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Partie I : Les courants d’influence de la simulation participative

2. Le domaine du simulation and gaming

2.5. Le débriefing

2.5.1. Le rôle du débriefing

Le débriefing correspond au temps après le jeu où les participants échangent ensemble sur l’expérience vécue durant la simulation pour en tirer des enseignements. Les praticiens du simulation

and gaming ont intensivement étudié ce temps des ateliers de gaming/simulation, qu’ils considèrent comme tout aussi important, voire plus important, que le temps de jeu. Parmi les différents praticiens, David Crookall, qui a été l’éditeur principal de la revue Simulation & Gaming de 1989 à 201539, s’est beaucoup intéressé au rôle du débriefing (Crookall 2010, 2014).

En premier lieu, il considère que le débriefing joue un rôle éthique dans la tenue d’un atelier de gaming/simulation. En effet, les participants ont accepté de participer à un atelier au cours duquel les animateurs leur ont demandé de s’engager pleinement dans une activité préparée pour l’occasion. Il est donc normal que les participants puissent ensuite poser des questions sur cette activité, avoir un retour de la part des animateurs concernant la manière dont a été préparé le contenu de cette activité, donner leur avis à ce sujet et échanger avec les autres participants. Si cela est vrai pour n’importe quelle activité, ça l’est d’autant plus pour le simulation and gaming. En effet, d’une part, l’activité à laquelle ils ont participé est une simulation de la réalité construite par d’autres ; ils ont donc besoin de mettre en perspective cette simulation par rapport à la réalité qu’eux perçoivent et de comprendre comment cette simulation a été construite et en débattre. D’autre part, les participants s’investissent cognitivement et émotionnellement dans l’activité. Ils vivent une expérience au cours de laquelle ils peuvent potentiellement ressentir différentes émotions plus ou moins fortes : satisfaction mais également frustration, colère, ou encore excitation. Après le temps de jeu, il est donc important qu’ils puissent exprimer leurs émotions et les partager.

Crookall insiste par ailleurs sur un autre aspect primordial du débriefing (si ce n’est le premier) : l’apprentissage commence avec le débriefing (Crookall 1992, 2010). Il correspond à la phase de traitement de l’expérience vécue durant le jeu et aux phases de réflexivité et de conceptualisation du cycle d’apprentissage expérientiel de Kolb (Kolb 1984). C’est lors du débriefing que les expériences vécues sont transformées en apprentissages. Ne pas conduire de débriefing reviendrait alors à faire vivre aux participants une expérience, qui peut avoir été plaisante, mais pour laquelle on ne donne pas les clés afin de l’interpréter et en tirer quelque chose ; ce ne serait tout simplement pas éthique (Crookall 2014).

39 Clapper rend compte dans son éditorial de 2016 des apports de Crookall à la structuration du domaine au cours de ses 26 années d’édition de la revue Simulation & Gaming (Clapper 2016).

Au cours des chapitres suivants, le rôle du débriefing sera examiné à nouveau à plusieurs reprises, notamment au travers de son articulation avec la production de connaissances (cf. Chapitre §7.1.1) et sur la façon dont les participants s’engagent dans le débriefing (cf. Chapitres §6.3.2 et §9.3.1). La suite de ce chapitre présente la structure du débriefing, en prenant notamment l’exemple de la structure utilisée par Dennis Meadows.

2.5.2. La structure du débriefing

Meadows utilise pour ces différents jeux (Stratagem, FishBanks ou bien encore les jeux décrits dans

Systems Thinking Playbooks) une structure de débriefing (Meadows et al. 2000, 2016, Sweeney et al.

2011) qui reprend la structure classique et couramment utilisée dans le domaine du simulation and

gaming (Thatcher 1990, Lederman 1992, Petranek 1994). La durée du débriefing varie entre une

dizaine de minutes (comme pour certains des jeux courts des Systems Thinking Playbooks) et plusieurs heures. Le débriefing s’articule autour d’échanges entre les participants, animés par un facilitateur, qui procèdent par une succession d’allers-retours entre l’expérience de jeu et la réalité du socio-écosystème étudié dans l’atelier. Ces allers-retours permettent de parcourir différents sujets, ou aspects de l’expérience de jeu vécue (par exemple les stratégies de coordination mises en place ou bien les mécanismes de régénération des ressources naturelles). Ces différents sujets correspondent à ce que les sciences de l’éducation appellent les objectifs pédagogiques. Ces objectifs pédagogiques sont préparés à l’avance par les animateurs (d’une session à l’autre, les objectifs pédagogiques prévus peuvent varier pour un même artefact). En fonction du déroulement de la simulation, certains des objectifs pédagogiques prévus peuvent ne pas être discutés, tandis que d’autres, non prévus, peuvent apparaitre.

