Éléments de design permettant de renforcer les groupes vulnérables

Le Chapitre §5.4.2 a été l’occasion d’étudier comment les relations de pouvoir étaient prises en compte dans une démarche de modélisation d’accompagnement. Ces enseignements ont permis de préciser quels étaient les deux types de postures adoptées par les porteurs de projets de simulation participative dans le cas de contextes à forte asymétrie de pouvoir : une posture de neutralité conditionnelle et une posture de non-neutralité au nom d’une concertation équitable (cf. Chapitre §6.2.3).

Dans le cas d’une posture de neutralité conditionnelle, les porteurs ne changent pas le design de leur processus et n’interviennent que si les conditions de la participation ne sont plus respectées. Dans le cas d’une posture de non-neutralité, les porteurs adaptent le design du processus en fonction des asymétries de pouvoir. Le Chapitre §5.4.2 a présenté les différents facteurs pris en compte par Barnaud et Van Paassen (2013) pour adapter le design du processus en fonction des asymétries de pouvoir. À la suite des différents travaux étudiés sur la pratique de la simulation participative dans les chapitres précédents, je propose une version actualisée de ces éléments de design (Tableau 5).

Le Tableau 5 présente un design du déploiement d’un dispositif dans lequel l’ordonnancement des ateliers est pensé pour permettre aux groupes vulnérables de se préparer à se confronter par la suite à des groupes d’acteurs ayant plus de pouvoir. Ce tableau liste également différents éléments de design de l’artefact. L’utilisation de simulations participatives asymétriques permet de faire jouer le rôle des groupes vulnérables aux acteurs ayant le plus de pouvoir. La conduite du débriefing sera alors adaptée pour permettre à ces derniers d’exprimer leur ressenti par rapport aux contraintes qu’ils avaient dans le jeu et aux difficultés qu’ils ont pu rencontrer pour défendre les intérêts des rôles vulnérables. Le fait de proposer dans le jeu des catégorisations des groupes sociaux différentes de celles habituellement perçues dans la réalité permet de modifier dans le jeu les rapports entre les différents rôles et d’amorcer des éléments de réflexion à discuter lors du débriefing sur les rapports que les différents acteurs entretiennent entre eux.

Facteurs à prendre en compte pour renforcer les groupes vulnérables Composante

Identifier et expliciter quels sont les groupes considérés comme vulnérables et

devant faire l’objet d’une attention particulière ^{H4 Historique} Énoncer au lancement du projet les conditions d’une arène favorisant l’équité entre

les participants, cette arène pouvant être refusée. ^{P9 Partenariat} Débuter le processus par des ateliers auprès des groupes vulnérables, puis

progressivement inclure dans le processus des groupes plus expérimentés et ayant plus de pouvoir D14 Design du processus (avant le déploiement des ateliers) Choix des personnes invitées pour garantir la représentation des groupes

vulnérables ^D15

Choix des personnes invitées pour renforcer les groupes vulnérables par la

constitution d’alliances avec d’autres groupes d’acteurs ^D16 Mise en évidence des savoirs locaux, des intérêts et des contraintes des groupes

vulnérables par la conception d’artefacts spécifiques ou d’artefacts intégrant une asymétrie de rôles (en pratiquant une inversion de rôles)

A3 Design de l’artefact et de l’atelier servant le design du processus Re-catégoriser les groupes sociaux représentés dans l’artefact, pour renforcer la

position des groupes vulnérables ^A4 Conception d’artefacts dont l’ergonomie est adaptée aux groupes vulnérables A5

Design des modes de prise de décision et de saisie des décisions dans l’artefact,

garantissant la libre décision des groupes vulnérables ^A6 Intégration de rôles pré-formatés joués par un animateur, ou d’évènements de jeu, permettant de renforcer les groupes vulnérables ^A7 Choix de modes d’expression garantissant la libre expression des groupes

vulnérables durant l’atelier (tour de table, expression écrite, etc.) ^A8 Changement des conditions d’interactions entre les parties prenantes en cours de

processus ^D17

Design du processus (pendant)

Tableau 5 : Éléments de design d’une posture de non-neutralité au nom d’une concertation équitable

En effet, les catégorisations peuvent être des leviers pour favoriser les groupes vulnérables lorsqu’elles sont accompagnées de réglementations, de contraintes ou de dispositifs qui tendent vers d’avantage justice (Nachi, 2006). Par exemple, dans le processus ComMod-courbine, le choix a été fait de représenter les petits pêcheurs du banc d’Arguin par les rôles de capitaines et marins-pêcheurs, distincts de ceux d’armateur et de mareyeur, alors que dans la réalité, ces trois fonctions sont souvent regroupées dans une même entreprise, dirigée par un capitaine-armateur-mareyeur (Becu et al. 2016d). Lors du débriefing, les participants soulignent alors que ces rôles ne sont pas de simples catégories, mais bien des classements, des catégories hiérarchisées qui ont une incidence sur la position et le rang occupé dans la société. À l’instar de la re-catégorisation des rôles dans le design de l’artefact, l’introduction de rôles pré-formatés ou celle d’évènements narratifs intervenant dans le cours du jeu peuvent également constituer des moyens permettant au groupe d’animation de mettre en exergue des situations inégalitaires qui apparaissent dans le jeu, et de proposer de les rééquilibrer.

Ce dernier chapitre a permis d’examiner différents éléments et facteurs à prendre en compte dans l’articulation entre le design des dispositifs de simulation participative et les territoires dans lesquels ils sont déployés. Ce chapitre conclut le volet de chapitres consacrés à la pratique de la simulation participative aujourd’hui, à son design, à l’évaluation de ses effets et aux dernières avancées de la recherche dans le domaine. Le chapitre conclusif de cet ouvrage est consacré aux défis des prochaines années pour la recherche dédiée à cette pratique en constante évolution.