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Les déterminants socioéconomiques de la santé

Stratégies multisectorielles pour une santé à long terme

But 14 – Responsabilité multisectorielle pour la santé

5.2 Déterminants physiques et socioéconomiques de la santé

5.2.2 Les déterminants socioéconomiques de la santé

La santé est très sensible, même dans les sociétés les plus opulentes, aux facteurs socio-économiques et donc aux politiques et aux mesures sociales et socio-économiques. Les principaux déterminants sont le niveau de revenus, l’instruction et l’emploi. Certains chercheurs attribuent plus de la moitié des maladies à ces facteurs sous-jacents. Même dans les pays à faible revenu, il serait possible d’améliorer la situation sanitaire en se penchant sur ces facteurs. L’évolution dans le temps de la situation sanitaire de groupes défavorisés est un indicateur précieux pour évaluer la réussite de politiques socioéconomiques.

AMÉLIORER LA SANTÉ À FAIBLE COÛT : INVESTIR DANS LE DÉVELOPPEMENT SOCIAL

La faiblesse des revenus et les contraintes budgétaires ne doivent pas faire obstacle à l’amélioration de la situation sanitaire d’un pays. Le cas de Sri Lanka, pays pauvre de l’Asie du sud-est, est à cet égard instructif, y compris pour les pays européens. En quelques décennies, on y a amélioré la santé plus rapidement que dans certains pays voisins plus riches en appliquant un plan de développement des grands secteurs de l’économie dont ont bénéficié tous les ménages : enseignement gratuit pour les deux sexes, allocations de logement, mise en place de systèmes d’approvisionnement en eau salubre et d’assai-nissement, amélioration de l’accès physique aux services de santé grâce à des subventions accordées aux transports en commun et à l’amélioration du réseau routier, et mise en place, grâce à des transferts de revenus et à des aides alimentaires, d’un filet de protection sociale pour les pauvres.

Source : Kumaratunga, C. Improving health at low cost: lessons and challenges from Sri Lanka. (Allocution prononcée lors du séminaire de la Banque asiatique de développement intitulé « Health in Developing Asia: Seizing the Opportunities », Genève, 28–30 avril 1998).

Répartition des revenus

Les niveaux absolus de revenu expliquent la mauvaise santé liée à la pauvreté. Les écarts de revenus relatifs expliquent, indépendamment de la classe sociale, le gradient de maladie et de mortalité qui caractérise tous les échelons de la hiérarchie sociale. À mesure que les écarts de revenus se creusent, le risque de maladie augmente. Dans le domaine de la santé, les différences de classe sociale s’observent à tous les âges, les groupes socioéconomiques les plus défavorisés se caractérisant par une plus grande incidence de naissances prématurées, de faible poids à la nais-sance des nourrissons, de cardiopathies, d’accidents vasculaires cérébraux et de certains cancers de l’adulte. Les facteurs de risque (absence d’allaitement, tabagisme, inactivité physique, obésité,

hypertension et mauvaise alimentation) s’accumulent dans les groupes socioéconomiques les plus défavorisés.

La répartition des revenus influe de façon importante non seulement sur la santé, mais aussi sur la cohésion sociale. Les sociétés dans lesquelles on relève une forte inégalité des revenus tendent également à avoir une prévalence plus élevée de crimes violents. La pauvreté engendre stress et difficultés économiques, limite l’aptitude des individus à jouer un rôle social et contribue à leur mal-être psychologique. L’inégalité des revenus, toutefois, doit aussi mal-être considérée en tenant compte, plus globalement, des biens sociaux (enseignement gratuit, par exemple) mis à la disposition des groupes à faible revenu.

Les sociétés socialement soudées sont des sociétés dotées d’institutions qui fonctionnent bien et de collectivités locales développées. Lorsque les inégalités de revenus s’atténuent, les individus peuvent former à tous les échelons des réseaux sociaux et y participer au moyen de diverses organisations et activités sociales. Il est nécessaire de conserver un sentiment de collectivité morale et de vocation sociale. Lorsque les inégalités se creusent, les divisions sociales s’accentuent.

Les sociétés qui appliquent des politiques plus égalitaires enregistrent des rythmes plus rapides de croissance économique et un meilleur niveau de santé. Les inégalités ne se traduisent par aucun avantage économique, handicapent fortement l’économie et limitent la compétitivité de l’ensemble de la société.