Avant de démarrer les échanges en lien avec les objectifs pédagogiques, le débriefing commence par un temps où les participants peuvent exprimer leur ressenti personnel et leur sentiment par rapport au jeu (« ça m’a plu », « j’ai trouvé que c’était stressant », « on a réussi », etc.).

Puis, de manière plus ou moins structurée, le facilitateur amène les participants à aborder des aspects en rapport avec des expériences concrètes vécues durant le jeu (« que s’est–il passé dans cette zone de jeu où toutes les ressources ont été épuisées ? »). Pour ce faire, et comme illustré dans la Figure 4, Sweeney et Meadows suivent un fil rouge allant de la compréhension du problème rencontré jusqu’aux solutions à y apporter, en passant par les causes du problème (« que s’est–il passé … », « pourquoi c’est arrivé… », « comment avez-vous réagi... »).

Figure 4 : Une structure du débriefing en sept étapes (Sweeney et al. 2011)

Que le fil rouge suive la trame « problème-causes-solutions » proposée par Sweeney et Meadows ou une autre trame, il s’agit de procéder à des allers-retours pour mettre en correspondance les enseignements tirés du jeu avec des situations réelles auxquelles les participants sont ou peuvent être confrontés. La dernière étape est celle du « take-home message ». Sweeney et Meadows s’adressant dans leur Playbook à des animateurs qui réalisent des activités de sensibilisation aux changements climatiques auprès des citoyens, cette dernière étape prend la forme d’engagements citoyens (Figure 4). Dans d’autres cas et auprès d’autres publics, elle peut consister en des accords entre les participants pour réaliser des actions collectives ou des changements. Dans d’autres situations encore, cette étape peut se résumer à expliciter ce que les participants retirent de cette expérience et ce qu’ils peuvent appliquer ensuite dans leur quotidien.

Un autre aspect souvent abordé dans les débriefings réalisés à la suite des gaming/simulations est relatif au fonctionnement et aux améliorations pouvant être apportées à l’artefact. Il s’agit de recommandations et d’informations constructives fournies par les participants aux animateurs de la session sur la conception du jeu. Parfois, ces sujets de discussion peuvent se mêler aux échanges au sujet des objectifs pédagogiques ; le facilitateur doit alors structurer les échanges pour que ces différents aspects puissent être traités sans qu’il y ait de confusions et d’incompréhensions sur l’objet de la discussion.

Outre les différents éléments de son déroulé, un autre aspect essentiel de la structure du débriefing dans le simulation and gaming tient aux résultats de la simulation. Il ne s’agit pas au travers de ces résultats de savoir si les joueurs ont gagné ou perdu40, mais plutôt d’étudier collectivement et de discuter les résultats d’indicateurs relatifs aux différents aspects du socio-écosystème simulé. Par exemple, dans Stratagem, Meadows montre un graphique calculé à partir des résultats de la simulation jouée, qui illustre la croissance exponentielle de la population et du capital et met en évidence

40 Dans une simulation jouée, la dimension agonistique des jeux, à savoir la compétition entre les joueurs avec un gagnant et un perdant, est absente. Le lien à la réalité entretenu par la simulation prédispose les simulations jouées à être des dispositifs pédagogiques d’entraînement (Sauvé 2008).

1. Décrivez les problèmes et les événements survenus pendant la partie.

2. Déterminez dans quelle mesure ces problèmes et événements se produisent également dans le système réel.

3. Décidez quels facteurs du jeu sont responsables de ces problèmes et événements.

4. Déterminez dans quelle mesure ces facteurs sont également présents dans le système réel. 5. Identifiez les changements dans le jeu qui pourraient éviter ou résoudre les problèmes les plus graves. 6. Indiquez comment les modifications correspondantes pourraient être apportées au système réel. 7. S'engager à réaliser les changements nécessaires dans le système réel.

J R J R J R

certaines relations entre les actions réalisées durant la partie et les taux de croissance associés (Meadows et al. 2000). Ce type de résultats d’une simulation peut être utilisé pour entamer une discussion sur un aspect des objectifs pédagogiques prévus. Ils peuvent également être montrés pour étoffer une discussion en cours. De même, d’autres supports peuvent venir enrichir les échanges lors du débriefing, tels les résultats de simulation issus de sessions de jeu réalisées préalablement. Les participants peuvent ainsi évaluer leurs résultats au regard de ceux des autres.

