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Partie I : Les courants d’influence de la simulation participative

5. La modélisation d’accompagnement

6.2. Les déclinaisons de l’intention participative

Comme David Crookall le rappelle, l’utilisation de tout dispositif de gaming/simulation implique de se poser la question du pourquoi (Crookall 2010). Alors, pourquoi utiliser un dispositif de simulation participative ?

Rappelons-le, l’intention est participative. Le dispositif est déployé pour permettre un partage entre les utilisateurs du contrôle de la simulation. Pourquoi mettre en œuvre un tel dispositif ? Parmi les usages actuels, il est possible d’identifier trois déclinaisons de l’intention participative.

6.2.1. L’apprentissage à une communication complexe

Un atelier de simulation participative est un espace de communication et d’échanges (d’Aquino 2016), un multilogue selon Duke (Duke 1974) (-logue : qui a rapport avec un type de discours ou de relation), c’est-à-dire une forme de communication multidirectionnelle et multiforme (orale, gestuelle, symbolique), où le sens donné aux actes est socialement construit. De l’extérieur, cette communication multilogue peut sembler chaotique, mais de l’intérieur, les interactions que les participants ont avec la situation de jeu (les éléments de jeu et les joueurs) prennent un sens qui relève de leurs rapports avec les autres dans le jeu, et de ce qu’ils projettent de leur propre réalité sur cette situation de jeu.

À partir du moment où le participant s’investit dans le jeu, c’est-à-dire qu’il décide d’adopter une attitude ludique dans ses différentes dimensions (cognitive, affective et conative, cf. Chapitre §3.2), l’expérience vécue dans cet espace de dialogue multilogue va l’amener à s’interroger et à apprendre sur les situations auxquelles il a été confronté et les choix qu’il a faits. Il s’agit du temps du débriefing,

qui sera abordé par la suite. Ce temps réflexif est le moment où le participant s’interroge sur ses choix durant le jeu (introspection) et sur son rapport aux autres (décentration). L’apprentissage du multilogue, d‘une communication complexe est l’intention participative du dispositif. Elle consiste à apporter aux participants les capacités à jouer un rôle dans cet espace de communication complexe (Rouchier 2018) ; autrement dit, elle vise un épanouissement cognitif, social et politique afin que les participants soient en capacité de jouer un rôle actif dans un monde complexe.

L’apprentissage de cette forme de communication peut s’expliquer par le passage d’une communication autocentrée/unidirectionnelle à une communication complexe, selon quatre dimensions (Figure 27).

Élaboration du sens Positiviste Constructiviste

Nature des idées Vraie / Fausse Réfutable

Message transmis Valeurs (bien / mal) Arguments

Nature du dialogue Confrontation de positions

(défense / imposition) Délibération

Figure 27 : L’apprentissage d’une communication complexe

Dans une forme de communication complexe, le sens des choses n’est pas établi d’avance, il est socialement construit. Les idées, qu’elles soient exprimées sous la forme d’un avis ou d’un modèle scientifique, ne sont ni vraies ni fausses, elles sont réfutables (d’Aquino et Richebourg 2015, d’Aquino 2016). Ce que l’on s’échange, ce ne sont pas des valeurs sur les choses (cela est bien ou mal), mais des arguments. La nature du dialogue, c’est-à-dire l’échange d’idées, de sens et de messages, n’est pas une confrontation mais une délibération, qui s’apprend par l’expérience du multilogue vécue dans la simulation participative.

6.2.2. Penser le territoire dans sa complexité

Comprendre un système complexe, l’appréhender dans ses différentes formes qui varient en fonction du point de vue que l’on porte dessus (points de vue disciplinaires, thématiques, pragmatiques), dépasser le raisonnement direct des causes et conséquences pour savoir reconnaitre les phénomènes émergents d’un système d’interactions, tels sont les objectifs du développement d’une pensée systémique.

L’objectif de la diffusion d’une culture de la pensée complexe se retrouve sous différentes formes. Par exemple, Uri Wilensky déploie sa plateforme de modélisation multi-agents NetLogo auprès des collégiens et des lycéens aux États-Unis, qui simulent et manipulent des modèles complexes (Wilensky

et Stroup 1999, Jacobson et Wilensky 2006)106. Dennis Meadow, de son côté, diffuse le manuel The

climate change playbook, qui met à disposition du grand public des jeux pour appréhender la

complexité des mécanismes et des enjeux du changement climatique (Meadows et al. 2016). La simulation participative telle que pratiquée aujourd’hui poursuit un même objectif, appliqué cette fois-ci au territoire et dans une optique d’exploration collective des possibles.

Le territoire est omniprésent dans une simulation participative, au moins sous trois formes. L’artefact est une représentation du territoire107. Jouer à une simulation participative revient à mettre en action ce territoire en y incluant les jeux d’acteurs et sa complexité sociale. Enfin, la simulation participative est un miroir de la réalité et permet de penser le territoire dans lequel on s’inscrit. Ainsi, derrière cette démarche de « systems thinking108 » qui intègre le facteur humain et que l’on pourrait décrire ici par « jouer avec le territoire et le comprendre », l’intention participative est que les participants puissent être acteurs de leur territoire, car ils en comprennent les mécanismes, les interdépendances et les enjeux, qui leur permettent de penser le territoire autrement et d’agir.