STRATÉGIES PROPOSÉES

Les politiques visant à assurer une répartition plus équitable des revenus et des richesses (régimes fiscaux progressifs) jouent un rôle important, de même que les prestations de sécurité sociale accordées à certains groupes d’âges ou aux familles à faibles revenus. Il est prouvé que lorsqu’on accorde un soutien financier aux individus à faible revenu qui fondent une famille, le poids des nouveau-nés à la naissance augmente.

POIDS À LA NAISSANCE ET REVENUS

Le poids à la naissance est un marqueur des degrés de pauvreté et représente un risque cumulé.

Même par rapport aux autres individus d’une même classe sociale, les personnes ayant un moindre poids à la naissance risquent davantage de souffrir, à l’âge adulte, de troubles physiques, y compris de cardiopathies coronariennes et de troubles mentaux. Le poids à la naissance influe également, quel qu’il soit de l’enfance au début de l’âge adulte, sur la condition sociale ultérieure d’un individu, y compris sur sa catégorie socioprofessionnelle. Un essai randomisé contrôlé mené aux États-Unis a montré que lorsque des femmes enceintes à faible revenu continuaient d’être couvertes par le système de protection sociale ordinaire et d’autres recevaient une aide financière de 50%, les femmes recevant une aide financière mettaient au monde nettement moins de nouveau-nés ayant un faible poids à la naissance que les femmes du groupe de contrôle.

Source : Kehrer, B. & Wolin, C.M. Impact of income maintenance on low birth weight: evidence from the Gary experiment. Journal of Human Resources, 14(4): 434–462 (1979).

Les politiques qui tendent à influer sur la répartition des revenus devraient être complétées par d’autres garantissant la gratuité des soins et de l’enseignement et par des allocations de logement. Les services de placement et les services sociaux contribuent aussi grandement à améliorer la santé et à réduire l’exclusion sociale.

Les mesures visant à promouvoir la solidarité, la participation et l’intégrité ainsi que les réseaux sociaux et politiques pluralistes peuvent également contribuer à améliorer la santé car ils favorisent la création de collectivités propices à cette dernière.

Emploi

Au cours des dix dernières années, le chômage a atteint de nouveaux sommets en Europe : environ 12% dans l’Union européenne, approximativement le même niveau dans les PECO et près de 6%

dans les NEI (les chiffres étaient très faibles à la fin de l’époque communiste). Selon les prévisions à court terme, la situation ne devrait guère changer12.

La quantité de travail et sa qualité exercent toutes deux une grande influence sur de nombreux facteurs liés à la santé : revenus, réseaux sociaux et estime de soi, etc. Le chômage engendre des troubles psychologiques et physiques et constitue un handicap sur le marché du travail. Dans de nombreux pays, en effet, on est passé d’emplois qualifiés ou semi-qualifiés sûrs assortis d’une formation en cours d’emploi à des emplois exigeant un niveau élevé d’instruction préalablement à l’obtention desdits emplois, évolution qui a exacerbé le chômage des jeunes, notamment.

12 Economic survey of Europe 1998. Geneva, United Nations Economic Commission for Europe, 1998.

On a beaucoup parlé des vertus de la croissance économique globale et de la mise en place d’un marché du travail plus souple dans lequel nombre d’emplois sont temporaires et où davantage de travailleurs ne disposent que de contrats à durée déterminée ou sont officiellement indépendants.

Cette insécurité du travail s’accompagne d’une détérioration de la santé. Or, les estimations des coûts de production tiennent rarement compte des pertes en matière de santé et de qualité de vie liées à cette insécurité.

Chez les personnes titulaires d’un emploi, il existe un lien manifeste entre la catégorie d’emploi, la mortalité et la morbidité, y compris le taux d’absence pour cause de maladie. Ce lien, qui subsiste même lorsqu’on tient compte d’autres facteurs tels que le niveau d’instruction et le mode de loge-ment, semble s’expliquer par les exigences plus élevées en matière de supervision, de stimulation et de soutien liées aux emplois des catégories supérieures. Dans l’administration britannique (Whitehall), par exemple, on a observé que le gradient de mortalité suivait la même courbe que le gradient des emplois (voir figure 6).

Figure 6. Mortalité (toutes causes) par catégorie d’emploi dans l’administration britannique, hommes, suivi sur 25 ans

Source : Marmot, M. G. & Shiple, M. Do socioeconomic differences in mortality persist after retirement? 25-year follow-up of civil servants from the first Whitehall study. British medical journal, 313: 1177–1180 (1996).

