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CHAPITRE 2 Épistémologie et méthodologie

2.2 Les axes méthodologiques

2.2.4 Les critères de rigueur

Vignaux (1988) signale que l’enjeu des thèses empiriques est de défendre une thèse, « […] une proposition primaire par des arguments à même de la rendre probable et donc probante, c’est-à-dire digne d’être acceptée comme vraisemblable, par suite proche du vrai. » (Vignaux, 1988, p. 35). C’est aussi ce que mentionne Van der Maren (1990). Pour lui, la thèse n’a pas à être logique, puisqu’elle ne cherche pas à établir la vérité de l’énoncé, mais plutôt convaincre de sa validité, de sa crédibilité.

À juste titre, la validité d’une thèse théorique peut être difficile à cerner, et on ne peut prétendre simplement aux mêmes critères de rigueur que les thèses de type empirique.

Pour Gohier (Gohier, 1998), les critères d’évaluation suivants vont permettre d'interroger l’argumentation de la thèse théorique, à savoir la cohérence, la limitation, la complétude, l’irréductibilité, la crédibilité, la fiabilité et la vérifiabilité.

Le critère de cohérence (consistance) ou de non-contradiction est obligatoire, que la thèse soit quantitative, qualitative ou théorique. Sans ce critère, « aucun discours scientifique n’est recevable (on ne peut affirmer un énoncé et son contraire) » (Gohier, 1998, p. 275). La limitation ou la circonscription consistent en la délimitation du domaine des objets qu’une théorie recouvre. La complétude ou l’exhaustivité théorique «stipule [...] que la théorie doit couvrir tout le champ ou tout le terrain qui constitue son domaine d'objets (Gauthier, 1995, p. 19)» (Gohier, 1998, p. 272). Pour Gohier cependant, il faut relativiser le concept de complétude puisqu’il s’agit d’une exigence « idéale ». Le critère d’irréductibilité renvoie à la simplicité de la théorie, au sens essentiel de son caractère fondamental. Le critère de crédibilité consiste à faire appel à un

corpus théorique «autorisé», c’est-à-dire à se référer « […] à des auteurs significatifs dans le domaine » (Gohier, 1998, p. 275). La crédibilité repose aussi sur ce qui compose l’axe de l’argumentation. Pour Gohier, le critère de fiabilité commande que l’auteur rende explicite ses présupposés, son idéologie et de ses orientations épistémologiques. Enfin, le critère de la vérifiabilité. Ce dernier critère, dans une thèse théorique, renvoie à une vérification potentielle de ce qui est avancé, bien que certaines positions théoriques qui ne peuvent pas être vérifiées empiriquement comme le discours sur les finalités éducatives (Gohier, 1998) ont un impact sur la pratique en éducation.

Bien que ces critères de rigueur viennent baliser la thèse théorique, il ne faut pas les concevoir comme des obstacles à la pensée. Sur ce point, Gohier avance que :

La fécondité heuristique d'une démarche ou d'un énoncé se traduit par sa capacité de «faire apparaître du sens», de «proposer du connaissable neuf», d'engendrer d'autres énoncés. L'orthodoxie méthodologique ne doit pas imposer ses diktats à la pensée. Elle doit la servir. La pensée novatrice est faite d'errances, voire d'erreurs; si elle emprunte des chemins déjà tout tracés, elle ne pourra que réitérer. Elle n'inventera pas. (Gohier, 1998, p. 279)

Malgré ces nombreux critères, même le critère de la vérifiabilité, rien ne garantit vraiment, selon Gohier (1998), de la validité d’énoncés théoriques en éducation. Cet effort, qu’elle nomme critériologie, a pour objectif de redonner une légitimité à la recherche théorique en uniformisant, d’une certaine manière, « […] les attitudes et les pratiques en regard de celle-ci dans la communauté scientifique ou, devrait-on dire, dans la communauté savante en éducation. » (Gohier, 1998, p. 280)

Si Gohier (1998) énonce des critères de rigueur, Van der Maren (1995) propose quelques moyens d’éviter des pièges qui mineraient la rigueur d’une thèse théorique. Le premier moyen serait de dévoiler son épistémologie, sa conception de l’éducation, les finalités et les intentions de sa thèse afin de ne pas tomber dans « les fausses évidences de l’analyse du manque ». Le deuxième moyen serait de ne pas trop user de stratégies qui sont très efficaces dans une défense orale, mais un peu moins dans un document de l’ampleur d’une thèse, comme les arguments étymologiques, historique, du sens commun, anecdotique, de jeu de mots, de logique ou de la raison. Enfin, Van der Maren souligne que l’argument de l’éthique ou de la métaphysique est à utiliser avec parcimonie. Ce genre d’argument éthique et métaphysique a sa place au début de la thèse, quand l’auteur expose ses préconceptions, ou à la fin, dans les applications envisagées.

Il y aurait donc un équilibre à trouver en tenant compte des critères de rigueur et des pièges possibles. Ces critères demandent une certaine adhésion sans toutefois nuire à ce qui constitue la fécondité heuristique d’une thèse, à savoir sa capacité à créer du neuf et de l’inédit.

a) Conclusion des aspects méthodologiques

Au terme de ce chapitre, nous avons exploré, dans une première partie, ce qui est du domaine de l’intention, de l’approche interdisciplinaire et de l’épistémologie. Nous avons également exploré, dans une deuxième partie, les axes méthodologiques de la recherche que sont l’interprétation, l’argumentation et le récit auquel nous avons ajouté les critères de rigueurs.

Dans l’axe de l’interprétation, le plus important en longueur, il a été question de ce qui permet de produire des énoncés théoriques à partir d’autres énoncés théoriques. Plus spécifiquement, l’herméneutique (Daignault, 1985; Léger, 2006; Simard, 2004) et l’analyse conceptuelle (Martineau et al., 2001) à laquelle nous ajoutons l’idéal-type, l’analyse critique et l’analyse inférentielle (Van der Maren, 1995) vont aider au travail d’interprétation. Rappelons que l’idéal-type, qui a été développé par Max Weber, va nous permettre de construire une représentation idéale du hacker, à l’image d’une « utopie étalon ». Le personnage du hacker sera alors confronté (analyse inférentielle) à la théorie politique de la technologie de Feenberg (2004a, 2010). Notre souhait est de déceler des lignes de force entre l’idéal-type et la théorie qui pourraient contribuer à définir, voire à construire, l’ébauche d’un espace pédagogique alternatif de la technologie. Dans l’axe de l’argumentation, il a été question principalement de la rhétorique. Comme la thèse théorique ne peut démontrer, elle doit convaincre. Dans la partie sur l’axe du récit, qui fait appel à la pratique littéraire il a été question de l’importance du souci qui doit être apporter à la construction d’un « réel » que l’on souhaite le plus rigoureux dans son élaboration et le plus convaincant possible. Enfin, dans la dernière partie, les critères de rigueur que sont la cohérence, la limitation, la complétude, l’irréductibilité, la crédibilité, la fiabilité et la (Gohier, 1998) ont été énoncés et caractérisés.