La deuxième dimension de cette pensée sur le territoire est celle de la simulation. Pour reprendre les principes 1 et 5 d’une pratique libérée de la modélisation et de la simulation en géographie et en SHS (Banos 2013), « modéliser c’est apprendre » et « simuler c’est explorer des possibles ». Dans une simulation participative, les participants explorent des possibles du territoire, testent et inventent des solutions et des stratégies pour chercher à répondre à des enjeux collectifs (Ulrich 1997b). Parfois, conceptualiser un système complexe ne suffit pas pour l’appréhender, il faut également le simuler pour en comprendre les tenants et les aboutissants (Banos 2010). La simulation participative offre cette possibilité, non pas de comprendre le territoire, mais de penser collectivement le territoire dans sa complexité.

Cette intention de la simulation participative se retrouve dans de nombreuses applications. À chaque fois, il s’agit d’un groupe de personnes, souvent hétérogène, rassemblé autour de l’artefact et d’un même questionnement. Au vu des enjeux actuels, ce questionnement est souvent celui de la transition écologique et sociale. Par exemple, dans TEPOS-le jeu, les participants cherchent à répondre à la question : « c’est quoi notre projet de territoire à énergie positive ? » (Anselme et al. 2016). Dans

106 Au travers de l’enseignement des systèmes complexes avant la terminale, soit en passant par une simulation participative multi-joueurs (Wilensky et Stroup 1999), soit en permettant à l’adolescent de jouer avec la simulation au travers d’une interface ergonomique (Blikstein et Wilensky 2004), l’objectif est de permettre « aux futurs citoyens, acteurs professionnels et décideurs de pouvoir faire face aux enjeux sociétaux et globaux du 21ème siècle » (Jacobson et Wilensky 2006).

107 La dimension d’espace du territoire est quasiment systématiquement représentée (Becu et al. 2010a), sous une forme ou une autre (voir Figure 37), de même que les dimensions humaines et d’usages.

108 Deux sens peuvent être accordés à « systems thinking ». D’une part, le terme peut se traduire par « pensée systémique ». D’autre part, il peut se référer à la démarche de systems thinking. Cette démarche vise à identifier, à voir, à caractériser les structures et les fonctionnements sous-jacents d’un système complexe, afin de pouvoir le changer. “Seeing a pattern is the

first step, and then working to shift it to redesign the set of interconnections to produce the behavior that you want [as an educator]” (Sweeney 2018).

d’autres cas, le questionnement est autour d’un projet urbain social et résilient à l’époque du changement climatique (Berry et al. 2019b). L’objectif pour les participants est de pouvoir appréhender leur rôle dans cette transition. Dans certains cas, le jeu s’adresse à un public adulte, par exemple dans « World Climate simulation » où il s’agit de négocier les accords internationaux pour réduire les gaz à effet de serre (Sterman et al. 2015). Dans d’autres cas, le jeu s’adresse à des enfants pour appréhender les enjeux des territoires dans lesquels ils s’inscrivent (Delage et al. 2009, Gourmelon et al. 2010b, 2011, Rouchier 2018)

6.2.3. Accompagner de l’action collective

Le contrôle sur la simulation, qui est ce qui rassemble les différentes pratiques de la simulation participative, est enfin également utilisé à des fins d’accompagnement de l’action collective auprès des acteurs des territoires.

Dans cette intention, la simulation participative est l’outil d’une démarche territoriale plus large, dans laquelle l’artefact de simulation est souvent co-construit avec des acteurs provenant des différentes échelles du territoire et représentant différents usages (d’Aquino 2015, Becu et al. 2016d, Tshibangu et al. 2018). La co-construction de la simulation est notamment le processus par lequel l’échange entre les différentes échelles de gouvernance peut se produire (Ducrot et al. 2010a, d’Aquino et Bah 2014, Amalric et al. 2017).

Cette pratique de la simulation participative est très proche, voire se confond, avec ce que l’on appelle les policy games dans le domaine du simulation and gaming (Mayer et al. 2013). L’objectif est d’accompagner des acteurs locaux dans la construction d’actions collectives sur leur territoire. Ces acteurs peuvent être des décideurs des affaires maritimes (Mayer et al. 2014b), des gestionnaires de parcs marins (Lapijover et al. 2017b), ou bien encore des agriculteurs, des forestiers et des naturalistes du causse Méjan (Etienne et Le Page 2004).

Dans cette pratique de la simulation participative, la prise en compte des relations de pouvoir et des inégalités entre acteurs est une préoccupation constante des porteurs de projet. Les porteurs adoptent une posture d’accompagnement (Barnaud et al. 2016) qui, dans le cas de la simulation participative, peut se décliner en trois modalités.

• Posture de neutralité dans le cas de faibles asymétries de pouvoir ; • Dans le cas de fortes asymétries de pouvoir :

• Posture de neutralité conditionnelle ;

• Posture de non-neutralité au nom d’une concertation équitable109. Ces différentes postures sont décrites au Chapitre §5.4.2.