Dans le domaine de la santé, le débriefing est une activité couramment pratiquée, et les praticiens de ce domaine ont produit des canevas de débriefing de simulations jouées particulièrement intéressants. Ainsi dans le Miller’s Anesthesia, le manuel de référence des anesthésistes, on trouve un chapitre consacré au débriefing décrivant ses différentes phases, qui reprennent d’ailleurs la structure générale de débriefing vue ci-dessus (Figure 5).

Figure 5 : Phases du débriefing selon le Miller’s Anesthesia (Forkin et Nemergut 2016)

Fanning et Gaba, deux des auteurs du manuel, résument ces phases en trois étapes : décrire les évènements du jeu, identifier les émotions et les ressentis des participants durant ces évènements, généraliser l’expérience en établissant des liens avec les situations réelles auxquelles les participants sont confrontés (Fanning et Gaba 2007). Il ressort de cette structure en trois étapes, l’une des spécificités des exercices de gaming/simulation par rapport à l’usage classique de la simulation, qui correspond au fait de s’appuyer sur l’intelligence émotionnelle des participants pour résoudre des problèmes (Klabbers 2009). La « plus-value » de ces exercices permet aux praticiens du domaine de la santé de s’exercer à utiliser leur ressenti et à gérer leurs émotions, en complément de leurs connaissances techniques de la pratique médicale. Les auteurs insistent également sur le rôle et les compétences du facilitateur du débriefing, des aspects essentiels pour réussir le débriefing (Fanning et Gaba 2007). La conclusion du Chapitre §9.2 revient sur cet aspect.

• Clôturer le scénario simulé

• Transition de la simulation au débriefing • Libération émotionnelle

• Description des faits survenus dans la simulation • Auto-identification des problèmes

• Discussion de contenu clinique • Analyse

• Possibilités d'amélioration du système

• Transfert de ces enseignements au « monde réel »

• Énoncer un « take-home message » basé sur le scénario simulé et le débriefing • Clôturer le débriefing

2.5.3. Les différentes façons de conduire le débriefing

La façon de conduire le débriefing varie d’un facilitateur à l’autre, suivant ses compétences, ses habitudes et les participants en présence. Willy Kriz a décrit différents styles possibles de débriefing, ainsi que le rôle et l’attitude du facilitateur dans cet exercice (Kriz 2010). Afin d’illustrer cette diversité, les paragraphes suivants présentent succinctement quatre moyens d’expression utilisés dans le débriefing, qui correspondent à des styles de débriefing différents mobilisés par des praticiens du

simulation and gaming.

Le style de débriefing et le moyen d’expression le plus couramment utilisé est le débriefing oral. Le facilitateur demande aux participants de décrire oralement leur expérience, soit à tour de rôle, soit de manière libre, ou bien encore au travers de rapporteurs désignés au sein de différents groupes de participants. Les autres participants réagissent oralement et le débat se poursuit de cette façon.

Willy Kriz pour sa part intègre souvent dans sa façon de conduire le débriefing des éléments d’expression corporelle. Il utilise cette technique pour permettre aux participants d’exprimer leurs émotions vis-à-vis du jeu mais également vis-à-vis des autres. Les exercices consistent à exprimer son ressenti par l’expression faciale, ou bien encore en constituant des figures, en se positionnant et en se tenant les uns les autres d’une certaine façon (Kriz 2010).

David Crookall, de son côté, apprécie utiliser l’écrit durant le débriefing comme moyen d’expression des participants. Cela leur permet de prendre le temps de la réflexion individuelle avant de mettre en commun leurs idées et leurs arguments. C’est également un moyen d’introduire dans le déroulé de l‘atelier un temps plus calme, qui permet aux participants de se désengager du jeu, pour s’engager dans le débriefing (Crookall 2014).

Un dernier style de débriefing relaté ici est l’utilisation de jeux pour conduire le débriefing (Thiagarajan 1992). Dans cette façon de faire, les participants expriment leur ressenti vis-à-vis de la simulation au travers de différents jeux rapides, abordant chacun un aspect de la simulation. Par exemple, l’auteur propose un jeu qui permet aux participants de parler de leurs émotions et de leurs sentiments, sans que cela ne prête à conséquence. Un autre jeu rapide, qui fonctionne sur un mécanisme d’enchères, permet aux participants de débattre des solutions qu’il aurait fallu mettre en place dans la simulation pour améliorer la situation.

Ainsi, les styles de débriefing peuvent varier d’un cas à l’autre, tout en gardant toutefois une trame commune basée sur le principe de l’apprentissage expérientiel et celui du rapport entre l’expérience de jeu et les objectifs pédagogiques visés qui concernent des situations réelles. Le débriefing est un

moment essentiel des ateliers de gaming/simulation, et les chapitres suivant de cet ouvrage auront l’occasion de le montrer à nouveau.