des jeux en configuration hydride intègrent des modèles de simulation des dynamiques environnementales ; la section suivante examinera plus en détail ce cas. Le cas 1.b et le cas 2.b sont, dans un cadre participatif, finalement assez proches ; il s’agit plutôt d’utiliser le modèle juste après le jeu de rôles (souvent dans la continuité immédiate de la session) pour analyser le prolongement de ce qui a été réalisé dans le jeu. C’est le cas par exemple du jeu FisHcope, où en fin de partie, l’animateur peut simuler automatiquement la suite de la partie qui vient d’être jouée (le modèle reproduit automatiquement N fois, de manière successive, les actions effectuées par les joueurs durant la partie). Les participants peuvent ainsi analyser l’impact sur le long terme de leurs actions (Lapijover 2018, Berry et al. 2019a). Les cas 1.c et 2.c sont également assez proches finalement dans un cadre participatif. En effet, il s’agit ici pour les participants d’interroger le modèle. Le jeu est un moyen d’accéder à ce modèle ; peu importe qu’il soit basé exactement sur le même modèle

conceptuel ou sur une conception assez proche de ce dernier94. Cela a été parfaitement illustré par l’une des applications historiques de la modélisation d’accompagnement, l’utilisation du jeu Njoobari à la suite du modèle Shadoc (Barreteau et al. 2001) ; il s’agit d’un jeu pour ouvrir la boite noire du modèle. Le jeu de rôles permet d’ailleurs dans de nombreux cas à un observateur de mieux comprendre les usages et les interactions sociales à l’œuvre, ce qui peut alors conduire au développement d’une nouvelle version du modèle informatique, plus riche. Un autre exemple plus récent est le jeu GPMax développé dans le cadre de la thèse d’Alice Lapijover (Lapijover 2018, Lapijover et al. 2018a). Le jeu vise ici à dévoiler le fonctionnement d’un programme scientifique et des modèles qu’il mobilise, et à réinterroger leur légitimité. Le cas 2.a – l’utilisation d’une simulation informatique à la suite d’un jeu de rôles pour explorer des scénarios – est également assez fréquent. C’est le cas d’une autre des applications historiques de la modélisation d’accompagnement, SelfCormas (d’Aquino et al. 2001b, 2003). C’est également le cas de nombreuses autres applications qui ont suivi (Castella et al. 2005, Naivinit et al. 2010, Worrapimphong et al. 2010, Barnaud et al. 2012). Le jeu de rôles permet d’introduire le modèle conceptuel (voire de le concevoir en partie), et la simulation informatique permet ensuite d’explorer toute une palette de scénarios95. Enfin, le cas 2.d ne revêt pas de caractère participatif en particulier. Il s’agit d’un élément de méthode sur la façon d’élaborer un jeu de rôles, ce qui peut s’avérer particulièrement important mais n’est pas directement lié à l’appui aux acteurs des territoires.

Ainsi, ces différentes combinaisons des jeux et simulations ont montré comment les praticiens de la modélisation d’accompagnement ont cherché à utiliser les apports respectifs des différents modèles opérationnels. La tendance forte à l’heure actuelle est le développement d’applications hybrides, cherchant à combiner de différentes façons la dimension « espace d’échanges et d’interactions sociales » des jeux et la dimension « capacité exploratoire » des simulations informatiques. Si l’innovation technique des recherches menées en ce sens est intéressante, elle ne doit en rien cacher deux autres tendances fortes à l’heure actuelle parmi les praticiens des jeux et simulations. Il s’agit d’une part du fait que de nombreuses applications se font sans recours à l’informatique, ou très peu, ce qui permet d’éviter les inconvénients de l’informatique, que seront étudiés au Chapitre §8.1.2. D’autre part, l’utilisation d’un jeu de rôles (partiellement informatisé ou non) suivi d’une simulation informatique est une combinaison particulièrement bien adaptée à l’accompagnement des acteurs locaux ; elle est souvent utilisée dans les projets d’appui au développement.

94 À contrario, il n’y a pas d’application pouvant correspondre aux cas 1.c ou 2.c, où le jeu permettant de mettre en discussion le modèle soit conceptuellement totalement éloigné de ce modèle.

95 Christophe Le Page, dans son Habilitation à diriger des recherches (2017), a réalisé un travail important pour recenser les processus où la simulation informatique a soit précédé, soit succédé le jeu de rôles.