Le secteur sanitaire pourrait commencer par donner lui-même l’exemple d’un cadre de travail modèle. Dans ce secteur qui emploie, en effet, une grande partie de la population, l’écart de santé entre les différents groupes d’employés fait rarement l’objet de discussions. Or, cet écart est très important et de nombreux agents et aides-soignantes peu rémunérés courent, vis-à-vis d’un grand nombre de maladies, des risques bien plus élevés que les médecins.

Si, comme certains milieux le prédisent, la vie active se concentre à l’avenir sur une période plus brève, il faudra trouver de nouveaux moyens de faire participer les individus à la société en dehors du travail et de partager le travail existant entre un plus grand nombre d’individus.

STRATÉGIES PROPOSÉES

Mise en œuvre de systèmes satisfaisants d’aide financière et sociale pour les groupes privés d’emploi.

Promotion de la formation et de l’emploi, notamment auprès des personnes ayant bénéficié de conditions moins favorables au début de leur vie.

Investissement dans des emplois stables au profit de la santé et de la productivité à long terme.

Prise en compte, dans l’analyse économique, du stress lié à une charge de travail importante et à l’insécurité du travail afin d’obtenir un tableau plus précis des véritables résultats de l’activité économique.

Mécanismes souples de partage du travail.

Nouvelles formes de travail social et collectif visant à éviter un chômage structurel à long terme.

Ajustement des politiques du travail afin de réduire le risque de discrimination liée au sexe, à l’âge ou à l’origine ethnique.

Enseignement

On observe, en matière de niveau d’instruction, un gradient de mortalité analogue à celui observé en matière de classe sociale. Les moyens matériels et culturels dont dispose une famille exercent une grande influence sur le développement intellectuel d’un enfant, sur l’aide qu’il reçoit et sur ses résultats scolaires. On observe, en matière de résultats scolaires, une forte influence de la classe sociale. Les enfants qui ont reçu un enseignement pré-universitaire ou une formation technique supérieure ou de troisième cycle ont de bien meilleures chances en matière de santé, de travail et de revenus. De surcroît, l’instruction prédispose fortement à faire des choix sains. L’enseignement

supérieur et les autres formes d’instruction encouragent l’innovation qui, à son tour, favorise le progrès sur l’échelle des revenus.

STRATÉGIES PROPOSÉES

Obtention de l’intérêt et de l’enthousiasme des parents pour l’instruction.

Offre d’un enseignement préscolaire pour aider à rompre le lien avec la pauvreté.

Poursuite de l’amélioration de l’accès à l’instruction et du niveau d’instruction, en particulier chez les femmes et chez d’autres groupes défavorisés.

Affectation de moyens aux programmes d’enseignement en fonction des besoins de la population et des exigences d’équité sociale.

Fixation de normes d’enseignement plus ambitieuses et réduction du nombre d’élèves par classe.

Formation des enseignants et des étudiants aux questions sanitaires.

ENSEIGNEMENT : PERMETTRE AUX ENFANTS DE PRENDRE UN BON DÉPART

Dans les pays industrialisés, on se soucie moins, depuis quelques années, d’élever le taux global d’alphabétisation que de résoudre, en matière d’instruction, les handicaps liés à la pauvreté. Le meilleur programme connu, à cet égard, est Head Start, qui accorde depuis 1965 des aides à un demi-million d’enfants des régions les plus pauvres des États-Unis. Trente ans plus tard, ce programme fonctionne toujours. Il offre un ensemble complet de services : instruction précoce, vaccinations, visites médicales pour détecter d’éventuels troubles auditifs et visuels, repas chauds pendant la journée, services sociaux, formation et aide pédagogique aux familles.

Des études contrôlées ont montré que la santé des enfants participant au programme était meilleure (vaccination, régime alimentaire et santé bucco-dentaire, accès aux services, estime de soi et facultés cognitives) que celle des enfants des groupes de contrôle. Les résultats à plus long terme ont révélé des taux plus élevés d’admission à l’université chez les participants au programme que dans les groupes de contrôle et des taux plus faibles d’arrestations et de grossesses chez les adolescentes.

Source : Benzval, M. et al., ed. Tackling inequalities in health – an agenda for action. London, King’s Fund, 1995.